Situé dans le Pays de Gex (Ain), frontalier de la Suisse, la commune de Saint-Genis-Pouilly compte plus de 14 000 habitants, avec une population d’origines très diverses et en pleine croissance, notamment grâce à d’intenses liens avec la métropole du Grand Genève. C’est aussi une population sociologiquement partagée entre des personnes très aisées et des classes peu favorisées, avec un quartier « Politique de la ville » auquel la mairie est particulièrement attentive. Gilles Catherin, dont le mandat comprend, outre la culture, la participation à diverses commissions dont celle de « l’aménagement du territoire et cadre de vie », décrit un politique culturelle soucieuse avant tout de créer du lien : entre les citoyens, entre les structures, entre les cultures, entre les communes du territoire et entre la France et la Suisse.
Quelles motivations pour être élu ?
Je viens d’un milieu plutôt modeste et je dois beaucoup à l’école républicaine, en particulier en ce qu’elle m’a apporté à travers la culture. A mes yeux, la culture porte une dimension politique essentielle, notamment en matière d’égalité des chances et de développement des territoires. Parce que ce sont des valeurs auxquelles je crois, je m’étais promis, à la retraite, de donner un peu de mon temps à des actions à caractère social, dans le bénévolat d’aide aux personnes et en participant à la liste conduite par notre maire au sein de laquelle j’ai expressément demandé le mandat la culture.
Comment décririez-vous votre commune ?
C’est un territoire très particulier : une petite commune, voisine de la grande Genève, incluse dans un bassin de vie d’une centaine de millier d’habitants, avec quatre villes d’importance à peu près égale. En elle-même, la commune héberge plus de 100 nationalités, avec des gens plutôt aisés – notamment les frontaliers, dont ceux qui travaillent dans les organisations internationales à Genève – et des gens relativement pauvres, pour beaucoup issus de l’immigration, d’où la présence d’un quartier « Politique de la ville ». Donc une grande hétérogénéité d’habitants et une croissance très rapide, parmi les plus fortes en France, avec près de 3 500 enfants scolarisés dans cinq écoles primaires, un collège et un lycée international. Une ville en plein essor, qui a doublé de taille en quelques années.
Pour comprendre ce territoire, il faut également savoir que, par un accord franco-suisse, les travailleurs frontaliers paient leurs impôts à Genève qui en retourne à la commune une part significative, soit plusieurs millions par an. Grâce à cet accord unique, notre commune dispose d’un budget de beaucoup plus important que celui d’une commune française équivalente, ce qui permet d’avoir une infrastructure conséquente et les moyens de mener une politique culturelle ambitieuse.
Quel rôle joue la culture dans votre commune ?
Par l’animation, la politique culturelle contribue à éviter que Saint-Genis-Pouilly ne devienne une ville-dortoir pour celles et ceux qui travaillent en Suisse et ne rentrent que le soir tard. Par ailleurs, il est important d’intégrer le plus possible les populations dans leurs différences, que leur diversité soit d’origine sociale ou géographique, ainsi que de mener une politique à destination de la jeunesse. C’est fondamental : un jeune qui va au théâtre et/ou qui lit, continuera de le faire tout au long de sa vie.
Autre dimension de la culture, assurer l’interface avec le Grand Genève. Nous participons ainsi à un certain nombre de grands festivals genevois de théâtre et de cinéma. Saint-Genis-Pouilly dispose en effet d’un très beau théâtre municipal récent, de 250 places, également équipé pour des projections de films qui ont lieu les week-ends et pendant les vacances scolaires. Pendant ces périodes de vacances, nous recevons les enfants avec leur famille et, pendant l’année scolaire, en lien avec les établissements scolaires, notamment sur les dispositifs « Ecole et cinéma », via des projections, des ateliers et des animations… Avec beaucoup de succès : plus de 10 000 spectateurs ! J’avoue que nous sommes très fiers de ce résultat, car utiliser le théâtre en tant que cinéma relevait d’une gageure.
