Alors que des propos très sombres sur l‘avenir du cinéma se multiplient, mettant en exergue une tendance à la désaffection des sorties en salle au bénéfice des écrans numériques individuels provoquée par la crise sanitaire tout juste passée, la commission culture du Sénat a mené une mission d’information dont les résultats sont marqués d’un très net et documenté optimisme.
Pour les trois sénateurs de la mission d’information – Céline Boulay-Espéronnier (LR, Paris), Sonia de La Provôté (UC, Calvados) et Jérémy Bacchi (CRCE, Bouches-du-Rhône) –, « la France entretient avec son cinéma une histoire d’amour au long cours » ; une relation unique à la source du « fabuleux destin du cinéma français » que la violence de la pandémie de Covid n’a fragilisé qu’un temps, comme le confirme les 19 millions d’entrées comptabilisées ce mois d’avril 2023, soit une augmentation de 2,7% par rapport à la moyenne des entrées sur ce même mois pendant la période pré-Covid 2017-2019. Les sénateurs notent en particulier que le mouvement d’habituation aux écrans individuels au détriment de la sortie en salle s’est inversé, préparant ainsi « la revanche de la salle ».
La France, “terre de cinéma”. La solidité du cinéma français, qui se mesure essentiellement en comparaison avantageuse avec son « concurrent » américain, tient à trois dynamiques complémentaires : la richesse et la diversité de l’offre de films (en progression de 163% depuis 1994), « un succès populaire jamais démenti » et une structuration de la filière dans laquelle les financements publics comptent pour un quart (3,8€ de soutien public par billet vendu pour un films français), avec pour opérateur central le CNC, « bras armé du soutien public ».
Les questionnements. La cohésion de cet écosystème singulier est notamment portée par « un double système en faveur de la diversité et de l’accessibilité des œuvres » : les engagements de programmation avec, par exemple, un pourcentage de séances en salle réservé aux œuvres peu diffusées, et les engagements de diffusion qui concernent les distributeurs et assurent en particulier l’accessibilité des œuvres peu diffusées, notamment dans les salles Art & Essai. Elle se fonde aussi, du point de vue financier, sur des obligations d’investissements des diffuseurs (chaînes de télévision et, plus récemment, plateformes numériques).
Pour autant, les sénateurs ont identifié deux points de fragilité. Le premier, structurel, est celui de la surproduction, essentiellement de “petits films” (au budget inférieur au million d’euros) tant par rapport aux capacités de diffusion des salles que de disponibilité des spectateurs, la croissance de la fréquentation ne suivant pas celle de la production. Le second est d’ordre financier : lié au soutien public, « le modèle de “pré financement” peut pousser le producteur à investir dans des projets sans en supporter réellement le risque ».
Les propositions. C’est « à consolider la position éminente du cinéma dans le cœur du public et à maintenir l’équilibre entre art populaire et recherche, mais également à l’adapter à la nouvelle donne du 21e siècle » (notamment aux constantes évolutions techniques) que s’attachent les 14 propositions avancées par la mission d’information, dont l’une est le dépôt prochain d’une proposition de loi pour introduire les modifications législatives nécessaires à la mise en œuvre de leurs préconisations :
- adapter les mécanismes de soutien du CNC afin de privilégier des productions mieux financées et mieux distribuées,
- adapter et renforcer le cadre des engagements de programmation et de diffusion,
- faire évoluer les modalités du classement Art et Essai et, en conséquence, le soutien qui y est attaché (une préconisation qui rejoint celle du rapport “Lasserre” Cinéma et régulation, remis aux ministres de l’Economie et de la Culture le 3 avril).
- favoriser le renouvellement des jeunes publics en fixant, en partenariat avec les collectivités locales, l’Etat et les exploitants, un “grand plan” pour amener les scolaires dans les salles et en associant le Pass Culture aux œuvres françaises et européennes,
- faciliter le recours des salles (les exploitants) aux opérations promotionnelles en ligne et aux cartes d’entrées illimités en en assouplissant la politique d’agrément.
D’autres propositions s’attachent à l’objectif de « mieux associer le cinéma aux politiques publiques », c’est-à-dire de conforter l’assise des enjeux culturels portés par le cinéma dans le projet politique national global. Cette ambition se traduirait par un conditionnement des aides du CNC à trois impératifs contemporains : le respect des obligations environnementales pour les tournages, la conformité aux règles de rémunération minimales des auteurs et la préservation du patrimoine cinématographique (à noter, dans ce projet global, que l’objectif de l’égalité femme/homme semble considéré comme relevant déjà d’un acquis).
« L’indispensable salle ». “Le cinéma contre-attaque : entre résilience et exception culturelle, un art majeur qui a de l’avenir” : l’optimisme des sénateurs tel que le traduit ce titre de leur rapport s’est nourri d’un intense travail de tables-rondes et d’auditions – dont celles de la FNCC le 17 février – ainsi que d’un déplacement à Martigues. Ces rencontres ont en particulier conforté les sénateurs dans leur conviction que la salle de cinéma constitue un élément majeur et incontournable du dynamisme de la filière cinématographique. Et ce pour plusieurs raisons :
- la période pandémique a servi de test « grandeur nature » pour mesurer la force d’attraction de la salle,
- elle a montré que la salle demeure dans l’imaginaire le lieu naturel où doit se dérouler l’expérience cinématographique,
- que la salle représente une valeur économique non négligeable en elle-même,
- que le passage par la salle de cinéma démultiplie la valeur du film pour la suite de son exploitation,
- et que le cinéma en salle demeure le lieu le plus propice à la création.
Conclusion : « La conjugaison de ces éléments semble donc être pour la salle une forme d’assurance, qui se maintient après la crise pandémique. »