Arbois, dans le Jura, est une commune rurale de 3 500 habitants bien particulière, notamment par la présence de la maison de Pasteur, propriété de l’Académie des sciences et labellisée “Maison des Illustres”, avec son laboratoire personnel où il fit de nombreuses découvertes. Ville classée – ainsi que tout son paysage viticole –, elle possède un très abondant patrimoine historique, tout comme les deux autres bourgs-centres des trois communautés de communes formant avec elle l’EPCI du “Cœur du Jura” : Poligny et Salins-les-Bains. Yves Lecoq, qui entame son premier mandat de maire-adjoint à la culture, au patrimoine, à l’environnement et à l’attractivité, expose un projet culturel dont la priorité est le développement du spectacle vivant mais aussi la corrélation entre enjeux culturels et environnementaux.
Votre parcours professionnel vous prédisposait-il à exercer cette responsabilité particulière ?
Je suis musicien de formation. Faisant le choix de ne pas être artiste, je suis parti dans l’ombre : administrateur chargé de production de musique classique et d’opéra, organisateur de concerts, coordinateur artistique de festivals, directeur de la programmation… En 2001, j’ai travaillé au conseil départemental de la Côte d’Or pour mettre en place le premier schéma départemental des enseignements artistiques spécialisés et, en 2008, j’ai monté un projet de laboratoire d’expérimentation du mécénat en organisant des rencontres entre des artistes émergents et de jeunes entrepreneurs.
Et votre parcours politique ?
Je ne suis pas engagé dans un parti mais j’ai toujours milité dans la vie associative dans le domaine de l’écologie, notamment en tant que président de l’association Eco Logik Art, qui crée des œuvres d’art dans le paysage pour sensibiliser aux questions environnementales. J’ai enfin participé à l’essor d’un certain nombre de tiers-lieux et de fab’lab en Bourgogne/Franche-Comté mais aussi à la fondation du premier orchestre Démos de la Région, sur le pays de Montbéliard…
Comment décririez-vous la particularité de votre territoire ?
Arbois est intégralement un site patrimonial – une richesse mais aussi un poids très lourd pour la municipalité. D’un point de vue démographique, il y a eu jusqu’à 8 000 habitants pendant les 30 Glorieuses. C’est aujourd’hui une ville vieillissante mais où les jeunes qui l’ont quitté reviennent. Le paysage très singulier, au pied du Jura, a suscité avec la Covid, un essor de tourisme vert, patrimonial et gastronomique phénoménal. Donc un fort afflux à l’été 2020, qui perdure. Arbois est à 3h30 de Paris via la ligne de TGV Lyria.
Il y a aussi un moment très particulier, très caractéristique de la vie arboisienne : le Biou – le Beau, la belle grappe en patois. Chaque premier week-end de septembre, les vignerons apportent le fruit de leurs vignes qu’on attache sur une structure en osier pour fabriquer une grande grappe de raisins. Une procession, conduite par des flûtes et des violons, emmène la grappe à l’église Saint-Just où elle bénie, puis le Biou est élevé dans le transept de l’église, avec une messe. Depuis le début du 20e siècle, une procession républicaine succède à la cérémonie à caractère religieux. Le Biou – avec chaque année l’invitation d’une harmonie ou une fanfare – constitue un moment de ferveur qui marque vraiment la vie arboisienne. Une belle image de la pluralité de sens de la culture, matériel et immatériel. Le Biou est inscrit sur la liste Unesco pour l’inscription au Patrimoine Immatériel.
Les notions de droits culturels contribuent-elles à la structuration de votre projet ?
La valorisation de la diversité et les droits culturels étaient au cœur de notre programme de campagne. Nous avons mis en place des comités de consultation citoyens et des “tables de quartier”. Nous sommes en échange permanent avec les habitants et la vie associative. Par exemple, dans le cadre l’année du bicentenaire de Louis Pasteur, nous avons eu à cœur de construire une programmation d’événements culturels et populaires tout au long de l’année avec toutes les associations arboisiennes.
L’approche par les droits culturels n’est-elle pas difficile à faire partager ?
Ce n’est en effet pas évident à faire comprendre. On peut travailler sur la collecte de mémoire en intégrant les habitants dans une démarche de restitution artistique qu’ils puissent s’approprier. C’est aussi tout le travail qu’on met en œuvre autour du bicentenaire de Pasteur, par exemple par une déambulation citoyenne avec une compagnie de théâtre de rue sur le thème de “Pasteur l’Arboisien”. Autre projet, la mise à disposition des élèves de l’Ecole de musique du carillon de plus de 20 cloches de l’église Saint-Just d’Arbois une fois qu’il sera restauré, carillon qui présente un caractère unique en France. Il pourrait également être joué pendant le Festival international d’orgue… L’idée est toujours de rendre le patrimoine vivant.
Quelle est la fonction d’une politique culturelle au sein d’un projet politique municipal ?
La culture doit être transversale. Notre équipe municipale l’est. Par exemple, dans la définition de notre délégation, je suis adjoint à la fois à la culture, au patrimoine, à l’environnement et à l’attractivité de la commune, car nous avons identifié que tout cela était lié. Mais je travaille aussi beaucoup avec l’adjointe à la citoyenneté et aux associations, en trinôme avec la maire, Valérie Depierre. Je suis également en lien étroit avec les élu.e.s en charge de la jeunesse ; nous avons créé un “secteur jeunes” qui donnera une large place aux pratiques culturelles pour les adolescents.