La municipalité est également consciente du rôle économique et touristique de la culture. Par exemple, dans le cadre des festivals du Grand Genève, comme La Bâtie ou Antigel auxquels nous participons, des représentations ont lieu au théâtre de Saint Genis, mais aussi dans des sites remarquables du Pays de Gex, pour attirer le public genevois, consolider et valoriser l’identité de ce territoire. Bien sûr, nous bénéficions potentiellement aussi de l’impact économique induit par le développement touristique. C’est vraiment une approche de la politique culturelle dans son sens le plus large.
Votre délégation joint étroitement les enjeux culturels et environnementaux…
Il est en effet impossible de ne pas intégrer les objectifs environnementaux. Je suis d’ailleurs aussi membre de la commission culture au Conseil d’agglomération ainsi qu’au Pôle métropolitain du Genevois français – une structuration des Départements frontaliers du canton de Genève développant une politique de subventions et d’appels à projets transfrontaliers – qui a organisé toute une série d’ateliers autour de la double thématique des enjeux culturels et environnementaux. De ce point de vue, on peut jouer sur les déplacements, les consommables mais surtout se servir du cinéma et du théâtre comme outils de sensibilisation à l’écologie.
L’ONU identifie aussi ce qu’elle appelle l’apport culturel des écosystèmes…
Nous essayons de combiner les deux. La prochaine édition 2024 du Festival Antigel sera consacrée à l’importance d’une culture pour ainsi dire enchâssée dans la nature et à la découverte par ce biais de la montagne. Mais ce sont là des enjeux globaux dépassant les possibilités d’action d’une petite commune comme la nôtre qui n’a pas les moyens, par exemple, de s’engager dans des productions.
Avec toutes les nationalités qui coexistent à Saint-Genis-Pouilly, la culture contribue-t-elle à créer un sentiment d’appartenance commune ?
Le cinéma fonctionne bien pour créer ce lien. Notre programmation cinématographique, de nature Art & Essai, propose notamment les films en VO, ce qui convient à un public souvent anglophone composé notamment des personnes travaillant au CERN (Centre européen de recherche nucléaire) et d’autres organisations internationales. Nous recherchons aussi des thématiques, tant au théâtre qu’au cinéma, susceptibles de rassembler au-delà des frontières, par exemple une pièce d’une réalisatrice iranienne sur la question de l’exil, prochainement programmée. C’est plus difficile pour le théâtre, mais nous travaillons sur la diversité sociale en particulier avec l’association de protection des jeunes en difficulté La Sauvegarde qui fait l’interface avec les jeunes du quartier « Politique de la ville ».
Quels sont les atouts culturels de la commune ?
Outre le théâtre et le cinéma, la médiathèque, avec ses 3 000 abonnés et ses actions hors les murs, est notre troisième outil culturel. Elle participe, par exemple, à ce que nous appelons les « Quartiers d’été », en direction des populations les moins favorisées, plus spécifiquement pour les enfants qui ne peuvent pas partir en vacances. Nous travaillons à leur offrir, gratuitement, toutes les activités sportives et culturelles auxquelles ils peuvent aspirer. Là aussi avec succès : la dernière édition a accueilli plus de 1 000 jeunes sur les différentes activités et spectacles. Ainsi, au début d’un spectacle donné dans le quartier « Politique de la ville », ils nous regardaient avec méfiance installer les gradins pour la représentation, puis, peu à peu, les plus jeunes d’abord, les adultes ensuite, tous sont tous descendus de leurs appartements… La jauge, prévue initialement à 80 personnes, a rapidement été débordée pour dépasser 150 personnes !
Nous essayons d’articuler le plus possible les activités proposées par la médiathèque et le théâtre/cinéma autour de diverses thématiques comme la violence à l’école, l’exclusion, les problématiques de genre… en partenariat avec des associations. Plus largement, nous avons mis en place un Pass Sport & Culture de façon que l’argent ne soit pas une barrière pour accéder aux activités culturelles ou sportives.
Je crois beaucoup au maillage culturel, vertical, horizontal et du point de vue géographique. Ce n’est qu’à cette condition, à mon sens, qu’une politique culturelle fait pleinement sens. Et là, la FNCC a sans doute un rôle à jouer pour montrer l’importance des liens entre collectivités…
Quelles sont vos principales difficultés ?
