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ActualitésQuestions territoriales

Relations entre l’Etat et les collectivités : pour un fonds “10% territoires”

Par 18 novembre 2021novembre 22nd, 2021Aucun commentaire

La commission culture du Sénat a initié au début de l’automne une mission sur les modalités de mise en œuvre du Plan de relance pour la culture dans le domaine de la création et, plus spécifiquement, sur la concertation – ou la non-concertation – entre les collectivités et l’Etat dans le fléchage des crédits nationaux. Ce travail, réalisé par les sénatrices Sonia de La Provôté (UC) et Sylvie Robert (PS) – et pour lequel le président de la FNCC a été auditionné – ne relève aucunement d’une dénonciation d’un manque d’engagement mais, tout au contraire, d’un regret que la volonté politique, forte et nécessaire, tende à manquer une part de son objet du fait d’une trop faible concertation avec les collectivités. Pour autant, les préconisations des sénatrices vont au-delà d’un simple ajustement pour brosser un réel changement de paradigme dans les modalités de la relation financière entre l’Etat et les pouvoirs locaux. Notes. 

Déjà, dans son rapport flash de septembre dernier sur “le soutien du ministère de la Culture au spectacle vivant pendant la crise de la Covid 19”, la Cour des comptes relevait que « la liste des bénéficiaires fait apparaître une relative concentration des aides au bénéfice des plus structurés ». Cette tendance à épauler davantage les acteurs et institutions culturelles les plus visibles semble également prévaloir dans l’emploi des crédits du Plan de relance de la culture.

Sylvie Robert, sénatrice (PS, Ille-et-Vilaine), vice-présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, membre de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation

Les DRAC compensent certes pour une part cet “angle mort” mais la distorsion entre la vie culturelle territoriale réelle de la culture et sa visibilité nationale a des sources structurelles et historiques.

Le rapport d’information sur “la réalité de la mise en œuvre du Plan de relance en faveur de la création”, intégré dans la Loi de finances 2021 et déjà largement exécuté dès cet hiver, conclut à une même distorsion en faveur des opérateurs nationaux mais aussi privés. C’est-à-dire à un moindre soutien aux acteurs publics portés par les collectivités.

De fait, le point d’entrée du travail des sénatrices, toutes deux également membres de délégation aux collectivités territoriales, consistait à interroger les élu.e.s locaux sur le degré de concertation entre l’Etat et les collectivités ayant présidé aux choix des bénéficiaires du Plan de relance. Une approche qui, au-delà du contexte particulier des aides exceptionnelles en temps de crise sanitaire puis en accompagnement, toujours sur un mode d’exceptionnalité, traduit la nécessité d’un double effort. Effort d’une part pour une déconcentration accrue des crédits de l’Etat – plus de marges de manœuvre pour les DRAC – et, d’autre part, pour un approfondissement de la décentralisation : davantage de dialogue entre les DRAC et les collectivités.

Ni la Cour des comptes ni le rapport d’information du Sénat ne contestent le soutien majeur et salutaire qu’a apporté l’Etat pour préserver le secteur de la création des impacts de la crise sanitaire et préparer la reprise de ses activités. Les crédits engagés « jouent un rôle primordial pour éviter la disparition de certaines structures. L’inscription de crédits spécifiques au profit de la création au sein même de la mission Plan de relance est le signe de l’importance qu’accorde l’Etat à la reprise rapide et durable de ce secteur. En ce sens, elle peut être lue comme une reconnaissance de sa contribution au développement économique et au rayonnement de notre pays. » De surcroît, les sénatrices saluent « un pilotage spécifique garantissant une bonne consommation des crédits », via une organisation dédiée : un comité de pilotage du plan France relance et un comité de suivi avec les DRAC.

Ce n’est pas un manque de volonté politique qui est dénoncé mais les modalités de son déploiement et de son adaptation à la réalité de la vie culturelle.

Trop peu de crédits déconcentrés. Le rapport diagnostique « une répartition des crédits centrée sur les entreprises privées du spectacle vivant et les grands opérateurs nationaux franciliens ». Ce secteur privé (et/ou associatif) absorbe 40% des crédits du Plan de relance destinés à la création, au bénéfice d’acteurs qui n’étaient pas ou peu soutenus financièrement jusqu’alors : petites structures, lieux de diffusion pour la jeune création, théâtres privés, artistes via la commande artistique… Sur le versant public, 30% des crédits sont venus en soutien aux opérateurs nationaux de la création, dont 91% au bénéfice de l’Opéra national de Paris, de la Comédie française et de l’établissement public du Parc et de la grande Halle de la Villette. Résultat : « Seuls 20% des crédits du Plan de relance sont déconcentrés. »

Cette part déconcentrée du Plan de relance pour la culture, chiffrée à 80M€ – à laquelle il faut ajouter les aides du Centre national de la musique, essentiellement pour le spectacle vivant musical privé –, est destinée aux institutions, labels, réseaux et équipes en régions via « une répartition [qui] demeure néanmoins aléatoire » dans la mesure où elle ne repose « sur aucune réelle estimation préalable des besoins de chaque territoire ». Avec notamment comme conséquence « une faible prise en compte des besoins du secteur des arts visuels ».

