Partie prenante de l’EPCI Tours Métropole Val de Loire (près de 300 000 habitants) en Indre-et-Loire, Saint-Pierre-des-Corps compte 16 000 habitants. Ville au passé très tourné vers le rail, avec une population socialement fragile et d’importantes communautés d’origine étrangère (Maghreb, Portugal), Saint-Pierre-des-Corps a connu en 2020 une alternance politique. Mickaël Chapeau, maire-adjoint à la culture et primo-élu, fait part des enjeux spécifiques liés au changement de majorité. Chanteur lyrique de profession, il souhaite davantage ouvrir les politiques culturelles de la Ville, longtemps concentrées autour du livre et de la lecture publique, à l’ensemble des diverses dimensions artistiques et culturelles. Avec un enjeu majeur : préserver un héritage tout le renouvelant.
La nouvelle équipe municipale s’inscrit-elle dans la continuité de la précédente ?
Nous sortons de presque cent ans d’une même gouvernance… Donc obligatoirement un changement. Mais un changement dont j’espère que, pour la culture, il se fera en douceur. Le nouveau maire, Emmanuel François, a construit sa liste autour de personnes sans passé politique, au titre de leurs compétences professionnelles. Il s’agit d’une liste sans étiquette, mais comme nous étions la seule liste non partisane face à cinq listes de gauche, nous sommes forcément perçus comme de droite. Je sais donc que, même si je reste dans une certaine continuité, le risque de réticences demeure. Mais cela devrait pouvoir s’estomper au fil du temps.
Le mandat à la culture relève-t-il d’un choix ?
Pour ma part, je suis depuis vingt ans chanteur à l’Opéra de Tours. Une profession à laquelle je n’étais pas destiné, car juriste de formation. Mon parcours est totalement atypique, ce qui me servira sans doute ces prochaines années : pour moi, la culture peut amener les gens à autre chose. La capacité d’ouverture aux possibles qu’elle peut apporter est à mes yeux fondamentale.
Pour ce qui est du mandat à la culture, c’est bien choix de ma part. Le maire m’a proposé de participer à son équipe parce que j’étais musicien. Ce qui d’ailleurs présente à la fois des avantages et des inconvénients. Côté avantages, la connaissance des réalités et des enjeux artistiques et culturels, ou encore des contrats, de la façon dont se monte un spectacle, de ce que cela représente pour l’emploi artistique… Par exemple, en ce moment de crise sanitaire, nous avons réussi à conserver la programmation des spectacles pour enfants au Centre culturel. On a reçu de nombreux appels de directrices et de directeurs d’école pour des réservations, bien au-delà de la seule ville de Saint-Pierre-des-Corps. J’ai proposé une plan pour quatre classes de la même école, afin d’éviter les mélanges, ce qui a permis de donner du travail à des artistes – et je sais combien c’est important, surtout en ce moment. En revanche, cette connaissance intime de la culture me pousse parfois à vouloir aller trop vite…
Quelle est la particularité de votre territoire ?
Nous sommes à côté de Tours, avec un quartier prioritaire où vit environ un tiers de la population de la ville – ce qui est énorme – et un autre en “politique de la ville”. Une réalité que nous devons prendre en compte. Beaucoup de gens ont des difficultés d’accès à la culture, avec bien souvent des personnes âgées, et une présence importante de personnes d’origine étrangère. Nous devons avoir cela à l’esprit. Par exemple, pour le moment, la bibliothèque ne propose pas de livres en langue arabe – nous n’avons personne de compétent en mesure de les choisir. Ou encore : pour la carte gratuite de la bibliothèque que nous proposons à tous les élèves de CP, je me suis aperçu que même le très simple formulaire d’inscription restait difficile à remplir pour des gens ne maîtrisant que peu le français, d’où la décision de les remplir nous-mêmes.
De manière plus générale, Saint-Pierre-des-Corps est une ville dont une grande part de la population vit en situation de fragilité sociale : 36,5% des habitants des quartiers prioritaires sont des demandeurs d’emploi alors que la moyenne régionale n’est que de 12,6%. A quoi il faut ajouter une grande densité de population. Donc beaucoup de monde et beaucoup de monde fragile.
Autre particularité : la ville développe depuis plus de 50 ans des activités d’animation lecture. Il y a eu une extraordinaire place faite au livre, avec notamment une Quinzaine du livre jeunesse. Dès lors, d’autres dimensions culturelles sont moins présentes. Notre Centre culturel, par exemple, l’un des seuls de la Région, propose deux têtes d’affiche par an, le reste de la programmation étant consacré à l’action culturelle et à la médiation.
La culture est synonyme de lien et de partage. Avec la culture, on arrive à mélanger des gens qu’on aurait du mal à mettre autour d’une table.
Aujourd’hui, je souhaite qu’on puisse développer une plus grande ouverture aux différentes expression artistiques, certes dans la continuité et en conservant l’apport des politiques de lecture publique, mais avec une offre plus variée. J’aimerais que les enfants puissent développer le même rapport aux autres dimensions de la culture que celle qu’ils entretiennent avec le livre. Dans cet esprit, je me suis par exemple intéressé aux micro-folies.
Par ailleurs, dans une ville où, pour des questions d’éducation et de moyens, la population n’a pas aisément accès à la culture, c’est un réel atout que d’avoir un centre culturel qui, avec de nombreux ateliers dans la ville, pratique des tarifs exceptionnels. Cela vaut aussi pour l’Ecole de musique, l’inscription ne coûtant qu’une dizaine d’euros par mois, que ce soit pour les ateliers de musique, de danse ou d’arts plastiques.
Quelle est à votre sens la fonction politique de la culture ?
