La douzième étude de l’Observatoire de l’égalité du ministère de la Culture, réalisée par le Département des études, de la prospective et des statistiques (DEPS) du ministère de la Culture, enregistre une réelle avancée. L’étude des données de 2022 sur le ministère en central, dans les DRAC et les établissements publics de la culture soutenus par l’Etat marque sans doute qu’une marche de plus a été franchie dans l’égalité entre les femmes et les hommes dans le secteur des arts et de la culture. Cependant, alors qu’on aurait pu tabler sur un rééquilibrage positif entre les femmes et les hommes sur l’ensemble du champ artistique et culturel financé ou subventionné par un ministère ici très volontaire, un certain nombre de reculs apparaissent.
La progression objective s’avère en effet devoir être tempérer sur trois points centraux : la maîtrise des fonctions proprement de création (direction des équipes artistiques, direction des établissements de création, contenus des œuvres exposées…) reste majoritairement masculine, les inégalités de salaires persistent et le montant des aides allouées aux femmes plafonne. Et ce malgré une constante : 63% des élèves des établissements d’enseignement de la culture sont des étudiantes. « Alors que les femmes sont nettement majoritaires dans l’enseignement supérieur et que leur taux d’insertion sur le marché du travail après le diplôme se rapproche de celui des hommes, elles restent légèrement minoritaires dans les professions culturelles, où elles forment 46% des effectifs actifs en 2020. »
Maîtrise masculine des fonctions liées à la création. L’engagement très prononcé du ministère dans sa lutte contre la discrimination de genre au sein de sa propre administration a été efficace. « Au 1er janvier 2024, on recense au sein de l’administration centrale du ministère une quasi-égalité entre femmes et hommes aux postes de chefferie de bureau (52%) et une forte représentation des femmes aux responsabilités de département (60%). »
La progression est également significative dans les établissements publics subventionnés par l’Etat. Ils étaient dirigés à 30% par des femmes en 2017 et l’ont été à 42% en 2022. Pour autant, cette progression varie selon les domaines. Les femmes sont fortement minoritaires à la tête des postes de direction des structures de la création artistique : centres nationaux de création musicale, directions musicales des orchestres, centres chorégraphiques nationaux, opéras et scènes de musiques actuelles. En revanche, elles sont majoritaires à la direction des musées (65%), des centres de développement chorégraphiques nationaux (62%), mais aussi dans l’enseignement, l’administration d’Etat, les directions des bibliothèques…
Ce partage inégal des contenus – schématiquement aux hommes la création, aux femmes l’administration et la conservation – se confirme dans la moindre présence des artistes femmes dans les programmations ou, pour les arts visuels, pour les œuvres exposées.
Ainsi, si les Fonds régionaux d’art contemporain acquièrent de plus en plus d’œuvres de plasticiennes (54% en 2022 contre 42% en 2021), ils les exposent moins. Sur la même période, la part des artistes femmes exposées dans les fonds régionaux a « légèrement baissé » : 41% des artistes exposées en 2022, contre 43% en 2021. Et il en va de même pour les centres d’art dont le pourcentage d’œuvres d’artistes femmes explosé est tombé de 47% en 2021 à 44% en 2022.
De la même manière (mais ici le tableau ne donne pas la comparaison avec les années précédentes), l’étude signale une « légère baisse » (une légèreté cependant inquiétante) des représentations d’œuvre du spectacle vivant réalisées par des femmes (40%). Il en va de même des œuvres écrites par des femmes (34%).
En revanche dans le cinéma, où l’on revient de loin, on constate une évolution positive, quoique très lente : en 2022, 30% des long-métrages étaient l’œuvre de femmes, contre seulement 26% en 2021 et 23% en 2019.
Une inégalité de salaires moyenne de 16%. Une sensible inégalité de salaire entre les femmes et les hommes va croissante dans onze des douze secteurs du champ culturel. Globalement, dans les métiers du spectacle et de l’audiovisuel, l’écart est de 16% en 2022, soit un point de plus qu’en 2021 (15%) et quatre points de plus qu’en 2020 (12%). Donc une aggravation continue de l’inégalité salariale femme/homme.
Plus en détail, l’écart salarial le plus conséquent en 2022 concerne la distribution cinématographique (-23%) et l’édition phonographique (-22%), là encore un écart qui se creuse par rapport aux chiffres respectifs de l’année précédente (-14% et -21%).
A noter aussi qu’au sein des corps administratifs du ministère l’indice moyen des femmes est inférieur de 7% à celui des hommes.
Moins d’aides et des montants plus faibles pour les femmes. Ici s’inscrit un phénomène difficile à expliquer puisqu’il relève directement de la politique ministérielle : le plus faible montant des aides allouées aux femmes. Non seulement les équipes théâtrales, chorégraphiques ou musicales dirigées par des femmes sont moins nombreuses à percevoir des aides, mais leur montant en est inférieur à la somme totale des aides par secteur. L’inégalité se double ici d’une inéquité.
En théâtre, 38% des aides et conventionnements sont accordés à des femmes mais leur montant cumulé ne représente que 31% des sommes allouées à ce secteur de la création. En danse, les proportions sont respectivement de 45% et de 38%. Et en musique de 19% et de 15%.
Dans le cinéma, le rapport note que l’écart entre les devis de films des femmes (3,71M€) et d’hommes (4,72M€) s’est réduit en dix ans. Cela étant, les cinéastes hommes restent les principaux bénéficiaires des aides du CNC. En 2022, sur les 58 projets bénéficiant de l’avance sur recettes du Centre national du cinéma et de l’image animée, seuls 28% ont été réalisés par des femmes pour 69% par des hommes, soit l’inégalité la plus forte depuis quatre ans : 41% par des femmes contre 55% par des hommes en 2019.
Inégalité d’ambition ? Les aides de l’Etat sont par définition à sa main et la volonté du ministère de la Culture de faire progresser l’égalité f/h est réelle, ce dont témoigne de multiples décisions allant dans le sens de l’égaconditionnalité ou de bonus en faveur de la féminisation des équipes. Comment alors expliquer cette discrimination dans son soutien financier ? Serait-ce qu’au moment du processus d’octroi des aides l’administration peine à suivre l’impulsion politique ? Le ministère évoque également une autre hypothèse : la différence de montant des aides perçues serait due à une demande de budget plus modeste de la part des femmes. En somme, les femmes ne s’autoriseraient pas une ambition artistique à la hauteur de celle qui anime les artistes hommes…