En considérant le périmètre de dépenses de fonctionnement élargi, les collectivités contribuent désormais pour les trois quarts au financement public du spectacle vivant, à hauteur de plus de 4Mds€. Un montant donc « trois fois supérieur aux quelques 800M€ de crédits budgétaires Création, action culturelle et EAC versés par l’Etat, soit bien davantage que les estimations antérieures du ministère de la Culture (deux tiers pour les collectivités) ». Cette estimation émanant de la Cour des comptes dans son rapport « Le soutien du ministère de la Culture au spectacle vivant » (27/05) modifie significativement l’horizon de la concertation entre les collectivités et l’Etat dans le domaine culturel. Eléments de synthèse.
Le rapport de la Cour des comptes ne concerne pas en propre les politiques culturelles des collectivités mais très précisément celles du ministère de la Culture dans le champ du spectacle vivant. Il s’agit à la fois d’en mesurer l’évolution depuis près d’une quinzaine d’années afin d’identifier quelques pistes pour progresser dans la réalisation de ses trois objectifs fondateurs : le soutien à la création, l’accès aux œuvres (notamment par le maillage du territoire en équipements culturels) et l’élargissement des publics (en particulier via l’éducation artistique et culturelle).
Pour autant, étudier l’action de l’Etat culturel, et notamment celle de ses directions déconcentrées (DRAC), sans considérer l’inscription de son action dans « un dispositif marqué par l’intervention croissante des collectivités territoriale » (tableau ci-contre) ne ferait pas sens. D’ailleurs, ce rapport est présenté comme un prélude à des « travaux ultérieurs prenant en compte l’articulation entre les interventions de l’Etat et celles des collectivités ».
Si le ministère de la Culture reste « au cœur de l’écosystème du spectacle vivant » et « continue à jouer un rôle d’impulsion » incontournable – au point que la Cour des comptes note une convergence croissante entre les modalités d’intervention de l’Etat et celles des collectivités sur le modèle du premier –, il n’en est plus l’acteur dominant mais « le financeur minoritaire d’un secteur qui lui échappe en partie ».
Nécessaire stratégie nationale. Mais aux yeux des experts, la prépondérance croissante des financements locaux sur les financements nationaux ne disqualifie aucunement le rôle du ministère dont le rapport loue la constance des objectifs depuis 60 ans, plébiscite l’action de soutien au secteur culturel pendant la pandémie et reconnaît notamment la pertinence du travail de ses directions déconcentrés (DRAC). Un éloge de l’Etat culturel d’autant plus d’actualité que « son expertise reconnue et sa capacité d’orientation ont été réaffirmées durant la crise sanitaire ».
Implicitement, le rapport est convaincu que la « territorialisation » des politiques culturelles ne peut que bénéficier d’un cadrage national dont le ministère peut être le stratège.
Si la Cour des comptes reconnaît une évidente disproportion de l’utilisation des crédits de l’Etat en l’Ile-de-France (qui reçoit pas moins de 40% des crédits alloués à la création), elle estime qu’à condition de développer de meilleures capacités d’observation et de faire davantage confiance à ses services déconcentrés, détenteurs d’une expertise de proximité absente en central, le ministère de la Culture dispose de moyens éprouvés pour progresser sur la voie de plus d’équité territoriale.
Les labels et réseaux. Elle loue en particulier l’efficacité du système des dix labels nationaux dans la mesure où « l’application des cahiers des missions et des charges permet d’orienter l’activité des lieux labellisés conformément aux priorités de l’Etat, alors même que ce dernier reste minoritaire dans leur financement ». Ce qu’illustre le tableau (ci-contre), rare, indiquant la proportion du poids respectif de l’Etat et des collectivités dans le financement des lieux labellisés.
Ratios crédit/habitants. En revanche, par principe constitutionnel d’autonomie de gestion (hors compétences obligatoires), les collectivités ne portent pas de stratégie commune. L’accroissement considérable de leur engagement culturel est la résultante de choix singuliers lissés sous l’effet de l’impulsion de l’Etat.
