Ville mitoyenne de Vannes, dans le Morbihan, la commune de Séné (9 000 habitants) se remarque par un habitat très diversifié, mêlant des quartiers fortement urbains, des hameaux côtiers et un centre-bourg au caractère très villageois. Mais ce qui distingue surtout cette commune atypique tient d’abord à une politique culturelle dont l’esprit est synthétisé par la mise en place de Groupements locaux d’orientation de programmation – dits “Glop” – dont l’ambition et le fonctionnement radicalement participatifs irriguent l’ensemble du projet politique municipal. Jean-Yves Fouqueray, conseiller municipal auprès du maire-adjoint à la culture Mathias Hocquart et membre du Bureau de la FNCC, poursuit en ce même sens la politique initiée voilà une dizaine d’années par la précédente maire-adjointe à la culture Anne Phélippo-Nicolas.
La nouvelle équipe est dans la continuité ?
Oui. Ce mandat s’appuie sur un bilan des deux précédents marqués par l’action forte de la construction du centre culturel Grain de Sel – nous en fêterons les dix ans l’année prochaine. Nous conservons bien sûr l’idée centrale de la participation des habitants. Notre démarche profondément participative reste malgré tout à développer : même en allant vers les habitants, on s’aperçoit que, dans le domaine de la culture notamment, on ne concerne toujours qu’une part des habitants. Aujourd’hui nous aimerions vraiment développer davantage la notion de transversalité. L’une des missions confiées aux professionnels des services culturels, par exemple, sera de développer les actions hors les murs, d’aller vers les habitants.
Quelle est la particularité de votre territoire ?
Séné est une ville de 9 000 habitants. Son identité propre tient à son caractère multipolaire : le bourg façon traditionnel, avec ses petits commerces et un esprit de village, presque rural ; le quartier urbain le Poulfanc, mitoyen de Vannes, où règne une ambiance vraiment urbaine faite de grandes surfaces commerciales et de densité des transports publics, donc un tout autre état d’esprit ; enfin, de l’autre côté, près de la mer, des presqu’îles, les plages, le port et la réserve naturelle. La difficulté – et sans doute l’intérêt – du travail de la municipalité est d’œuvrer à ce que tous ces modes de vie différents se retrouvent, car on habite malgré tout la même commune.
Quelle est la fonction d’une politique culturelle ?
La fonction de la politique culturelle procède de sa transversalité. Nous la considérons comme un outil social pour multiplier les liens entre différents acteurs. Elle apporte aussi un regard particulier sur l’urbanisme, sur l’environnement. Nous avons notamment une réserve naturelle où il nous importe que la culture soit aussi présente, avec des expositions et des créations d’artistes…
Par ailleurs, notre ambition est, au-delà de l’offre, d’aller chercher les publics et de contribuer à donner confiance à des personnes qui ne se sentent pas toujours concernées par la culture. On les fait participer à la construction des programmations, mais on souhaite aussi, quand c’est possible, les mettre à un moment donné en situation d’artiste. Donc aller jusque-là, car cela favorise par la suite le lien avec les arts et la culture.
J’avais noté à Séné une volonté d’initier les habitants à la responsabilité culturelle …
Tout à fait. C’est ce qui sous-tend le Glop (groupe local d’orientation de la programmation) : non seulement on fait participer des habitants à l’élaboration d’une programmation pour notre centre culturel, Le Grain de Sel, mais on leur donne aussi des outils pour cela. Ce n’est pas “j’aime” ou “je n’aime pas”. Les personnes qui font partie du Glop suivent une formation pour apprendre à apprécier, à évaluer un spectacle. Elles sont de plus encadrées par des professionnels. Donc une sorte de pédagogie à l’appréciation du spectacle qui est aussi une autoformation par le partage entre les participants. Le nom de Grain de sel signifie bien cela : l’apport de personnes qui tournent, pendant un, deux ou trois ans, dans ces groupes locaux, avec un effet d’essaimage. Près de 70 personnes participent aujourd’hui au Glop, certaines juste une fois ou deux dans l’année, par exemple sur un thème spécifique, et une vingtaine d’autres qui forment le noyau du dispositif. Ce même modèle de dispositif est également mis en œuvre dans d’autres domaines, par exemple avec un groupe vélo, où une cinquantaine de personnes se sont inscrites.
Quelles sont vos principales lignes de force ?
Continuer à fabriquer avec les habitants une culture qui implique, rassemble, encourage, qui révèle les individus, comment chaque personnalité peut être au service du groupe et partager son talent. Territorialement, il s’agit bien sûr d’irriguer tous les quartiers de Séné, par exemple en organisant des manifestations dans notre théâtre de verdure, avec un fond de mer magnifique ; un lieu qu’à mon sens nous n’utilisons pas suffisamment.
La notion de droits culturels est à la source de la politique participative de Séné…
Les droits culturels sont depuis le début au centre de notre projet, mais cela reste encore à développer. On travaille par exemple sur les sentiers patrimoniaux, à partir de la contribution des habitants, via des panneaux où sont inscrits des récits de personnes qui habitent ces lieux. Trois ont déjà été tracés ; un quatrième est en cours. On a aussi des greeters (des hôtes qui guident à titre bénévole des visites de touristes) pour les périodes de vacances : des gens du village racontent l’histoire de Séné au cours de petites randonnées.
