Un article de la loi Proximité et engagement (publiée en décembre 2019) stipule que le Gouvernement pourra réformer par voie d’ordonnance le système de formation des élu(e)s locaux. Dans cette perspective, qui doit aboutir d’ici fin septembre, les ministres en charge des Collectivités territoriales et du Travail ont commandité aux Inspections générales des Affaires sociales et de l’Administration un rapport porteur de propositions pour donner accès au plus grand nombre d’élu(e)s locaux possible à la formation, condition de la démocratisation des mandats, garantie de la diversification des profils et de la qualité de la démocratie locale. Remis fin janvier 2020, ce rapport dresse un état des lieux critique de la situation actuelle et dessine une organisation toute autre.
Les élections municipales sont là. Et avec elles un fort renouvellement des élu(e)s. Cette nouvelle génération s’inscrit dans un contexte marqué par « l’affaiblissement des réseaux de socialisation traditionnels des élu(e)s (partis politiques, syndicats, associations d’éducation populaire…) ». Selon l’Observatoire des politiques publiques (OPC), cette génération sera marquée, du moins pour les adjointes et les adjoints à la culture, par l’arrivée de « profils plus généralistes et moins politiques » que leurs aînés, lesquels étaient le plus souvent liés au militantisme culturel et à l’éducation populaire. Mais aussi une génération plus jeune et plus féminine, donc davantage en demande de formation : « Ces nouvelles élues doivent trouver leur place alors même qu’elles ont parfois acquis très rapidement des responsabilités sans passer par l’ensemble du cursus classique d’apprentissage de la vie publique locale », notent les inspecteurs généraux.
Les deux dispositifs existants. Il y aurait donc urgence, car le système actuellement en vigueur semble incapable de proposer un accès simple et généralisé à la formation d’autant plus indispensable que les plus de 500 000 élu(e)s locaux – dont 99% sont communaux – doivent faire face à « de lourdes responsabilités politiques et opérationnelles, dont l’étendue et la complexité se sont accrues avec l’approfondissement de la décentralisation, l’évolution des services déconcentrés de l’Etat et un certain nombre de transformations sociétales » dont témoigne en particulier la crise des “gilets jaunes”. Aujourd’hui, deux dispositifs structurent la formation des élu(e)s locaux.
- Le premier (initié en 1992) concerne les formations destinées à l’exercice de leur mandat. Il est géré et financé directement par les collectivités, avec pour elles l’obligation légale de voter en début de mandature un budget dédié correspondant au minimum à 2% des indemnités de leurs élu(e)s. Un pourcentage loin d’être atteint, le montant moyen étant de 0,84% pour ce qui est des 35 000 communes (chiffre de 2018).
- Le droit individuel de formation des élu(e)s (DIFE), instauré en 2015, constitue le second dispositif. Géré par la Caisse des dépôts et consignations, il est alimenté par les cotisations des élu(e)s à hauteur de 1% de leurs indemnités et concerne les besoins de réinsertion professionnelle post-mandature.
Déficiences de fait. Ces deux dispositifs, conçus comme complémentaires, auquel il faut ajouter une obligation de formation pour les élu(e)s des communes de plus de 3 500 habitants recevant une délégation dans la première année de leur mandat, devaient permettre de généraliser et de démocratiser l’accès à la formation. Pour les inspecteurs, c’est loin d’être le cas.
- Pour le “dispositif historique” (celui concernant la formation à l’exercice des mandats locaux), la dépense des collectivités n’est de fait que de 15M€ alors que l’application pleine et entière de la loi aurait amené à budgéter plus du double : 34M€. 60% des communes ont un budget de formation équivalent à zéro (en 2018). Quant au DIFE, moins de 3% des élu(e)s y ont recours.
- De manière paradoxale, « la dépense par élu(e) dans le cadre du dispositif historique est ainsi d’autant plus élevée que la collectivité est grande et dotée de services étoffés en capacité d’assister les élu(e)s dans l’exercice de leurs fonctions » : la dépense moyenne par conseiller municipal s’avère 60 fois inférieure à celle d’un conseiller régional. Et pour le DIFE, 14% des bénéficiaires ont consommé 50% des crédits disponibles de 2019.