Sonia de La Provôté, sénatrice (UC, Normandie), secrétaire de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, membre de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation

Dialogue “contrasté” avec les collectivités. L’un des outils du rapport consistait en un questionnaire adressé aux élu.e.s locaux. Avec cette question : “Avez-vous été consulté sur vos besoins en amont de l’élaboration du Plan de relance ?” Réponse : “oui” à 1%, “plutôt non” à 25% et “non” à 69%. Commentaire : « Le dialogue avec les collectivités s’est limité à des discussions bilatérales menées par les DRAC en fonction des soutiens octroyés au titre du Plan de relance. Ces modalités de fonctionnement n’apparaissent pas optimales, puisqu’elles réduisent l’effet de levier qu’auraient pu avoir les crédits du Plan de relance et peuvent être à l’origine de carences ou d’un doublonnement des actions. »

Pourtant, la volonté d’une plus grande écoute des collectivités fait partie des priorités actuelles du ministère de la Culture, ce dont témoignent la création de la nouvelle Délégation générale à la transmission, aux territoires et à la démocratie culturelle (DG2TDC) ainsi que la mise en œuvre du réseau des Conseils locaux des territoires pour la culture (CLTC). L’arrivée à l’improviste de la crise sanitaire a agi comme un aiguillon pour ce nouvel effort de structuration du dialogue territorial, mais ces nouveaux outils restent jeunes et peinent encore à prévaloir contre des habitudes centralisatrices et descendantes héritées de plus de 50 ans de pratiques de l’Etat culturel.

Ainsi, à la question “Etes-vous satisfaits du fonctionnement du nouveau Conseil régional de territoires pour a culture ?”, le taux de réponse n’est que de 2% pour le “oui”, de 22% pour le “plutôt oui” ; il est de 43% pour le “plutôt non” et de 33% pour un “non” simple. La réalité demeure : « Faute de temps et de moyens humains suffisants, certaines DRAC ne semblent pas être véritablement parvenue à soutenir des petites structures qui passaient jusqu’ici sous le radar du ministère. » Et le recours à la procédure des appels d’offres (« chronophage et fastidieuse »), structurellement plus ouverte que celle des subventions, n’a pas su effacer les angles morts
Propositions. De ces regrets, Sonia de La Provôté et Sylvie Robert concluent à quatre grandes propositions qui, toutes, si elles ciblent la période du Plan de relance (d’ailleurs jugée trop courte), engagent vers un renouveau durable et en profondeur des modalités de soutien du ministère de la Culture à la création culturelle et artistique en général, vers une nouvelle forme de gestion “ordinaire”, et non exceptionnelle, du budget culturel de l’Etat et de ses liens avec les collectivités territoriales.

  • Maintenir un soutien à la relance au-delà des années 2021-2022, car « le risque de disparition d’un nombre important de structures et d’artistes ne peut encore être écarté » puisque le retour à la normale est espéré au mieux en 2023.
  • Aider les établissements à reconquérir et étendre leur public, tant il semble d’ores-et-déjà évident que « le retour du public dans les lieux de création apparaît comme l’un des enjeux majeurs de cette période de reprise ». Pour restaurer un « climat de confiance stable », le rapport préconise trois pistes : mieux informer via Internet, veiller à la proportionnalité des mesures de restriction de l’accès aux équipements culturels et faire du développement des réservations pour les spectacles (et des pratiques via le Pass Culture) un priorité pour 2022.
  • Mieux connaître et informer les professionnels du secteur. La pandémie a en effet mis à jour « des faiblesses au niveau des enceintes de discussion avec l’Etat et les collectivités territoriales et une vraie lacune en termes de connaissance des arts visuels ». En clair, le ministère doit pouvoir mieux voir la réalité artistique et culturelle sur tout le territoire via la généralisation des Coreps mais aussi par des concertations de filière sur l’exemple des Schéma d’orientation des arts visuels (Sodavi).
  • Rendre possible une véritable co-construction des politiques culturelles avec les collectivités territoriales. Les sénatrices rejoignent ici l’un des points majeurs pour l’avenir des politiques culturelles publiques promu par la FNCC : lutter contre la faiblesse persistante du dialogue entre collectivités et avec l’Etat. Le rapport note que « l’Etat et les collectivités territoriales ont trop souvent répondu à la crise sanitaire en parallèle plutôt qu’en interaction, faute de dialogue suffisant, en dépit des progrès réalisés avec la mise en place progressive des CTC dans les régions ». Un « véritable partenariat » s’avère nécessaire, en particulier d’un point de vue financier, et ce d’autant plus que « les finances des collectivités ont été mises à rude épreuve par la crise ».

Trois pistes :

  1. « Consacrer, au niveau national et dans chaque région, une réunion du CTC à évaluer en commun la mise en œuvre à mi-parcours du Plan de relance.
  2. « Achever la mise en place des CTC dans l’ensemble des régions et en faire de véritables instances opérationnelles d’échanges et de consultation des collectivités territoriales débouchant sur des décisions concertées.
  3. « Réserver chaque année 10% des crédits d’intervention déconcentrés à des projets choisis avec les collectivités, sous réserve que ces dernières s’engagent à maintenir le niveau global de leurs subventions à la création (fonds “10% territoires”). »

Seule une « contractualisation plus poussée entre l’Etat et les collectivités » pourrait permettre de mieux répondre aux besoins des territoires, « tout en évitant que certaines collectivités ne soient tentées de se désengager financièrement ».


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Rapport d’information : “Convertir le plan de relance pour la création en une reprise durable et soutenable”