L’idée que la culture constitue une réalité commune pour l’ensemble des pays de l’Union européenne et incarne de manière sensible, au-delà du seul marché économique, l’identité européenne est très largement partagée. Elle reste cependant d’ordre théorique ; qu’est-ce que l’Europe de la culture ? Quelles sont ses actions, ses institutions, ses processus de décision ? Quel rôle y jouent les collectivités ? La tenue du Bureau de la FNCC à Strasbourg, le 3 mai, a permis de donner corps à la réalité culturelle communautaire au travers d’interventions de responsables de plusieurs institutions et structures européennes lors d’un séminaire qui s’est tenu au Lieu de l’Europe – espace récent de coordination d’initiatives culturelles européennes géré par la Ville –, à la suite d’une visite de la scène européenne Le Maillon. Quelques échos.
Le New European Bauhaus
Magda Alicja Herbowska, responsable adjointe de l’unité Nouveau Bauhaus européen au Centre de recherches communes de la Commission européenne. Le New European Bauhaus (NEB) développe une approche de la culture en lien avec les enjeux sociaux et urbanistiques au bénéfice d’une économie circulaire portant sa propre esthétique. C’est « l’âme » du Green Deal engagé par la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen.
Le NEB porte trois valeurs fondamentales, la beauté, la durabilité et l’inclusivité. Et répond à un enjeu : la nécessite d’une nouvelle façon de penser le monde face à l’impact du réchauffement climatique en rendant les lieux de vie plus beaux et plus inclusifs. Un projet qui a donc une forte dimension locale.
Les années 2020-2021 ont été celles de la construction du projet dont la mise en œuvre effective a débuté en septembre 2021, en partenariat avec 450 partenaires dont 26 en France, notamment le ministère de la Culture. A ces partenaires s’ajoutent les « amis » du New European Bauhaus réunissant à la fois des collectivités territoriales et des entreprises.
Le programme est doté d’un budget de 4,5Mds€ pour répondre aux appels à projet.
Dans le cadre du NEB Lab, un programme de recherche avec les acteurs locaux a été mis en place, avec actuellement plusieurs perspectives de projets : le soutien aux nouvelles initiatives européennes du NEB, la cocréation de l’espace public avec la participation des citoyens, la transformation des lieux d’apprentissage ainsi que le Festival NEB (du 9 au 12 juin) qui réunit déjà 500 événements autour de trois axes – forums, foires et fêtes – et sera lancé à Rome.
En réponse à une question d’Anne Mistler, maire-adjointe aux cultures de Strasbourg et vice-présidente de la FNCC, sur la possibilité de proposer des projets de rénovation de lieux culturels, Magda Alicja Herbowska répond non seulement que c’est envisageable mais plus encore souhaité, l’UE voulant favoriser la réhabilitation sur la construction, notamment dans le cadre de sa priorité donnée au patrimoine.
Pour sa part, Florian Salazar-Martin, maire-adjoint à la culture de Martigues et vice-président de la FNCC, s’interroge sur la notion d’appels d’offre, estimant dommageable de s’en tenir à une seule « politique de guichet » qui bénéficie le plus souvent à des opérateurs aux moyens importants, à même de finaliser les dossiers. Qu’en est-il de la prise en compte de petites structures par le NEB ? Là encore, indiquant que l’UE veut précisément favoriser les petites structures, Magda Alicja Herbowska ajoute que « toute notre communauté – partenaires et amis – est en contact pour travailler dans un esprit de solidarité avec les territoires ».
Plus de renseignements sur le New European Bauhaus
La politique culturelle du Conseil de l’Europe
Asya Salnikova, responsable du programme des Journées européennes du patrimoine au Conseil de l’Europe, indique en introduction que le Conseil de l’Europe (46 pays, la Russie venant d’en être exclue) est une organisation intergouvernementale. Son action s’organise autour de trois domaines : les droits de l’homme, la démocratie et la prééminence du droit.