Le lien et le partage entre toutes les populations, aussi différentes soient-elles. Je voudrais développer la transversalité, entre les équipements, entre services, entre les publics. C’est ainsi que, pour la première fois, nous avons décidé de monter un petit festival mobilisant à la fois l’école de musique, le Centre culturel et la bibliothèque – un projet malheureusement annulé pour cause de crise sanitaire. Mais cet été nous avons quand même réussi à organiser un événement culturel, tant était grand le nombre de spectacles annulés, avec deux séances de cinéma en plein air. Son succès a témoigné d’un besoin d’ouverture et de partage. Oui, la culture est synonyme de lien et de partage. Avec la culture, on arrive à mélanger des gens qu’on aurait du mal à mettre autour d’une table.
Nous avons aussi en projet de créer des CHAM [classes à horaires aménagés musique], facteurs très efficaces de mixité des élèves dans les écoles. Certes, l’ouverture ne se fera que peu à peu et les premiers inscrits seront sans doute des personnes venant d’au-delà de la ville ; mais j’ai bon espoir qu’au bout de quelques années les habitants de Saint-Pierre-des-Corps se diront que c’est aussi pour eux.
Les grandes lignes de votre projet culturel municipal ?
Tout d’abord la transversalité, notamment entre les équipements placés sous la responsabilité directe de l’adjoint à la culture : le Centre culturel, la bibliothèque, l’école de musique, un studio d’enregistrement et les archives. Puis l’accès à la culture pour toutes et tous et la convivialité culturelle – car dans notre ville il n’existe a pas de lieu pour qu’elle puisse vraiment se déployer –, mais également le soutien aux artistes du territoire, à peu près au nombre de 200. Nous bénéficions en effet de l’action d’un mécène qui a installé des ateliers d’artistes dans des entrepôts de 15 000m2, ce qu’on appelle les “Ateliers de la Morinerie”. Je souhaite aussi développer les pratiques en amateur et en particulier monter un orchestre à l’école, soit au collège, soit dans le primaire, auquel cas cette première sensibilisation pourrait trouver son prolongement dans les futures classes CHAM.
Y a-t-il une Smac pour la prise en compte des pratiques des musiques actuelles ?
Non, mais il existe, sous responsabilité de la Métropole, un très beau centre d’enregistrement avec un studio de répétitions – le Quai des Gammes – dont l’activité est pour le moment paralysée par une situation de conflit interne ; j’espère pouvoir le rendre à nouveau opérationnel. Il faut préciser que nous proposons de très nombreux ateliers, de danse, de théâtre, d’arts plastiques… qu’une offre au Quai des Gammes pourrait utilement venir compléter.
Vos principales ressources culturelles ?
Nous avons des lieux exceptionnels. Tout ici est très grand. Nous allons recruter un directeur des affaires culturelles. Il y a en effet beaucoup de travail en matière de culture. On développe une politique de la ville qui s’appuie sur la culture, idem pour la Maison de la jeunesse et des sports… Nous disposons également d’une salle des fêtes d’à peu près 700 places : un espace immense, avec une grande scène mais encore dépourvu d’équipements techniques son et lumière, et qui n’a jamais fonctionné, si ce n’est pour des auditions de l’école de musique ou les CA des associations. Il y a par ailleurs le Centre culturel, de 350 places, l’immense bibliothèque (plus de 2 000m2) et enfin l’école de musique, avec un magnifique auditorium en bois. Tout cela est neuf et très bien conçu, concentré autour de la mairie et central dans la ville. On passe très facilement d’un équipement à l’autre.
Pendant ce mandat, mon travail sera de revoir l’organisation de l’ensemble de ces ressources, de transformer la salle des fêtes en un lieu de spectacle dynamique, ouvert aux tourneurs, car pour l’heure c’est essentiellement hors de Saint-Pierre-des-Corps qu’on va au spectacle, la Ville s’étant davantage concentrée sur la médiation que sur la diffusion et la création. Et puis continuer le travail de médiation au Centre culturel, situé juste en face de la salle des fêtes.
Disposez-vous d’une équipe au service culturel ?
Ma première action a été de mettre en avant les services que propose la Ville lors de la réunion du Forum des associations. C’est ainsi que, malgré la covid, nous avons réussi à remplir l’école de musique. Quant au service des archives, il a reçu trois propositions de dons. En modifiant petit à petit les pratiques, les habitudes, on arrivera à diversifier le dynamisme culturel de la ville. Il faut construire sans rien briser. Comme le dit le président de la FNCC, “d’abord continuer, puis commencer”.
Qu’est-ce que vous attendez de la FNCC ?
Je suis très satisfait que notre Ville soit adhérente. Le mélange des natures de collectivités et des idées de chacun m’a beaucoup intéressé. C’est un peu comme au Syndicat des artistes musiciens (SNAM) dont je fais partie : le partage d’expérience s’avère toujours très fertile. Par ailleurs, en tant que primo-élu et sans aucune formation à l’exercice d’une responsabilité politique, j’ai été épaté par la formation sur la prise en main du mandat à la culture. Je m’en suis immédiatement servi. D’ailleurs, dans l’équipe, je suis le seul depuis juillet à avoir réuni sa commission, par deux fois. Dès la première, j’ai transmis tout ce que j’avais entendu à la formation FNCC, en soulignant que l’identification d’un certain nombre d’axes généraux – en l’occurrence la transversalité, convivialité et accès à la culture, l’accompagnement de la création locale et le soutien aux pratiques en amateur – permet de justifier et de légitimer les décisions prises. Donc une sorte de mini-formation à partir de celle de la FNCC dispensée à tous mes collègues.
Propos recueillis par Vincent Rouillon