Ainsi, pour ce qui relève du spectacle vivant en Métropole (cas particulier de la Corse excepté), la comparaison de la carte des dépenses de fonctionnement moyennes des communes et EPCI par habitant sur la période 2014-2020 et du tableau de la répartition régionale du soutien des DRAC au spectacle vivant par habitant en 2019 met à jour une échelle plus large du ratio crédits/habitants chez les collectivités que par les DRAC :
- les crédits des communes/EPCI s’échelonnent de 16,8€/h. (en Occitanie) à 33,7€/h. (en Ile-de-France),
- les crédits des DRAC s’échelonnent de 4,5€/h. (dans les Hauts-de-France) à 6,7€/h. (en Auvergne-Rhône-Alpes).
Commentaire de la Cour des comptes : « Les dépenses de fonctionnement des communes et des EPCI par habitant au titre du spectacle vivant en 2019 sont beaucoup plus hétérogènes d’une région à l’autre que les dépenses de l’Etat et font apparaitre des inégalités territoriales notables. »
Pour plus de concertation entre l’Etat et les collectivités. Dans ce contexte d’intrication des deux pôles de la puissance publique, les préconisations faites par la Cour des comptes concernent essentiellement les moyens d’accroître l’articulation et la concertation entre les collectivités et les relais du ministère sur les territoires, c’est-à-dire les DRAC. Pour l’heure, « les relations avec les collectivités locales apparaissent, dans l’ensemble, constructives et bien structurées, dans le cadre d’une gouvernance renouvelée des lieux s’appuyant sur des cahiers des missions et des charges régulièrement évalués » (sur ce point, le rapport souligne aussi le caractère contraint et trop « fléché » des moyens des DRAC).
La montée en puissance des collectivités, désormais les acteurs principaux du modèle culturel français dont le rapport redit à maintes reprises l’exemplarité, constitue un atout – et non une concurrence – pour un ministère dont la faculté d’expertise et la capacité d’impulsion sont sorties renforcées par la crise sanitaire et qui, de surcroît est seul en mesure d’affirmer l’ambition démocratique d’une équité territoriale déployée sur l’ensemble du territoire.
Afin de faire réellement progresser une démocratisation culturelle pour le moment à la peine et pour réinventer des modalités d’action en phase à la fois avec la mutation numérique, la revendication du respect des droits culturels et les attentes nouvelles des générations post « babyboom », le rapport propose quelques pistes pour une « reconfiguration des équilibres » à la fois entre Etat culturel et collectivités et entre services centraux et services déconcentrés du ministère de la Culture :
- simplifier les indicateurs et mieux définir les objectifs de l’Etat au service d’une vision stratégique pour parvenir à la décliner plus explicitement au niveau territorial en s’appuyant davantage sur le réseau des DRAC dont le rôle est « crucial »,
- « avancer sur la voie de la structuration d’un cadre plus net de concertation entre l’Etat et les collectivités territoriales, assorti d’une définition claire des objectifs et des compétences qui lui seront dévolus » car, aux yeux de la Cour des comptes, la « démultiplication empirique », en réaction à la crise sanitaire, des dispositifs de coordination que sont les Conseils locaux des territoires pour la culture (CLTC) et les Coreps « semble ne pas constituer une réponse suffisante à un besoin avéré » de dialogue,
- mieux définir l’articulation entre les missions du Centre national de la musique avec les services centraux du ministère et avec les conseillers musique des DRAC.
Avec l’idée générale que le réel chemin vers la démocratisation culturelle passe aujourd’hui par deux voies :
- le développement de l’EAC via « des articulations à renforcer avec d’autres politiques publiques, et notamment l’Education nationale »,
- et un meilleur équilibre entre soutien du ministère à la création et à la diffusion, sans pour autant remettre en cause « une incontestable vitalité artistique dont témoignent, dans toutes les disciplines, des productions abondantes et diversifiées sur le territoire ». Sur ce point, la Cour des comptes note que, « conscient de cette problématique, le ministère a engagé un état des lieux sur les conditions de production des spectacles, en lien avec les DRAC et l’ensemble des partenaires concernés (Etat, collectivités, lieux labellisés et non labellisés, compagnies, etc.). Seule une approche globale permettra en effet de réaliser les changements souhaitables. »