L’approche de la culture du Conseil de l’Europe se fonde sur la Convention européenne de la culture, rédigée en 1954, elle-même à la base de nombreuses autres conventions, notamment sur le patrimoine architectural et sur la « La valeur de patrimoine culturel pour la société » (Faro, 2005). Précision : cette convention-cadre, qui envisage le patrimoine comme un mode de vie – donc au-delà du patrimoine bâti et des sites selon une approche dite « intégrée » – et a pour ambition de promouvoir le dialogue interculturel et la compréhension réciproque entre les pays de l’Europe, n’a pas été ratifiée par la France. En effet, les autorités françaises butent sur la traduction du mot de community qui, en français, porte une résonance plus communautariste que son équivalent anglais.
L’un des programmes culturels phare du Conseil de l’Europe est celui des « Itinéraires culturels du Conseil de l’Europe« , initiés en 1987 par les Chemins de Saint-Jacques de Compostelle et eux aussi fondés sur une conception large du patrimoine culturel dans l’esprit de la Convention de Faro : tourisme culturel (en particulier « slow-tourisme »), gastronomie, histoire… Une cinquantaine d’itinéraires sont aujourd’hui répertoriés et tracés, deux ou trois nouveaux s’y ajoutant chaque année.
Le Conseil de l’Europe défend aussi d’autres priorités : l’audiovisuel avec le dispositif Eurimage, l’évaluation des politiques culturelles et, plus récemment sous l’impulsion de la crise sanitaire, la numérisation de la culture.
Sur les Journées européennes du patrimoine (JEP). La France en est à l’origine, en 1980, avec le principe de l’ouverture de bâtiments patrimoniaux habituellement fermés au public. Un principe d’abord rejoint par la Belgique et les Pays-Bas puis associé à l’Union européenne qui participe désormais à parts égales au budget avec le Conseil de l’Europe.
Les JEP implique 50 Etats, avec plus de 70 000 manifestations qui attirent chaque année près de 30 millions de visiteurs. Chaque édition s’organise autour d’un thème particulier, en 2021 « le patrimoine inclusif », en 2022 « le patrimoine durable »…
A noter que les sites sont retenus via deux appels à projets distincts. Ils peuvent être proposés soit par des comités d’experts (par exemple pour le Quartier européen de Strasbourg), soit par des collectivités (une petite commune du Sud de la France pour 2022 dont la candidature n’a pas encore été rendue publique) avec, pour ces derniers projets, un budget de 10 000€. Dix seront cooptés cette année, avec un financement qui devrait aller croissant pour les années à venir.
Le président de la FNCC, Frédéric Hocquard, note en particulier que la conception large du patrimoine va à l’encontre de l’approche étatique française et intéresse tout particulièrement la Fédération, mais aussi celle d’un tourisme culturel abordé à rebours de la vision habituelle centrée sur la rentabilité.
Florian Salazar-Martin confirme partager cette vision « à 360° » du patrimoine culturel. « Nous avons du mal à assimiler des concepts plus ouverts. » Revenant sur les JEP, il regrette cependant un manque d’interactivité entre pays et la prépondérance du réflexe local, ce qui ne favorise pas la connaissance de l’autre et le dialogue interculturel…
Asya Salnikova reconnaît qu’en effet la dimension européenne est trop oubliée alors que le but même des JEP est de faire ressortir la dimension européenne du patrimoine, d’où l’idée d’installer cette année de grands écrans vidéo pour créer des interconnexions entre pays. Ce qui est aussi l’esprit du « programme Beethoven » d’Arte, note Anne Mistler.
La chaîne de télévision européenne Arte
Amélie Leenhardt, responsable du service développement européen d’Arte. Installée à Strasbourg, donc avec un ancrage local, Arte porte une vocation initialement franco-allemande. Une origine que la chaîne revendique en cette année de célébration de son 30e anniversaire et qui se traduit notamment par de nombreuses coproductions, sur le principe du « programme Beethoven », lequel servira d’exemple pour un programme avec la chaîne publique espagnole consacré à Picasso.
Arte se consacre aussi à la production d’un catalogue de documents scientifiques et culturels qui connaissent un fort succès, notamment en Pologne et en Espagne. Une autre dimension permet de déborder la source franco-allemande grâce à une longue habitude de captation de concerts. Quant à lui, le programme Arte Kino Festival, sur le cinéma, s’attelle à un recensement patrimonial européen, par exemple avec La Strada de Fellini.
