“Capitale des Alpilles”, la ville de Saint-Rémy-de-Provence (près de 10 000 habitants) bénéficie d’une renommée internationale, en particulier pour son exceptionnelle richesse patrimoniale. Mais cette terre de Provence est également réputée pour la beauté de son cadre géographique. D’où l’articulation entre enjeux culturels et environnementaux, sous le signe d’une conception des droits culturels qui confère une place centrale à l’écoute des habitants et à leur participation, la pierre angulaire du projet culturel porté par Gabriel Colombet, 3e maire-adjoint en charge de la culture, du patrimoine religieux et des séniors de la Ville, conseiller communautaire de la communauté de communes Vallée des Baux-Alpilles et 1er vice-président du Conservatoire de musique du Pays d’Arles. Entretien.
La nouvelle équipe municipale s’inscrit-elle dans la continuité de la précédente ou en rupture ?
Nous sommes dans la continuité politique et j’ai la volonté de m’inscrire dans tout ce qui a été déjà construit, notamment pour ce qui est de la programmation culturelle, de très grande qualité et accessible au plus grand nombre, populaire au meilleur sens du terme. Mais je souhaite aussi y mettre ma marque propre.
Ce mandat a-t-il une correspondance avec votre activité professionnelle ?
Aucunement, car je suis enseignant en sciences économiques et sociales dans un lycée agricole. C’est d’ailleurs très enrichissant d’apporter une autre vision dans un champ qui n’est pas le sien. Mais l’éducation, qui constitue aussi une partie essentielle de la culture, est présente dans mon projet culturel. Sans culture comme, sans éducation, le monde se paupérise.
Comment décririez-vous votre territoire ?
“Capitale” des Alpilles, Saint-Rémy-de-Provence est une petite ville (moins de 10 000 habitants). Mais son nom est connu dans le monde entier. Elle bénéficie d’un patrimoine historique et culturel absolument exceptionnel : quinze monuments classés, sept inscrits et deux “musées de France”, dont le musée municipal des Alpilles, consacré à l’ethnologie. Nous avons également la salle de spectacle, L’Alpilium, avec une jauge d’un peu plus de mille personnes debout et 500 assises, une médiathèque que fréquentent 20% des administrés, soit plus de 2 000 adhérents, ainsi qu’une pépite : le Conservatoire de musique (200 élèves) géré par un syndicat intercommunal réunissant la Ville de Saint-Rémy-de-Provence (membre fondateur) et la communauté d’agglomération Arles Crau Camargue Montagnette.
Quelle est la fonction première d’une politique culturelle au sein d’un projet municipal ?
Son but est de rassembler. Par ailleurs, et même si nous avons beaucoup de structures scolaires sur la commune, la population est un peu vieillissante. La municipalité de Saint-Rémy oriente donc son action culturelle vers le transgénérationnel. Un rôle qui correspond pleinement à la culture. La culture se doit de tisser des liens.
Les gens ont de plus en plus besoin de se parler. On catalogue les jeunes comme violents, irrespectueux… Peut-être certains, mais essayons de discuter avec eux. Nous concevons ainsi tout notre projet en partenariat à la fois avec le monde associatif et avec les scolaires, à l’instar des mercredis thématiques dédiés aux publics jeunes qu’organise le musée municipal.
Les notions de droits culturels contribuent-elles à la structuration de votre projet ?
Je suis très sensible à la notion de droits culturels. Un exemple précis. Après les élections municipales, j’ai tout de suite réuni tous les services culturels, soit une vingtaine d’agents, en leur demandant qu’on instaure un dialogue pour construire un véritable projet. Il est important de montrer que les services – médiathèque, musées… – se parlent entre eux et se concertent autour d’une thématique bien précise. D’où un projet particulier, “G Graine” :
Nous sommes en ce moment victime d’abattage de platanes. Ces arbres, qui font partie de la culture provençale, sont malades du chancre coloré. Un véritable crève-cœur pour les Saint-Rémois. Dans les années 20, il y avait un arbre emblématique à Saint-Rémy, un gros ormeaux dont un morceau est exposé au musée des Alpilles. Un siècle après on en parle encore, ce qui laisse imaginer la grande sensibilité des gens pour la nature.
Voilà une approche concrète de la notion de droits culturels pour tous : d’une part aller voir les citoyens, les interroger pour connaître leurs histoires, petites ou grandes – nous avons tous une histoire avec un arbre –, et s’inspirer de leur sensibilité pour construire un projet culturel. Ce seront les jeunes des écoles qui iront discuter avec les gens, les questionner pour, au final, produire une exposition sur la thématique de l’arbre mettant en valeur le ressenti de chacun. Elle sera présentée dans les rues de Saint-Rémy, là où tout le monde circule, sans qu’il soit nécessaire d’avoir un billet, et accompagnée d’un spectacle d’arts de la rue. Alors que certains n’osent pas entrer dans un musée, l’avantage de la rue est d’être un espace démocratique, ouvert à tous.
Cette culture qui va vers les gens constitue à mes yeux une belle incarnation de ce que représente la notion de droits culturels. La sensibilité et la mémoire de chacun constituent une réelle richesse patrimoniale. Pour ma part, j’explique qu’il n’y a pas de “petit” patrimoine. Avec ce projet, ce sera aussi de la mise en valeur du patrimoine au travers d’une action politique qui s’appuie sur la participation citoyenne et s’inscrit dans la dimension transgénérationnelle.
Quelle place donnez-vous à la vie associative ?