La vie associative est à la fois un atout et une difficulté. Les associations sont nombreuses à Saint-Genis-Pouilly, mais beaucoup tournent autour d’elles-mêmes, aux prises avec leurs problèmes internes de bénévoles, de charges financières, etc. Il est très difficile de les associer à notre action, de les motiver. Or, pour moi, leur participation à l’action municipale correspond à l’idée même de la démocratisation culturelle. On y arrive, notamment via l’OMC (Office municipal de la culture) – et cela fait partie de nos ambitions prioritaires –, mais ce sont toujours un peu les mêmes. Nous avons des conventions avec certaines d’entre elles, comme l’école de musique et l’harmonie municipale, ou encore notre école de théâtre. A noter cependant que les associations portant des cultures étrangères – kurde, turque, comorienne, marocaine, berbère… – participent plus volontiers, même si cela demande beaucoup de médiation, d’attention, de temps…
Vous avez donc une fanfare municipale ?
Un orchestre d’harmonie que la municipalité soutient via un système de subvention avec une partie variable, pour l’encourager chaque fois qu’elle intervient spécifiquement en faveur de la politique culturelle de la commune, notamment dans les écoles ou le quartier « Politique de la ville » ; cela fonctionne plutôt bien car plusieurs jeunes moins « favorisés » ont pu commencer la pratique de la musique avec l’appui du Pass Sport & Culture qui leur permet la gratuité pour les cours.
La place de la culture « populaire » et la vie festive ?
Avec un panachage de spectacles dans notre programmation (jeune public, tout public, théâtre, cirque, musique…), nous essayons de présenter une offre très large afin de toucher tous les publics. Cela étant, même pour les spectacles qui peuvent sembler les plus « populaires », nous veillons à ce qu’ils soient d’excellente qualité. Il ne faut surtout pas décevoir…
Etes-vous attentifs aux artistes locaux ?
Bien sûr, les artistes de tout le Pays de Gex, voire du Département ainsi que de la Suisse voisine. On a par exemple travaillé avec le service culture de l’Ain et avec la DRAC pour monter deux pièces de Voltaire avec une associations de personnes en situation de handicap encadrées par des artistes professionnels et d’autres associations, tant sportives que culturelles.
Etes-vous conseiller communautaire ? Travaillez-vous avec des communes voisines ?
Ce n’est pas tant le lien entre communes qu’entre structures que nous développons, par exemple avec des théâtres côté Genève de nature assez proche du nôtre et avec lesquelles on essaie d’échanger nos idées de spectacles.
Vos liens avec le Département, la Région, la DRAC ?
Avec le Département, les rapports de personne à personne sont bons. En revanche, politiquement, à la suite de la disparition de l’ADDIM, leurs budgets vont pour l’essentiel à de grosses structures comme le Festival d’Ambronay ou à de grands événements de prestige. Avec la Région, les liens sont ponctuels, sur certains projets, sans rien de véritablement structuré. Il en va de même avec la DRAC et cela reste assez complexe d’obtenir des aides ; ce sont des gens compétents et de bonne volonté mais aux moyens limités. Ni la DRAC ni la Région ne sont des partenaires réguliers avec lesquels on peut bâtir de projets de long terme.
Votre idéal de vie culturelle à Saint-Genis-Pouilly ?
Je crois beaucoup au maillage culturel, vertical, horizontal et du point de vue géographique. Ce n’est qu’à cette condition, à mon sens, qu’une politique culturelle fait pleinement sens. On y parvient plus ou moins dans le Pays de Gex, en particulier avec le théâtre de Divonne-les-Bains et de plus en plus avec Genève. Mais pour ce qui est de la Région ou de Département, la volonté politique manque. Et là, la FNCC a sans doute un rôle à jouer pour montrer l’importance des liens entre collectivités…
Quelles raisons vous ont-elles conduit à adhérer à la FNCC ? Qu’en attendez-vous ?
Nous avons demandé à la municipalité d’adhérer à la FNCC dans le cadre de notre engagement pour le cinéma, dans un souci de maillage. Nous avons vu dans la Fédération un cadre dans lequel on peut échanger avec d’autres. Et de fait, deux semaines après notre adhésion, j’ai participé à une visioconférence très intéressante sur les salles du cinéma, avec un responsable du CNC. Je souhaiterais d’ailleurs participer à d’autres moments de même nature…
Propos recueillis par Vincent Rouillon