Le constat exclut l’inaction : dans le monde, plus de 1.200 violations de la liberté artistique ont été documentées en 2021 ; 39 artistes en sont morts. En même temps que l’annonce d’un nouvel investissement de 1M$ (900 000€) pour financer des projets soutenant la liberté artistique dans plus de vingt-cinq pays, l’Unesco publie un rapport qui identifie plusieurs formes récurrentes de violation de la liberté artistique : harcèlement en ligne et hors ligne, perte soudaine de revenus, poursuites judiciaires, violence physique, censure… Des atteintes accentuées par la précarité des conditions de travail, des moyens de subsistance et de la protection sociale. Il note également les risques supplémentaires encourus par les femmes artistes et professionnelles de la culture dans les situations d’urgence.
L’exemple de la protection des journalistes. Une autre catégorie d’acteurs victimes de l’atteinte à la liberté d’expression fait l’objet d’une mobilisation de l’Unesco déjà éprouvée et souvent efficace, celle des journalistes. Le rapport « Défendre les voix créatives », sous-titré « Artistes en situations d’urgence : apprendre de la sécurité des journalistes », se propose ainsi « d’encourager les synergies entre les artistes et les journalistes d’une part, et les communautés qui travaillent à l’amélioration de leur sécurité d’autre part » ainsi que d’identifier « des mesures concrètes pour renforcer la protection des artistes en cas de crise, en tirant les leçons des progrès réalisés en matière de protection des journalistes ».
Recommandations
Le rapport distingue deux phases lors desquelles les artistes et les journalistes doivent être l’objet d’une attention particulière : une phase d’intervention d’urgence, avec actions immédiates, et une phase de relèvement post-urgence exigeant des initiatives structurelles et à moyen et à long terme.
Mesures d’urgence
- mettre en œuvre un suivi de terrain avec des consultations et des évaluations des besoins,
- faciliter la coordination des réponses en situation d’urgence,
- garantir la sécurité physique des journalistes, des artistes et des professionnels de la culture, maintenir leurs moyens de subsistance et protéger les infrastructures, les expressions, les biens et les services dans les domaines de la culture et de la communication,
- appeler la communauté internationale à prêter urgemment attention aux risques encourus par les journalistes, les artistes et les professionnels de la culture, ainsi qu’à la protection et à la sauvegarde des expressions culturelles et des infrastructures culturelles et de communication,
- renforcer les capacités des journalistes, des artistes et des professionnels de la culture, notamment en protégeant leur sécurité dans leurs pays d’origine et en les aidant à développer leurs compétences à l’étranger.
Mesures à moyen et long terme
- identifier les besoins pour la période de relèvement, planifier les réponses et se préparer aux futures situations d’urgence pour en atténuer les effets,
- soutenir les moyens de subsistance et la mobilité des artistes, des professionnels de la culture et des journalistes, et poursuivre les actions de sensibilisation et de plaidoyer,
- promouvoir une collaboration durable entre les acteurs travaillant dans les secteurs de la culture, des médias, des droits de l’homme, de l’aide humanitaire ainsi que la formation de coalitions,
- renforcer les cadres législatifs, réglementaires et politiques.
Au-delà de ces formulations à caractère général de l’Unesco, dont il convient aux pouvoirs publics et aux acteurs sociaux de les décliner sur leur terrain propre et selon la diversité des situations, ce rapport constitue le signe d’une attention internationale spécifique pour les artistes et, implicitement, une condamnation des pouvoirs qui les censurent ou les répriment par la violence.
Certes, en France, des relais de défense de la liberté artistique existent – l’intangibilité de la liberté de création est désormais inscrite dans la loi (LCAP) – et les préconisations de l’Unesco peuvent ici paraître superfétatoires. Pour autant, on constate dès aujourd’hui la multiplication des entraves à la liberté des artistes provenant davantage de la société civile que des instance de pouvoir. De surcroît, il n’est pas totalement sans fondement de craindre des évolutions politiques aux conséquences moins favorables au respect de la liberté artistique.
En revanche, ce geste de la communauté internationale aura un écho immédiat et puissant dans d’autres pays, en bute à des tentations autoritaires, « car ces voix libres dérangent parfois, précisément parce qu’elles sont liberté, prise de hauteur et parce qu’elles proposent d’autres horizons » (Audrey Azoulay, directrice générale de l’Unesco) que celui prôné par les pouvoirs en place. Ajoutons que ce rapport rappelle et amplifie, dans un contexte géopolitique particulièrement inquiétant, le message des Nations-Unies porté dès 2013 par la Rapporteuse spéciale pour les droits culturels d’alors, Farida Shaheed, dans son Rapport sur le droit à la liberté d’expression artistique et de création.