Mais la question n’est pas seulement celle de l’accès : la qualité des formations n’est pas forcément au rendez-vous, pas plus que la lisibilité de l’offre.
- Certes, un agrément du ministère de l’Intérieur est obligatoire pour les organismes de formation des élu(e)s, mais il n’engage aucun contrôle. Cette obligation « a essentiellement conduit à limiter le nombre d’acteurs présents sur le marché, sans garantir ni leur qualité ni leur probité et en nourrissant des soupçons de partialité dans le traitement des dossiers ».
- Plus encore, le recours généralisé à la sous-traitance contourne l’agrément, ce qui non seulement le vide de son contenu normatif mais, de plus, ôte aux élu(e)s tout moyen d’évaluer la qualité de l’offre des prestataires qui les sollicitent.
- Autre conséquence, les exemples de « dérives de toute nature » abondent (paravent pour des sociétés non agréées, coûts exorbitants, situations monopolistiques…) et « menacent de jeter le discrédit sur l’ensemble de la politique de formation des élu(e)s ».
Enfin, le système n’est financièrement à l’équilibre qu’à la condition de très faibles demandes de formation. En dix mois, les demandes pour le DIFE de seulement 6 500 élu(e)s ont consommé l’intégralité des recettes pour 2019, et ce alors qu’on attend une forte croissance de recours à ce dispositif dans les années à venir.
Vers une nouvelle organisation : à l’orée et en amont du mandat… « Une réforme profonde de ce système est nécessaire pour améliorer de manière substantielle l’accès à la formation des élu(e)s, et particulièrement ceux de petites collectivités et ceux qui exercent des responsabilités exécutives, tout en garantissant la soutenabilité. » Avec treize propositions, le rapport envisage un rupture radicale.
- Tout d’abord, avant de proposer des formations proprement dites, il est indispensable de répondre aux premiers besoins des élu(e)s lors de leur prise de fonction par « une séquence d’information structurée, gratuite, relativement courte et ouverte à tous ». Pour les inspecteurs généraux, cette séquence d’information « doit être portée principalement par les associations d’élu(e)s avec le soutien des services déconcentrés de l’Etat ».
- Ensuite, après les formations et l’exercice du mandat, il faudrait lancer des “passeports de compétences” – comme pour les bénévoles –, soit une valorisation des compétences acquises lors du mandat, sur le modèle de la valorisation des acquis de l’expérience (VAE).
… et pendant l’exercice du mandat. Le rapport vise quatre objectifs : un système équitable avec des droits effectifs, un plus grand nombre d’élu(e)s formés, des formations de qualité et au juste prix et, pour cela, l’implication plus forte des collectivités dans le pilotage du nouveau dispositif.
Avec quelques principes généraux. Tout d’abord cibler prioritairement l’accompagnement des élu(e)s dans leur fonction, ce qui exige notamment de préserver la logique – proprement politique – de formation entre élu(e)s et d’éviter un processus qui pourrait s’apparenter à de la professionnalisation, ce qui entrerait en contradiction avec une légitimité fondée sur le suffrage universel. Plus concrètement, il s’agit également d’adapter la formation à la faible disponibilité des élu(e)s.
- La proposition principale du rapport consiste à fusionner les formations financées par les collectivité avec le DIFE en créant un seul “compte de formation de l’élu(e) local” (CFEL) dont la fonction serait strictement dévolue aux formations pour l’exercice des mandat (pour la réinsertion, les élu(e)s pourraient transférer vers leur “compte personnel de formation” les droits non consommés du CFEL « avec capitalisation à vie », et inversement).
- Pour bien s’assurer que les formations ainsi ciblées correspondent aux besoins du mandat, les inspecteurs généraux suggèrent d’identifier ces besoins dans un “répertoire de la formation des élu(e)s locaux”, les formations qui n’y correspondraient pas n’étant dès lors pas éligibles au financement par le CFEL.