Il faut profiter du tissu local associatif pour enrichir nos projets, en associant bien sûr aussi les artistes. Là réside la force d’un projet culturel. Beaucoup d’artistes sont installés sur la commune. Nous avons également des associations culturelles. Le musée Estrine à Saint-Rémy-de-Provence et son centre d’interprétation de Vincent Van Gogh, par exemple, reçoivent des artistes extraordinaires. Cela peut paraître prétentieux, mais il faut reconnaître la richesse culturelle de notre territoire. Les habitants le savent et en sont fiers.
Concevez-vous une articulation entre enjeux culturels et environnementaux ?
Le projet “G Graine”, socle fondamental de la politique culturelle que je souhaite mener, correspond totalement à la perspective du croisement entre enjeux culturels et environnementaux. Cette thématique particulière sera développée selon trois axes : culturel, environnemental et intergénérationnel.
Le socle fondamental de la politique culturelle que je souhaite mener sera développé selon trois axes : culturel, environnemental et intergénérationnel.
Au-delà des atouts culturels de Saint-Rémy, avez-vous identifié des faiblesses ?
Beaucoup de citoyens, qui ont parfois de la difficulté à accepter le distinguo entre culture et animation, souhaiteraient plus de têtes d’affiche alors qu’à mon sens l’essentiel demeure de construire un véritable projet culturel. La culture n’est pas qu’un événement… Et de ce point de vue la programmation de L’Alpilium, construite chaque année sur une thématique particulière, est remarquable, avec des artistes de très grand talent.
Vos rapports avec l’intercommunalité ?
Je suis très attaché à mon intercommunalité. Mais aussi à ma commune et surtout à mon indépendance. La question se pose aujourd’hui de savoir si on intègre la Métropole marseillaise… J’y suis fortement opposé. A l’échelle de l’actuelle communauté de communes, nous avons fait le choix de ne pas transférer la gestion de nos équipements, ce qui n’empêche aucunement de développer certains projets communs, comme par exemple l’organisation d’une séance pour les scolaires sur l’ensemble du territoire de l’EPCI en partenariat avec l’association saint-rémoise “Musicades er Olivades” avec laquelle nous programmons des concerts classiques dans le cadre de la saison culturelle. L’objectif, qui est de faire découvrir la musique classique aux jeunes de l’intercommunalité, relève de notre responsabilité, car nous sommes la seule commune à disposer d’une salle adaptée à ce type de concerts.
L’EPCI a-t-il la compétence culturelle ?
Non, et je me battrais jusqu’au bout pour qu’elle ne la récupère pas. L’action culturelle ne prend pleinement sens qu’au travers d’une connaissance précise de son territoire : comment peut-on mesurer avec pertinence les besoins d’une petite commune de 2 000 habitants située à 30km de chez soi ?
Vos relations avec le Département, la Région ? Qu’attendez-vous de la DRAC ?
En matière culturelle, les autre échelons de collectivités sont des partenaires essentiels. La Région est un peu lointaine, mais elle nous aide si on la sollicite. Le Département, en revanche, apporte des financements aux communes.
Quant à la DRAC, elle est à nos côtés pour nous aider et nous accompagner, surtout pour les opérations de restauration du patrimoine mais aussi pour des projets d’action culturelle comme par exemple les ateliers jeunesse du musée des Alpilles, qu’elle finance. Je note aussi l’importance de la fonction de conseil de la DRAC, notamment d’un point de vue juridique mais aussi pour l’expertise scientifique. Il est aujourd’hui indispensable de disposer de tels services de l’Etat. Cela étant, on a tellement “serré la vis” aux services des DRAC qu’aujourd’hui ils sont presque en sous-effectif ; il est d’autant plus important d’entretenir avec les services déconcentrés de l’Etat de très bonnes relations pour conserver leur précieuse aide.
Avez-vous bénéficié du plan du ministère pour les bibliothèques “Ouvrir plus, ouvrir mieux” ?
Je n’ai pas entendu parlé de ce plan, mais je vais me renseigner. D’autant plus qu’après avoir beaucoup financé l’adaptation numérique de la médiathèque, nous prévoyons maintenant d’ouvrir prochainement une artothèque afin de mettre davantage en valeur la richesse du territoire en artistes locaux.
Que pensez-vous des Conseils locaux des territoires pour la culture ?
Je ne connais pas ces instances. Pour ma part, j’aimerais pouvoir évoquer des projets culturels avec d’autres élus en responsabilité. Cela leur apporterait de l’envergure. Oui, il y a un manque. Il n’est pas facile d’être entendu.
La crise sanitaire a-t-elle été l’occasion d’inventer de nouvelles formes d’action ?
Plutôt renforcer qu’inventer. Ce que nous avons fait pour le numérique, par exemple en dématérialisant nos cercles de lecture à la bibliothèque municipale, en mettant en place un drive et en développant le dispositif “Culture à domicile”, réservé aux personnes de plus de 70 ans ou en situation de handicap, temporairement ou non. La culture est l’une des premières victimes de la crise sanitaire. Comment faire ? Annuler, déplacer, reporter les spectacles ? Notre aide est concrète. Nous essayons de reporter et non d’annuler. Mais je ne dispose pas des moyens du ministère de la Culture… L’Etat agit, mais il doit faire vite.
Que vous apporte la FNCC ?
Saint-Rémy est adhérente depuis plusieurs années déjà. On a besoin d’une oreille, d’être écouté, d’avoir un conseil, de dialoguer. C’est là à mon sens le rôle de la FNCC. Un rôle fondamental. J’apprécie aussi le fait que la Fédération travaille sur l’ensemble du territoire et aussi sa dimension très familiale. J’ai appelé plusieurs fois les services. On m’a toujours répondu immédiatement, envoyé un email…
Propos recueillis par Vincent Rouillon