Toujours sur la dimension paneuropéenne d’Arte, il est souvent question de la création d’une plateforme de diffusion numérique européenne. Pour l’heure, le choix est davantage d’européaniser celles qui existent déjà. Car, explique Amélie Leenhardt, « nous n’avons pas 30 ans d’histoire partout ». Si Arte marche de manière optimale dans les pays francophones et germanophones, la langue rend plus difficile l’implantation dans les autres pays de l’UE, d’où des enjeux de partenariats et de distribution sur lesquels la chaîne travaille actuellement. La musique peut être un bon moyen, par exemple au travers du programme diffusant des opéras filmés chaque mois dans un grand opéra européen différent. Cela crée de la curiosité pour des programmes captés ailleurs…
Frédéric Hocquard se félicite du grand succès d’Arte Concert, notamment pendant la période de confinement, avec des captations de grande qualité et très bien diffusées. « C’est là quelque chose d’innovant, de réactif et de souple. »
Pour sa part, Florian Salazar-Martin souligne que la chaîne a su s’ouvrir aux ressources contemporaines. Au départ un peu élitiste, elle a réussi à se diversifier et à devenir plus généraliste, par exemple avec des séries de grande qualité qui contribuent efficacement à la connaissance des différents modes de vie. Ou encore, ajoute Frédéric Hocquard, avec les émissions sur les musiques électroniques et bien sûr sur l’Ukraine.
La responsable du service développement européen d’Arte confirme que la chaîne essaie de casser son image d’élitisme, ce à quoi contribue aussi la diversification de ses plateformes, avec Facebook, le site et la télévision.
Le Parlement européen
Mélanie Herrbach, chargée de communication au Parlement européen. Outre son importante activité législative récemment marquée par l’adoption en septembre 2019 de la directive européenne sur le droit d’auteur malgré le lobbying des acteurs numériques internationaux et par celle, en septembre 2020, d’une Résolution enjoignant l’Union européenne et ses Etats membres à apporter un soutien financier significatif aux arts et à la culture (sur le site de la FNCC), le rôle culturel du Parlement européen prend des voies diverses et parfois méconnues. Le Parlement européen :
- constitue, à l’initiative de Simone Veil, une collection d’art contemporain au travers d’une politique d’acquisition et de commande publique,
- décerne depuis 2007 un prix cinématographique, le prix LUX du public, qui récompense des films illustrant le débat européen,
- se prête comme lieu de tournage, par exemple pour la série Parlement sur France 5,
- engage des partenariats avec Arte pour des documentaires sur la construction européenne,
- célèbre des anniversaires culturels européens comme cette année les 30 ans d’Arte ou les 50 ans de l’Opéra national du Rhin,
Le Parlement européen a par ailleurs soutenu les musiciens privés de scène par la pandémie de Covid 19 et participe à la saison culturelle initiée dans le cadre de l’actuelle présidence française du Conseil de l’Europe ainsi qu’à l’installation d’une Micro-folie à Strasbourg.
A la suite de cet exposé, Anne Mistler rappelle l’importance du rôle des collectivités pour maintenir la présence du Parlement européen à Strasbourg, une ville porteuse d’une histoire particulière pour la paix en Europe.
En fin de séminaire, Grégoire Pénavaire, maire-adjoint à Enghien-les Bains et trésorier de la FNCC, s’interroge sur le degré de conscience de la réalité européenne des citoyens français. « Il me semble que les frontaliers sont les plus conscients de l’unité européenne… » Une réflexion qui incite Asya Salnikova a souligner combien, pour les autres pays européens, la France est considérée comme moteur pour l’Europe. Sachant que de nombreux cadres administratifs du Conseil de l’Europe sont de nationalité française et que la France est l’un des pays fondateurs de l’Europe, la validation française des thématiques choisies pour les Journées européennes du patrimoine, par exemple, accorde à ces choix leur pleine légitimité.