Le texte fera date : il aura fallu un virus pour que l’Union européenne découvre que la culture constitue une dimension essentielle de sa construction, de son identité et de son avenir. « Considérant que la pandémie a révélé la véritable valeur sociale pour la société européenne ainsi que le poids économique des secteurs et des industries culturels et créatifs », le Parlement européen a adopté à une très grande majorité, le 17 septembre 2020, une Résolution enjoignant l’Union européenne et ses Etats membres à apporter un soutien financier significatif aux arts et à la culture. D’abord pour initier la « relance post-pandémique » et, au-delà, pour instaurer une réelle politique culturelle européenne.
Lors de la journée Think Culture 2020 (9/09), le directeur de la Sacem, Jean-Noël Tronc, ne semblait pas convaincu par l’engagement culturel de l’Europe : « La part de la culture représente un millième du budget européen, contre 0,5 à 1% des budgets des Etats de l’Union européenne. » Finalement ce sera « au moins 2% » du plan de relance européen “Next Generation EU” de 150Mds€, soit aux alentours de 15Mds€. Tel est le sens de la Résolution adoptée à 598 voix sur 686 par le Parlement européen, le 17 septembre 2020. La hauteur inédite d’un tel engagement financier vise à « refléter l’importance des secteurs et des industries culturels et créatifs pour le PIB de l’UE ». Mais pas que.
Cette décision constitue certes une réaction ponctuelle au contexte particulier de crise sanitaire et non un projet politique en tant que tel. Pour autant, c’est bien un ambitieux programme global de politique culturelle que déroule cette Résolution rédigée et défendue par le groupe centriste Renew Europe (98 députés, soit 13,9% du Parlement européen), présidé par le Roumain Dacian Cioloș mais dont la majorité des membres sont français. Un programme apportant des réponses précises à trois questions fondamentales définissant une politique culturelle : pourquoi soutenir la culture ? Quelle culture promouvoir ? Et avec quels moyens ? Avec des réponses prenant acte du constat suivant : « La culture est un secteur stratégique pour l’Union européenne, qui non seulement constitue une partie importante de notre économie, mais contribue également à des sociétés démocratiques, durables, libres et inclusives et reflète notre diversité, nos valeurs, notre histoire, nos libertés et notre mode de vie européen. »
Les valeurs européennes. Le principal atout de la culture pour la défense des valeurs démocratiques européennes réside dans sa capacité d’exprimer et d’expérimenter la liberté ; à la fois la liberté de création – la culture est « l’un des principaux accélérateurs du changement social et de la construction de sociétés inclusives et résilientes » – et la liberté de participation : elle permet « à tous les segments de la société d’exprimer leur identité ».
Soutenir la culture pour elle-même. L’Union européenne a le plus souvent articulé son soutien à la culture à ses apports économiques. D’où des programmes centrés essentiellement sur l’audiovisuel et les “industries culturelles et créatives” (ICC). Si l’approche économique reste la raison première d’un nécessaire soutien à la culture développée par la Résolution, l’ampleur de l’onde de choc pandémique en révèle des potentialités dépassant largement ce cadre des “retombées indirectes”.
Si l’Union européenne doit s’engager davantage pour la culture en ce moment de crise, c’est aussi parce que « les théâtres, opéras, cinémas, salles de concert, musées, sites patrimoniaux et autres lieux artistiques ont été parmi les premiers à fermer en raison des mesures de confinement et sont parmi les derniers à rouvrir » et parce que dès lors la solidarité est nécessaire avec « les interprètes, artistes, créateurs, auteurs, éditeurs, leurs entreprises et tous les autres créateurs et travailleurs culturels, y compris les créateurs amateurs ».
Il ne s’agit donc plus, comme avec les fameux “fonds structurels” européens, de contribuer au développement de certains territoires, de lutter contre le chômage en boostant des secteurs créateurs d’emploi, mais simplement de reconnaître à sa juste valeur la contribution à la vie collective de l’ensemble des personnes engagées dans des métiers artistiques et culturels. Donc soutenir la culture pour elle-même et non pour ses “retombées” économiques.
Soutenir l’“écosystème culturel” pour son apport à la transition verte… Cela étant, reconnaître la valeur intrinsèque de la culture n’exclue pas de noter ses apports sur d’autres plans. Avec la Résolution du 17 septembre, on assiste à l’ébauche d’une véritable refondation de la légitimité de la dépense publique en faveur de la culture. A de très nombreuses reprises, le texte établit une corrélation directe ou indirecte entre développement de la culture et développement durable, entre activités artistiques et culturelles et lutte contre le réchauffement climatique, entre diversité culturelle et biodiversité. De là une exigence : « La création d’un écosystème culturel plus résilient nécessite une réflexion plus large sur l’avenir de la planète et l’urgence de répondre à la crise climatique. » Et vice-versa : l’urgence climatique nécessite un écosystème culturel plus résilient.
Ainsi les activités culturelles « pourraient jouer un rôle de catalyseur puissant pour un développement durable et une transition juste ». Convaincus que « la future politique culturelle doit être profondément liée aux défis sociaux ainsi qu’aux transitions verte et numérique », les eurodéputés notent que « la relance post-pandémique et la revitalisation de la politique culturelle européenne sont strictement liées aux autres défis au quels l’Union européenne et le monde sont confrontés, à commencer par la crise climatique ».
… et au développement économique. Dans la mesure où il s’agit du fléchage d’un plan de relance économique, l’argument soulignant l’importance de la culture dans cette perspective est bien entendu celui le plus largement développé : 7,4 millions de personnes exercent un emploi culturel dans l’UE-27, soit 3,7% de l’emploi total, la culture représentant 4% du PIB européen (509Mds€ de valeur ajoutée). Les eurodéputés insistent plus particulièrement sur l’économie du patrimoine. Au-delà de son rôle dans l’incarnation de l’identité européenne dans sa diversité, ils notent que plus de 300 000 personnes en Europe sont employées dans le secteur du patrimoine, tandis que 7,8 millions d’emplois y sont indirectement liés. A quoi il faut ajouter que quatre touristes sur dix choisissent leur destination en fonction de son offre culturelle. Sachant que le tourisme c’est 10,3% du PIB de l’UE, dont plus de 40% liés à l’offre culturelle, la Résolution « considère que la reprise progressive du tourisme est l’occasion de promouvoir activement la culture et le patrimoine européens ».
Doubler le budget européen de la culture. L’objectif immédiat de la Résolution concerne la part culture du plan de relance. Mais le propos financier va au-delà. En juillet dernier, la Commission européenne avait fortement revu à la baisse la proposition du Parlement pour le prochain programme cultuel de l’UE. Le 17 septembre, les eurodéputés rappellent et réaffirment leur demande d’un doublement du budget alloué à « Europe créative » pour 2021-2027. Une demande largement entendue : le programme de la Commission pour les secteurs de la culture et de l’audiovisuel (Europe Créative) est passé de 1,4Mds€ pour la période 2014-2020 à 2,2Mds€ pour 2021-2027.