Trois ans après son adoption (7/06/2016), les députés Emmanuelle Anthoine (LR, Drôme) et Raphaël Gérard (LREM, Charente-Maritime) font une première évaluation de la loi Liberté de création, architecture et patrimoine, laquelle « a incontestablement constitué l’un des textes les plus marquants de la XIVe législature ». Leur rapport, qui s’intéresse essentiellement aux aspects patrimoniaux, conclut à des impacts potentiellement positifs. Mais des problèmes de lisibilité freinent leur plein déploiement.
Tout d’abord le temps : « La protection du patrimoine est un domaine où la stabilité des normes est particulièrement importante ; une telle politique, pour être efficace, doit nécessairement s’inscrire dans la durée, s’accommodant mal de règles mouvantes. »
Pour l’heure, « les récentes évolutions législatives apparaissent trop nombreuses pour permettre à l’ensemble des acteurs du patrimoine – qu’il s’agisse des associations, des propriétaires de monuments protégés, des services des collectivités comme des élus – de s’approprier pleinement ces dispositions nouvelles ». Suggestion de fond : l’adoption d’un « principe de non-régression de la loi concernant la préservation du patrimoine ».
Interférence de la loi Elan. « Les évolutions issues de la loi Elan ont été perçues par les acteurs du patrimoine comme négatives en ce qu’elles ont entamé l’effet bénéfique tiré de la loi LCAP. » Par exemple, la loi Elan (évolution du logement, de l’aménagement et du numérique) permet de délimiter un périmètre de protection autour d’un monument historique sans l’aval de l’architecte des bâtiments de France (ABF), son silence valant désormais approbation et non, comme auparavant, rejet. Cette possibilité de contourner l’exigence d’avis conforme de l’ABF « alimente une crainte de régression par rapport à l’état du droit antérieur ».
Indispensables architectes des bâtiments de France. L’importance du rôle des ABF est d’ailleurs au cœur du rapport. Pour la gestion des abords des monuments historiques, « les ABF ont, semble-t-il, été particulièrement moteurs dans bien des cas, ce qui a permis de réaliser un travail très fin sur les territoires » et renforcé le dialogue et la confiance entre eux et les élus pour le plus grand bénéfice de la protection du patrimoine.
Autre remarque : en fusionnant l’ensemble des dispositifs de protection sous le statut unique de “site patrimonial remarquable” (SPR), la loi LCAP a créé de « véritables outils d’attractivité des territoires » dont « les collectivités semblent se saisir plus facilement » que les procédures de classement précédentes. Les députés s’en félicitent mais en notent « le succès encore timide », pour deux raisons : le manque de précision des rôles respectifs de l’Etat et des collectivités et la faiblesse des moyens des ABF – une situation qui « nécessite un renforcement rapide de leurs effectifs ».
Enfin, le choix « judicieux » de faire présider la commission nationale du patrimoine et de l’architecture (CNPA) et les commissions régionales éponymes (CRPA) par des élus a, d’une part, donné aux commissions « plus de poids face aux collectivités territoriales » et, d’autre part, changé le regard des élus locaux sur le rôle des ABF, « ce qui ne peut que contribuer à assurer aux politiques patrimoniales une plus grande cohérence ».
Le frein de l’intercommunalité. Tout comme avec la loi Elan, les députés remarquent des collusions négatives entre d’autres lois et la loi LCAP. Notamment à propos de l’élargissement des périmètres des EPCI. Bien que l’intercommunalité « exprime et incarne la solidarité entre les territoires », son extension peut créer des blocages.
Aujourd’hui, la compétence en matière d’urbanisme a été transférée à l’intercommunalité. Or s’il existe des divergences entre les préoccupations patrimoniales de l’EPCI et celles des communes qu’elle réunit – ce qui peut par exemple se traduire par le refus d’engager l’élaboration d’un plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV, le dispositif de protection le plus exigeant) –, cette tension peut freiner des projets communaux. D’où le blocage d’un certain nombre de PSVM crés avant l’extension des EPCI. Autrement dit, en matière de patrimoine, “l’intérêt communautaire” ne coïncide pas forcément avec l’intérêt communal. Préconisation : permettre que siègent « un plus grand nombre d’élus lorsque l’intercommunalité comporte de nombreuses communes » dans les commissions locales désormais obligatoires pour le classement d’un SPR, pour l’heure composées de cinq membres.
Formation des élus aux enjeux patrimoniaux. Cette plus grande participation des élus aux commissions locales contribuerait également à répondre « au besoin impérieux de formation, aussi bien pour les élus que pour les services des collectivités et de l’Etat ». Les députés notent que le droit à la formation reste parfois théorique. « Il est indispensable d’aider les maires à acquérir les compétences nécessaires à l’exercice de leur mandat en matière de protection, de sauvegarde et de préservation de leur patrimoine – celui-ci constituant un levier reconnu au service du développement économique des territoires. »
Le périmètre “intelligent” autour des monuments historiques constitue l’un des dispositifs que les députés plébiscitent tout particulièrement. Auparavant, deux principes définissaient ce périmètre : un rayon de 500 mètres autour du monument classé et la co-visibilité, c’est-à-dire la protection de tout bâtiment ou espace pouvant entrer dans le même champ de vision que le monument protégé. Désormais, la délimitation n’est plus automatique mais fait l’objet d’un dialogue, sur proposition de l’ABF, après enquête publique, consultation du propriétaire du monument et des communes concernées et obtention d’un accord de l’autorité compétente en matière d’urbanisme. « Les collectivités se sont, de l’avis unanime, très bien approprié le nouveau régime des abords », lequel a « redéfini en profondeur la notion même d’abords ».
Deux réserves sont cependant émises. Ce mode de délimitation des abords tend à la réduction de leur surface (souvent en-deçà des 500 mètres). D’où la suggestion d’une meilleure information. Par ailleurs, en cas d’indivisions réunissant de nombreux copropriétaires, l’obligation de leur consultation s’avère difficile et « chronophage » ; elle devrait être entreprise bien en amont du projet, à sa source, et non se résumer à une formalité obligatoire supplémentaire.
Une grande loi mais une faible appropriation. La loi LCAP « incarne la relation particulière que la France et sa représentation nationale entretiennent avec la culture ». Les prudentes suggestions d’amélioration faites par les députés Emmanuelle Anthoine et Raphaël Gérard montrent que sa plus grande appropriation par l’ensemble des acteurs du patrimoine en grandirait la pertinence et l’efficacité au bénéfice des territoires.