Dans le cadre du vaste projet de loi “Adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière”, le Sénat a adopté en première lecture, le 8 juillet 2020, la transposition de la directive européenne sur le droit d’auteur à l’ère du numérique votée de justesse par le Parlement européen en septembre 2018 (le communiqué de la FNCC). Et aussi l’obligation pour les plateformes numériques de contribuer au financement de la création française.
Roselyne Bachelot, nommée ministre de la Culture deux jours plus tôt, a porté plusieurs amendements gouvernementaux, avec pour principal objectif d’habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnance – donc sans discussion parlementaire. « Je sais que cela ne vous plaît pas et à moi non plus ; mais la rapide transposition de ces directives par voie d’ordonnance relève d’une nécessité pour les professionnels et plus généralement pour le soutien à la création. » A noter que si le texte de la directive concernant les artistes-auteurs apparaît satisfaisant aux yeux de la CGT-Spectacle, « il tue dans l’œuf les espoirs des artistes-interprètes d’accéder à une rémunération proportionnelle » à leur création de valeur sur Internet (communiqué du 08/07).
Faisant le lien avec le projet de loi de réforme de l’audiovisuel public porté (et suspendu à cause de la crise sanitaire) par son prédécesseur, Franck Riester, la nouvelle ministre de la Culture souligne d’abord l’urgence de la transposition de deux directives du texte européen.
- La première renforce les capacités des titulaires de droits à être rémunérés lorsque les plateformes à contenus utilisent leurs œuvres, tout en respectant les droits et libertés des utilisateurs. Date butoir, juin 2021.
- La seconde affirme que les chaînes de TV et les distributeurs sont solidairement responsables de la rémunération des auteurs, notamment lorsque leurs œuvres sont diffusées par la technique de plus en plus usitée dite de “l’injection directe” (lire ci-dessous). Ici, la transposition doit s’opérer au plus tard le 19 septembre 2020.
Par la technique de “injection directe”, « le radiodiffuseur transmet son signal à des distributeurs par une ligne privée : pendant cette transmission, les signaux ne peuvent être reçus par le grand public, et après celle-ci, le distributeur met les programmes reçus à disposition du public » (rapport d’information de février 2020 de la députée Christine Hennion). La technique est utilisée pour réduire, voire cesser, le paiement des droits d’auteur.
Sur le fond, l’atmosphère est à l’unanimité mais avec toutefois le regret d’une absence de discussion parlementaire tant ces questions sont cruciales pour l’avenir de la culture. Mais deux éléments de contexte, étroitement liés à la crise sanitaire, incitent à la rapidité, et donc à accepter le recours à des ordonnances plutôt qu’à des lois.
- D’une part, alors que les rémunérations des artistes-auteurs ainsi que celles de l’ensemble des acteurs culturels sont très fortement impactées par la crise sanitaire, percevoir rapidement les droits d’auteurs sur la diffusion numérique de leurs œuvres leur est plus que jamais indispensable.
- D’autre part les télévisions, sur lesquelles reposent en France une part essentielle du soutien à la production cinématographique, ont vu drastiquement décroître leurs revenus publicitaires alors qu’en revanche les plateformes numériques se sont considérablement enrichies pendant la crise sanitaire, tout particulièrement pendant la période de confinement.
Dans un cas comme dans l’autre, la mise en place des conditions d’équité et de solidarité relève donc de l’urgence : « La transposition de ces deux directives revêt aujourd’hui un caractère primordial pour les créateurs, car la crise sanitaire a fortement impacté leurs rémunérations. Il est indispensable que le Gouvernement prenne les mesures nécessaires pour les transposer le plus rapidement possible », a souligné la ministre.
Le financement de la création par les plateformes numériques. Le troisième point sur lequel a été demandé – et obtenu – l’habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance concerne l’obligation de financement de la création française par les plateformes numériques même quand leur siège n’est pas installé sur le territoire national. Il s’agit là de la large problématique de la contribution des Gafam au financement de la vie culturelle et, au-delà, de leur contributions aux rentrées fiscales nationales.
L’objectif est double : rétablir l’équité entre diffuseurs nationaux et plateformes étrangères et, surtout, assurer la pérennité du dispositif français de soutien à la création au bénéfice des créateurs eux-mêmes.
Tout en exprimant leur réticence de principe vis-à-vis du principe de législation par voie d’ordonnance, les sénateurs ont adopté à l’unanimité les amendements du Gouvernement. Ce commentaire d’un sénateur : « Le Parlement n’aime pas les ordonnances mais il aime la culture. Avis favorable. »
A télécharger
- La vidéo de la séance publique du 8 juillet 2020
- L’article de la Lettre d’Echanges n°171 (avril 2019) : “La régulation culturelle : un enjeu majeur des politiques européennes”