Capitale d’un Département marqué d’une forte identité territoriale symbolisée par le célèbre “Lion de Belfort”, la ville de Belfort déploie une vie culturelle d’une richesse et d’une attractivité supérieures à bien des villes de taille similaire (50 000 habitants). Le festival de musiques actuelles Les Eurockéennes est évidemment l’événement belfortain le plus connu mais bien d’autres ne sont pas moins dynamiques : le Festival de cinéma Entrevues, le Festival international de musiques universitaires dédié aux pratiques en amateur. Autre caractéristique, une forte tradition de partenariat entre structures culturelles : le Conservatoire à rayonnement départemental, l’école d’art, la scène nationale le Granit, le Centre chorégraphique… Delphine Mentré, qui succède à Marie Rochette de Lempdes en tant que maire-adjointe à la culture et au patrimoine de Belfort, évoque cette plénitude artistique et culturelle et son effort pour la faire traverser indemne le moment difficile de la pandémie.
Votre profession, vos pratiques, vos goûts vous prédisposaient-ils à exercer cette responsabilité ?
Professionnellement, j’ai fait des études de droit et de sciences politiques, mais j’ai quand même une appétence particulière pour la culture. De plus, j’étais en charge des grands événements, dont les événements culturels, lors du mandat précédent. Avec ma prédécesseure, nos deux mandats se complétaient. J’étais par ailleurs déjà en charge de la culture au Grand Belfort dont la compétence, au départ, ne concernait que le conservatoire dont j’ai été l’une des élèves.
Quelle est la particularité de votre territoire ?
Le département du Territoire de Belfort fêtera cette année ses 100 ans et non son bicentenaire, comme la plupart des autres. L’identité de notre territoire est également liée à la Guerre de 1870. Alors que cela a été une défaite pour la France, Belfort a su résister jusqu’au bout : une victoire. D’où le Lion de Belfort, construit par Bartholdi, montrant la bravoure des Belfortains lors du siège de la ville. Cette histoire a créé une identité territoriale très singulière. Les Belfortains sont très attachés à cet esprit combattif – de fierté et de solidarité – qu’a encore aujourd’hui illustré, dans le domaine de l’industrie, la mobilisation autour de General Electric.
Le Territoire de Belfort est frontalier de la Suisse. Développez-vous une coopération culturelle transfrontalière ?
Les relations avec la Suisse sont très bonnes. Le Canton du Jura est fortement attaché aux relations avec la France. Il y a aussi des liens culturels, en particulier dans le domaine de la danse avec le projet Interreg “Territoires dansés en commun” autour de danseurs en amateur des deux côtés de la frontière.
Quelle est à votre sens la fonction d’une politique culturelle dans un projet politique municipal ?
Un projet culturel participe à l’attractivité d’un territoire, notamment grâce à la transversalité entre les diverses structures culturelles qui, sur ce tout petit territoire, travaillent remarquablement bien ensemble ; ça fuse en permanence de projets partagés. Par exemple, les deux scènes de musiques actuelles, La Poudrière et le Molocco (juste à côté du Territoire de Belfort) se sont unies pour mutualiser leurs moyens, leurs résidences d’artistes. Les belles collaborations de cette nature créent un véritable dynamisme.
Des liens entre le Conservatoire et les Smac ?
Oui. Nous votons chaque année un budget pour des projets en lien avec le Conservatoire et avec des associations du tissu culturel local. La Poudrière y est associée, avec par exemple des restitutions de la classe de musiques actuelles du Conservatoire. Les passerelles sont nombreuses, également avec le Théâtre ainsi qu’avec le Centre chorégraphique, avec des places réservées pour les élèves du Conservatoire.
A vos yeux, la fonction politique première de la culture est de créer du lien entre les gens…
En tout cas de favoriser ces liens, de proposer des espaces pluridisciplinaires pour ces rencontres et de promouvoir la visibilité de l’ensemble des actions culturelles des associations locales pour leur conférer un rayonnement plus large. On a par exemple accompagné la reprise culturelle, en septembre, avec une grosse campagne de publicité pour inciter les habitants à revenir dans les salles. Nous avons également mis en place, début janvier, un chèque-culture local à destination des jeunes et sur une tranche d’âge un peu plus large que le pass Culture de l’Etat (jusqu’à 25 ans) pour favoriser leur fréquentation des structures culturelles.
Quelles sont les principales lignes de force de votre projet culturel ?
Je suis vraiment dans la continuité de l’action de Marie Rochette de Lempdes. L’idée est celle d’un travail à long terme, avec notamment un soutien fort en période de pandémie : maintien de toutes les subventions, même quand les événements n’ont pas pu avoir lieu, accompagnement en proximité, structure par structure, au travers d’un travail de dentelle que facilite le fait d’être sur un petit territoire.
Les notions de droits culturels (participation citoyenne, contribution citoyenne, promotion de la diversité) structurent-elles votre projet ?