Les droits culturels comprennent trois volets : accès, participation et contribution. Vous êtes particulièrement attentifs à cette dernière…
En effet, chez nous la contribution constitue une dimension très forte. Mais du chemin reste à faire, car on persiste à rester un peu trop dans l’entre-soi. Nous avons par exemple 600 contributeurs sur notre plateforme d’échange citoyen, un chiffre considérable pour une commune de 9 000 habitants. Mais nous voulons aller plus loin, trouver d’autres partenariats. Par exemple, la Maison des habitants va s’installer dans un nouveau lieu dont nous allons nous servir pour aller chercher des publics autres en s’appropriant les cultures de celles et ceux qui fréquentent ce centre social, par exemple pour mieux faire partager des cultures étrangères. Là, on sort vraiment du strict domaine de la culture pour aller vers la transversalité.
Y a-t-il un domaine prioritaire ?
Oui, celui de l’école de musique municipale et plus largement de l’enseignement artistique, qui jusqu’à présent n’a pas été la priorité. Nous devons développer notre école de musique, adapter les locaux, retravailler le projet d’établissement et y intégrer le même état d’esprit qui opère au centre culturel en faisant davantage participer les habitants. De 130 élèves, on devrait pouvoir monter à 250. Il faudrait aussi faire sortir l’école de ses murs. Le développement de la musique traditionnelle bretonne constitue aussi l’un des objectifs, en lien avec les classes bilingues français/breton, ce qui permettrait de s’appuyer sur le projet des écoles. Autre question : comment mieux accompagner les jeunes et développer davantage les musiques actuelles ?
Séné fait partie de l’agglomération de Vannes. Vos rapports avec l’intercommunalité ?
La Ville de Séné est totalement investie dans la démarche intercommunale. Travailler dans un esprit de partage relève d’une volonté forte. Pour les médiathèques, nous avons un portail commun qui fonctionne très bien. Quant à l’enseignement artistique, il est présent depuis sept ou huit ans dans la logique communautaire via des intervenants en milieu scolaire – cinq à ce jour – et le réseau des écoles de musique, dont fait partie celle de Séné. Ainsi, si l’agglomération n’a pas la compétence culture, elle mène cependant des actions. Sans doute faut-il aller plus loin : si, pour le spectacle vivant, il est bien que chaque commune conserve sa singularité, l’enseignement artistique gagnerait à être mieux partagé, car, seules, les petites communes ne peuvent pas s’en sortir, ne serait-ce que du point de vue matériel : comment faire pour que cela ne coûte pas trop cher à un enfant de Séné qui voudrait apprendre le basson ? Il n’est pas normal qu’on n’ait pas accès aux mêmes enseignements en fonction de son lieu d’habitation.
L’approche de partage qui règne à la FNCC ressemble à ce que nous tentons de faire localement à Séné : échanger les expériences, découvrir les différences et s’enrichir les uns les autres
Vos liens avec département, la région, la DRAC ?
Le 3CB [Conseil des collectivités pour la culture en Bretagne] fonctionne bien. J’y ai participé une fois, au titre de la FNCC – en tant que petite commune, il est difficile d’y exister. Avec le Département et la Région, nous n’avons que peu d’échanges même s’il y a un schéma départemental des enseignements artistiques et diverses aides sur des dossiers particuliers. Enfin les échanges sont bons avec la DRAC ; elle est à l’écoute même s’il faut davantage aller la chercher – ce que je vais faire.
Manque-t-il des espaces de concertation entre collectivités ? A Toulouse Métropole, les élu.e.s culture des communes se réunissent entre eux…
Davantage de concertation serait nécessaire – à mon niveau, cela manque – et une initiative comme celle des élu.e.s de Toulouse serait en effet souhaitable ici. Mais il n’est pas facile de s’engager en ce moment. Je suis un nouvel élu et de plus on est dans une période qui ne facilite pas les rencontres. On verra quand la crise sanitaire sera passée, mais des concertations plus étroites au niveau de la communauté d’agglomération seraient à mon sens intéressantes même si quelques échanges existent déjà dans certains domaines. Cela étant, je m’entends bien avec l’élu de Vannes. Nous sommes tous les deux nouveaux élus à la FNCC et nous réfléchissons à organiser une rencontre de tous les élu.e.s à la culture de la communauté d’agglomération pour présenter la FNCC. Notre appartenance commune à la Fédération nous confère une certaine légitimité que nous allons mettre en avant.
La pandémie oblige à repenser l’action culturelle…
Juste une crainte. Nous avons proposé deux concerts en ligne. Avec un monde fou, plus d’un millier de vues ! Soit bien plus que le nombre de spectateurs que nous aurions pu accueillir en salle. Nous devons donc faire attention à ce que le distanciel ne devienne pas la norme et reste vraiment un complément du spectacle vivant. Soyons vigilants.
La crise a mieux fait prendre conscience aux élu.e.s de la réalité du métier des artistes…
En effet. L’accueil des compagnies en résidence pendant cette période va nous aider à mieux faire connaître et à mieux comprendre la situation des artistes auprès des autres élu.e.s. C’est important, car notre difficulté reste quand même de partager ce qu’on fait dans un conservatoire, une salle de spectacle… On a toujours l’impression que les artistes sont des gens pas comme les autres.
Vous venez d’entrer au Bureau de la FNCC…
En tant que directeur de conservatoire et président de Conservatoires de France de 2010 à 2012, j’ai toujours été en contact avec la FNCC, mais avant d’être élu je ne savais pas que Séné était adhérente. Pour nous il est très important non seulement d’être à la FNCC mais d’y participer de manière active, comme le faisait Anne Phélippo-Nicolas avant ce mandat. Je m’inscris pleinement dans cette continuité. Finalement, l’approche de partage qui y règne ressemble à ce que nous tentons de faire localement : échanger les expériences, découvrir les différences et s’enrichir les uns les autres.
Propos recueillis par Vincent Rouillon