- Une autre recommandation serait de permettre à « une collectivité de demander le cofinancement d’une action de formation à l’ensemble de son assemblée délibérante », soit une formation collective à l’échelle du conseil municipal en son entier.
Programme d’information pour les nouveaux élu(e)s
Les cinq registres d’une information de base pour les nouveaux élu(e)s pourraient être les suivants :
- situer la collectivité dans son environnement institutionnel (rôles de l’Etat, de la région, du département, de l’intercommunalité) ;
- maîtriser le périmètre et les conditions d’exercice des principales compétences de la collectivité (par exemple, urbanisme pour la commune, action sociale pour le département…) ;
- comprendre le mode de fonctionnement des instances de la collectivité (assemblée, commission, bureau) et trouver sa place dans la gouvernance de la collectivité (relation avec les services, positionnement dans la majorité ou l’opposition) ;
- comprendre le budget de la collectivité ;
- disposer des informations sur le statut de l’élu(e) (responsabilité, rémunération, voire questions de protocoles).
Contrôle et financement. Reste encore à trouver comment contrôler les formations et surtout à en assurer un financement pérenne, mais aussi à contrecarrer la trop faible demande de formation, soit par crainte de devoir l’exposer en conseil municipal, soit par une hésitation à trop s’accaparer en propre des ressources publiques (alors même que la formation relève d’une nécessité pour la qualité de la démocratie locale).
- Le financement du nouveau dispositif serait assuré par un “fonds national de formation des élu(e)s locaux” abondé d’une part par les cotisations au DIFE et d’autre part via le budget minimum que les collectivités doivent consacrer à la formation des élu(e)s. Une addition qui permettrait de disposer de 52M€ par an.
Une telle nationalisation du budget de la formation des élu(e)s aurait de multiples avantages, dont la facilité d’y recourir sans plus avoir à passer par l’accord de son exécutif et surtout la capacité « de mettre un terme aux inégalités de traitement selon la taille et les moyens des collectivités ». Ici, les inspecteurs proposent aussi de supprimer les seuils d’habitants et d’ouvrir les droits à la formation dès la première année de mandat tout en mettant un terme au cumul des droits d’une année sur l’autre. - A des fins de maîtrise financière, un plafond annuel de dépense par élu(e) serait institué. Cependant « pour répondre aux besoins de formation plus importants des maires et de leurs adjoints, le plafond qui leur serait applicable serait supérieur à celui des élu(e)s de droit commun ».
- Pour le contrôle, le rapport propose de supprimer l’agrément spécifique pour la formation des élu(e)s et de réintégrer « la procédure d’enregistrement des organismes de formation prévue par le code du travail », avec des critères de qualité précis, des objectifs, l’instauration de sanctions pénales en cas d’inadéquation des formations et un contrôle administratif et financier par l’Etat.
- La gouvernance globale de l’ensemble du nouveau système serait assumée par une “commission consultative des élu(e)s locaux” (CCFEL) composée majoritairement d’élu(e)s, « ce qui permettrait de mieux détecter les dérives », notamment via une plateforme numérique qui gèrerait les propositions et les inscriptions, avec un questionnaire d’évaluation sur Internet. Donc les conditions d’une nouvelle transparence.
L’ensemble du dispositif a le mérite d’une grande clarté. Peut-être trop grande ? En effet, cette nouvelle architecture s’appuie sur une sorte d’objectivation des besoins de formation des élu(e)s, à la manière d’un référentiel de compétences fonctionnant par “matières” : finances, urbanisme, environnement, etc. Tel est en particulier l’idée de créer un répertoire de la formation des élu(e)s locaux qui « listerait, pour chaque sujet, les compétences à transmettre pour qu’une formation soit éligible ». Une telle rationalisation ferait peut-être sens pour des mandats d’ordre technique, mais elle paraît difficilement compatible avec les enjeux transversaux propres au mandat à la culture.