Dans mon précédent mandat, j’étais en charge de la participation citoyenne. J’ai donc déjà développé ce sujet à l’échelle de la ville. D’un point de vue culturel, cela se décline beaucoup dans le dialogue avec les structures qui ont toutes ce souci permanent d’aller à la rencontre de publics différents. Nous travaillons sur des événements culturels porteurs et plus facilitant pour l’implication citoyenne, par exemple sur un orchestre des quartiers, par la participation du Conservatoire au Festival international de musiques universitaires (FIMU). Il y a aussi le festival de cinéma art et essai Entrevues – une manifestation un peu “pointue” – qui travaille avec les écoles et les centres socio-culturels. Cette disposition d’esprit, de dialogue avec les acteurs, s’avère centrale dans notre projet politique.
Cela se traduit-il par une attention particulière aux pratiques en amateur ?
Le FIMU, qui existe depuis 35 ans, est essentiellement dédié aux pratiques en amateur. Nous avons voulu développer le festival notamment via des partenariats à l’étranger, avec l’idée de travailler à l’aide à la professionnalisation des artistes. Par exemple permettre des “premières scènes” à la scène locale de musiques actuelles. Nous développons des liens très étroits avec le Burkina-Faso mais aussi, cette année, avec le musicien libanais Bachar Mar-Khalifé, parrain de l’édition 2022, et le festival international de musique Beirut & Beyond. Certes, ce sont des liens internationaux, mais ils rayonnement localement sur toutes les structures partenaires, dont le Conservatoire ainsi que le Centre chorégraphique.
Comment articuler culture et écologie ? Vous engagerez-vous, par exemple, sur la Charte de développement durable pour les festivals proposée par le ministère de la Culture ?
La Charte du ministère est intéressante en ce qu’elle propose certains axes d’amélioration différents de ceux que nous avions choisis. Ce travail était déjà un souci de chaque structure culturelle. Cela étant, je n’aimerais pas que la prise en compte des enjeux environnementaux finisse par nous faire négliger encore davantage l’artistique et la création. Déjà, les coûts sécuritaires ont pris une ampleur énorme. Il faut que la question de l’environnement soit une implication quotidienne qui trouve le juste équilibre pour que la part artistique n’en pâtisse pas.
On sait désormais que les enjeux culturels sont éminemment transversaux…
Il s’agit d’un deuxième mandat… Tout est plus fluide entre délégations, entre services, entre élus, sans tension particulière. La culture est plutôt bienvenue, bien accueillie dans les autres champs de l’action publique, par exemple dans l’éducation. Ainsi, toutes les classes des écoles de Belfort bénéficient maintenant et depuis des années d’une heure par semaine d’enseignement musical dispensé par des dumistes du Conservatoire. Une action que nous avons réussi à maintenir malgré des pressions financières.
Accordez-vous une place particulière aux arts dans l’espace public ? Au cinéma, souvent ressenti comme relevant du privé et non d’un projet politique ?
Il y a beaucoup de cinéma en plein air, notamment grâce à l’association Cinéma d’aujourd’hui qui porte le festival Entrevues. Le FIMU est également très présent en centre-ville. Nous avons aussi un projet pluri-délégations de street art avec des animations d’été, un travail avec la jeunesse… Je me suis rendu compte que d’autres collègues partageaient la même volonté, d’où l’idée de mutualiser nos forces pour créer un bel événement autour du street art.
Le cinéma art et essai de Belfort est l’un des rares à être hébergé par un multiplexe Pathé, avec donc un lien étroit entre privé et public. Autre belle ressource cinématographique fortement soutenue par la Ville de Belfort, l’association Cinéma d’aujourd’hui, qui pilote le festival Entrevues avec une compétition internationale ouverte aux 1ers, 2es et 3es films.
Des difficultés ?
Je n’ai pas de souci particulier. Les gens qui reviennent à Belfort après plusieurs années notent une bonne dynamique culturelle. De grandes villes proches, comme Bâle ou Strasbourg, sont bien sûr culturellement plus attractives, mais Belfort a un rayonnement très important pour une ville de 50 000 habitants…
L’articulation commune/EPCI s’avère de plus en plus décisive…
Je suis vice-présidente en charge de la culture au Grand Belfort, ce qui facilite grandement les liens, d’autant plus que la scène nationale et le Centre chorégraphique ainsi que le Conservatoire relèvent désormais de la compétence de l’EPCI. On travaille par ailleurs beaucoup avec Montbéliard. Quant aux musées, c’est un champ de collaboration à l’échelle nationale, par exemple en ce moment avec une exposition Fernand Léger, ainsi qu’avec les départements voisins.
Belfort est adhérente depuis de nombreuses années à la FNCC. Quel sens prennent aujourd’hui cet adhésion et cet engagement ?
C’est très intéressant en ce sens qu’on ne se sent pas isolé. Dans sa commune, on est très occupé par le quotidien. Les échanges avec d’autres élus en charge de la culture permettent de se rendre compte qu’on partage les mêmes difficultés et les mêmes enjeux. Toutes les bonnes pratiques des uns et des autres sont très riches. Cela permet, outre l’apport d’informations sur l’actualité, de s’inspirer de ce qui se passe ailleurs. Ce échanges donnent au mandat un dynamisme particulièrement précieux en cette période d’incertitude pour la culture. Il faut toujours s’améliorer et ne pas s’endormir ; pour cela, les échanges à la FNCC avec les autres élus à la culture contribuent à garder un esprit d’ouverture, d’énergie et de veille.
Propos recueillis par Vincent Rouillon