Les sénateurs Else Joseph (LR, Ardennes) et Olivier Paccaud (LR, Hauts-de-France) ont rédigé un rapport d’information sur « la réalité de la mise en œuvre du Plan de relance en faveur des patrimoines ». Une large concertation – à laquelle a été associée la FNCC – a permis de faire état d’un sentiment partagé. « Cette mission a été facile à mener, car tout le monde allait dans le même sens. […] Tous les acteurs étaient heureux de cette manne, mais désireux qu’une véritable politique du patrimoine soit élaborée, en partenariat avec les collectivités », a déclaré Olivier Paccaud lors de l’examen en commission de ce rapport adopté par la commission culture du Sénat.
Les conclusions sont nuancées. Pour le rapporteur, avec ce plan de relance, « une fois encore, l’Etat n’a pas cherché à co-construire avec les collectivités territoriales, alors qu’elles devraient pourtant être ses partenaires dans ce domaine ». Autre remarque, le manque de moyens et d’effectifs des DRAC en matière de patrimoine.
Pour autant, le rapport salue avec force la pertinence du Plan de relance patrimoine. Car il a un double mérite : d’une part, il répond de manière efficace à une nécessité tant le secteur a été fragilisé par la crise et, d’autre part, il confirme l’urgence d’envisager un meilleur dialogue entre les collectivités et l’Etat en matière culturelle, et ce en parfait écho aux conclusions de rapport des sénatrices Sonia de La Prôvoté (UC, Normandie)) et Sylvie Robert (PS, Ille-et-Vilaine) sur le même Plan de relance, mais dans le domaine du spectacle vivant « Convertir le plan de relance pour la création en une reprise durable et soutenable« .
Le rapport le patrimoine fait d’ailleurs sien deux propositions majeures de celui sur le spectacle vivant :
- S’orienter vers une plus grande co-construction des politiques dans le domaine du patrimoine avec les collectivités territoriales en veillant à prêter une attention renforcée à la situation particulière et aux difficultés des territoires ruraux.
- Réserver chaque année 10% des crédits d’intervention déconcentrés à des projets choisis avec les collectivités, sous réserve que ces dernières s’engagent à maintenir le niveau global de leurs subventions au patrimoine.
Les chiffres du Plan de relance patrimoine
La dotation totale du plan de Relance pour le patrimoine est de 614M€, soit 30,7% du total pour la culture (2Mds€). Dans ce plan, 334M€ sont consacrés à la reprise des activités des établissements publics patrimoniaux (Louvre, Versailles, CMN, Orangerie, Beaubourg…) et 280M€ à une relance « par et pour le patrimoine, dans les territoires, valorisant les métiers d’art et les savoir-faire d’excellence ». Détail de ces 280M€ consacrés aux territoires :
- 100M€ pour le Château de Villers-Cotterêts (cité de la francophonie),
- 80M€ pour le Plan cathédrales,
- 40M€ pour les sites du Centre des monuments nationaux (CMN),
- 40M€ pour les sites appartenant aux communes et aux propriétaires privés
(soit 6,5% du total des crédits du plan de Relance pour le patrimoine), - 20M€ pour les musées, archives et l’archéologie.
A noter que le patrimoine classé ou inscrit appartient à 44% au privé, 41% aux collectivités et à 3% ou 4%, selon les sources, à l’Etat.
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Un signal très positif. Politiquement, l’importance du montant du Plan de relance consacré au patrimoine (+30% du budget patrimoines de l’Etat pour 2021-2022, soit une augmentation « d’une ampleur exceptionnelle ») prend la mesure de l’importance de ce secteur pour la relance post-Covid en général. Même si « les contraintes du Plan de relance ont conduit à privilégier les monuments de l’Etat », du fait notamment de l’obligation d’une consommation des crédits avant fin 2022 et donc de l’obligation de cibler des actions aisément identifiables et maîtrisables, « ce plan s’est révélé salutaire pour ce secteur, profondément et durablement affecté par la crise ».