La culture croise toutes les compétences de la Ville, touche tous les publics. Nous voulons rendre la culture vivante par le biais des accueils de spectacles mais aussi redynamiser le monde associatif à travers la jeunesse. On sait que les associations sont aujourd’hui en mal de renouvellement de bénévoles et il y a besoin de cultiver cela ; non pas cultiver les gens mais un terrain favorable pour développer notre très dense tissu associatif.
Concernant les jeunes, développez-vous une politique en faveur des musiques actuelles ?
Oui. Arbois dispose d’un école de musique municipale, maintenant intercommunale, qui dispense un enseignement des musiques actuelles développé en parallèle avec les autres disciplines. Il y a aussi une association de musiques actuelles, qui propose un petit festival où sont programmés des artistes locaux et que nous souhaitons associer au secteur jeunes. Nous avons également une Smac rurale, le Moulin de Brainans, de compétence intercommunale. Elle organise chaque été, avec l’Ecole de musique et une association d’éducation populaire, des camps de musiques actuelles destinés aux jeunes pour préparer des programmes de concerts donnés ensuite, en situation réelle, dans la Smac.
L’idée de redonner vie aux arts vivants est d’éveiller les publics et de leur donner une appétence. Il y a à Poligny – l’un des trois bourgs-centres, tous à 11km les uns des autres –, une association de programmation de spectacle vivant et d’EAC, Mi-Scène. Nous leur avons proposé d’accueillir à Arbois un premier spectacle au début de l’été 2021. Devant l’afflux des spectateurs d’Arbois – que j’ai aussi croisé à Poligny –, nous avons dû ajouter des chaises. On sent une réelle envie qui nous conduira à développer ce partenariat pour bâtir une saison en 2022-2023.
Quelles sont les principales lignes de force de votre projet culturel ?
L’accent de la politique culturelle auparavant était principalement mis sur le patrimoine et beaucoup sur le patrimoine pasteurien. Côté spectacle, de manière générale, l’esprit était celui de l’événementiel plutôt que d’une réelle programmation incluant le spectacle vivant ou la création. C’est là la principale ligne de force de notre projet culturel que nous pourrons commencer à déployer après les projets liés au bicentenaire de Pasteur. Un projet donnant une large place aux compagnies et aux associations locales, avec l’idée de bâtir une saison liée au spectacle vivant et, plus largement, de s’attacher à l’animation culturelle territoriale, en lien avec la DRAC.
Quels sont vos liens avec l’EPCI ?
La relation avec l’intercommunalité est essentielle. Je suis moi-même conseiller communautaire, notamment au sein de la commission culture.
Il faut vraiment redonner à la culture sa primauté impériale dans les politiques nationales. Les problématiques culturelles devraient être affranchies des questions économiques.
Comment articuler culture et enjeux environnementalistes ?
La collaboration communautaire rejoint cette question. Nous avons retravaillé en commission culture de l’EPCI l’ensemble des critères d’attribution des subventions aux associations et aux manifestations culturelles. J’ai fait ajouter un certain nombre de points en lien avec l’environnement, en demandant notamment aux associations ou aux organisateurs d’événement d’avoir une véritable politique écologique, sur les questions des déchets, de l’approvisionnement, de circuits courts…
La question environnementale concerne des aspects très pratiques, logistiques, mais elle entraîne aussi des choix artistiques. L’œuvre d’art ou de culture est un objet extraordinaire pour faire consensus entre différentes façons de voir les choses parce que, quand on entre sur des sujets clivants tels que l’environnement, par son essence même elle permet de rassembler. Pour la sensibilisation à l’environnement, c’est idéal. Cela peut être en créant des parcours artistiques dans l’espace public ou par les paysages avec un objet illustrant des problématiques telles que la biodiversité, le réchauffement climatique… Par exemple, en lien avec la problématique zéro-phyto, je suis sans cesse interpelé sur la propreté des rues. Des plantes poussent n’importe où, me dit-on… On va donc organisé des visites avec des botanistes pour sensibiliser à la diversité des plantes qui repoussent dans nos villes. On peut aussi faire appel à un photographe pour illustrer la beauté de cette diversité en ville. Proposer un autre point de vue… ce sont des petites choses, mais pour moi l’objet même d’une politique culturelle dans une commune rurale.
Vos relations avec la DRAC ?
Nos relations sont très bonnes, en particulier pour l’EAC mais aussi, évidemment, autour du patrimoine, par exemple pour le projet de restauration du carillon. L’EPCI a également signé un contrat Territoire/Lecture et lancé un programme de rénovation de notre médiathèque, la plus petite du réseau intercommunal, mais la plus active, celle qui connaît la meilleure fréquentation.
Des attentes en cette période d’élection ?
De vraiment redonner à la culture sa primauté impériale dans les politiques nationales. Les problématiques culturelles devraient être affranchies des questions économiques. A Arbois, j’ai dû me battre pour conserver une délégation culture et patrimoine indépendante, car cela a tendance à être intégré dans l’économie. Notre patrimoine est très riche. Trop riche pour une si petite commune…
Quel sens prend pour vous l’adhésion à la FNCC ?
A l’Assemblée générale, en juillet dernier, je me suis un peu demandé ce que je faisais là… Puis, au fil des discussions, j’ai vraiment trouvé du sens à l’adhésion du fait des échanges d’expérience. Ce n’est pas la taille de la collectivité qui fait problème, car nos problématiques sont partagées et la FNCC est un vrai lieu de partage et de rencontre. Je ne suis pas encore très actif au sein de la Fédération, mais j’espère pouvoir par la suite y consacrer davantage de temps.
Propos recueillis par Vincent Rouillon