Certes les crédits sont massivement fléchés sur les monuments appartenant à l’Etat (seuls 6,5% concernent ceux appartenant aux collectivités ou à des propriétaire privés), mais cette préférence correspond pour beaucoup aux sites les plus attractifs du point de vue touristique, des sites auxquels, de surcroît on a demandé un effort important pour dégager des ressources propres. Enfin, quels que soient les sites choisis, cette aide massive favorise l’activité des entreprises de restauration du patrimoine dans les territoires ainsi que l’attractivité de ces derniers.
Les « leçons à tirer » du plan de relance. Elles sont décisives, à court, moyen et long terme. La première est la nécessité de renforcer la coopération avec les collectivités et la concertation avec les élu.e.s locaux, notamment départementaux, au-delà de l’urgence de l’après-Covid.
« Nous considérons que la politique nationale du patrimoine demeure trop centralisée. Les commissions chargées du patrimoine au niveau local doivent devenir de véritables lieux d’échanges et de co-construction des politiques et ne pas se réduire à de simples lieux où les collectivités sont informées des projets conduits par l’Etat. Nous sommes convaincus qu’une telle évolution pourrait aussi garantir une meilleure prise en compte de la situation particulière et des difficultés des territoires ruraux. » De ce point de vue, la rapporteure Else Joseph ajoute qu’une consultation des élu.e.s locaux, menée en septembre dernier, a montré que le fonctionnement des nouveaux Conseils locaux des territoires pour la culture (CLTC) n’était pas jugé satisfaisant par 75% des répondants et que la création d’instances au niveau départemental apparaissait souhaitable.
Pour sa part, lors de l’examen du rapport, le sénateur (GCRC) des Hauts-de-Seine Pierre Ouzoulias va plus loin : « Une réflexion sur la décentralisation de la politique du patrimoine doit être menée. L’Etat ne peut pas enlever tous les moyens fiscaux aux collectivités et leur demander en plus de faire sans les crédits de l’Etat. C’est une aporie dont il faudra sortir, car le patrimoine en dépend. » Donc la nécessité d’une réforme des flux mêmes de l’argent public et de sa répartition entre les collectivités et l’Etat qu’illustre en particulier ce constat du rapport : « Le déficit d’ingénierie des collectivités territoriales et des propriétaires privés demeure un problème majeur : même si le code du patrimoine prévoit la possibilité d’une assistance à maîtrise d’ouvrage des services de l’Etat, seules quelques DRAC sont encore en mesure de proposer ce service, faute de moyens. » La difficulté n’est d’ailleurs pas seulement financière, mais de moyens humains : « La faiblesse des effectifs des services en charge du patrimoine au sein des DRAC est alarmante. »
Une autre « leçon à tirer » a une portée plus philosophique. Les sénateurs jugent, en effet, que les politiques menées dans le domaine du patrimoine doivent « s’attacher à mieux définir la fonction que les édifices patrimoniaux doivent occuper dans la cité » du point de vue culturel et social. Plus leur usage sera identifié et leur utilité démontrée, plus l’entretien des sites et leur restauration seront selon eux facilités. Le rapporteur renvoie ici à la réflexion en cours au Sénat sur le patrimoine religieux…
Quoi qu’il en soit, cette mention d’une mission « sociale et culturelle » de patrimoine renvoie implicitement à un changement d’approche de ce qui fait la valeur du patrimoine et, plus expressément, au titre même de la Convention-cadre de Faro du Conseil de l’Europe, curieusement non citée par le rapport (est-ce parce que ce texte n’a pas été ratifié par la France ?) : « La valeur du patrimoine culturel pour la société ». Car le patrimoine n’a pas qu’une valeur économique (tourisme, emploi) et scientifique (historique et artistique) ; c’est aussi une part de l’imaginaire de chacune et de chacun. Le Plan de relance et, au-delà, les politiques patrimoniales de manière générale ne doivent-ils pas préserver et valoriser le patrimoine pour sa dimension intérieure et subjective ?