On ne présente plus Lille du point de vue culturel. Sous l’impulsion de sa maire, Martine Aubry, la capitale de la région des Hauts-de-France (plus de 230 000 habitants) a en effet fait de la culture l’un des principaux leviers de renouveau d’une ville frappée par la désindustrialisation, notamment à l’occasion de sa désignation comme Capitale européenne de la culture en 2004.
Françoise ROUGERIE, conseillère municipale déléguée à l’éducation artistique, expose sa conception des politiques culturelles, placées sous le signe des droits culturels, ainsi que ses principales orientations : l’éducation, le soutien à la création, l’investissement artistique de l’espace public, le lien entre culture et urbanisme mais aussi, plus récemment, l’attention aux pratiques en amateur. A noter également son vibrant appel, en tant que membre du Bureau, à adhérer à la FNCC…
Quelle est votre approche de la culture, de son rôle politique, de sa fonction sociétale, de sa contribution à la ville ?
La culture est un enjeu déterminant de la politique municipale depuis longtemps, dès avant Lille 2004, avec déjà un festival ainsi qu’une volonté de valorisation du patrimoine. Dans une ville industrielle, réputée grise, le soutien à la vitalité des arts et de la culture relevait en effet d’une nécessité. La priorité a ainsi été donnée à la création contemporaine dès 2001.
Autre axe important, celui de la diffusion, avec le développement de lieux culturels dans tous les quartiers de la ville. De ce point de vue, nous travaillons en lien étroit avec les services de l’urbanisme, dans un esprit de réelle transversalité, chaque projet urbain comprenant des éléments culturels. Ainsi, dans le futur quartier de Saint-Sauveur une halle – le Bazaar Saintso – sera dédiée à la création sous toutes ses formes, avec un espace atelier, un showroom, un lieu de vie et des espaces de co-working. Cette attention aux quartiers permet d’unifier la ville, de faire circuler chacun là où auparavant il n’allait presque jamais, en particulier au-delà du périphérique…
Troisième priorité, l’accessibilité des publics, car Lille est une ville populaire. Lille 2004 nous a beaucoup aidé pour cet enjeu. L’éducation artistique et culturelle – dont je suis en charge (Lille est l’une des rares villes à avoir instauré une délégation spécifique à l’éducation artistique) – a ici son rôle. Nous y œuvrons, main dans la main avec l’Education nationale et avec le soutien de la DRAC, pour les plus jeunes, mais également dans la perspective de la déployer à tous les âges au travers de parcours artistiques. Une initiative qui s’inscrit dans l’esprit de la promotion des droits culturels et donc des droits humains fondamentaux.
Dans ce cadre, les cinq écoles municipales ainsi que le conservatoire (CRR) jouent un rôle important. A noter également une structure particulière où sont développées des pédagogies différentes, innovantes, liées à l’oralité : le Faubourg des musiques, qui s’adresse d’une part aux enfants et de l’autre aux jeunes et aux adultes. Pour ces derniers, cette structure propose des formations et des lieux de répétitions tout au long de l’année.
Quant à lui, le FLOW – centre eurorégional des cultures urbaines – se consacre à la fois au rap, au graph et au hip-hop. C’est un très bel établissement de formation et de diffusion qui s’inscrit dans notre conviction que le développement culturel vers toutes les esthétiques et pour tous constitue une dimension essentielle de l’épanouissement artistique.
La culture est un vecteur d’attractivité…
Bien sûr, il ne faut pas minimiser l’apport économique et d’image de la culture. Nous avons notamment de grandes richesses patrimoniales. Un patrimoine à la fois ancien, lié en particulier aux temps où la ville n’était pas encore française mais flamande – nous sommes en quelque sorte le sud des Pays-Bas, d’où des liens intéressants par-delà les frontières. Mais aussi un important patrimoine industriel que nous réinvestissons par la culture. Les Maisons Folies, par exemple, ont été majoritairement installées sur des friches industrielles, et ce, au-delà du périmètre propre de Lille, comme à Roubaix avec la Condition publique (ancien lieu de conditionnement de la matière première pour l’industrie lainière) et le musée d’art et d’industrie La Piscine. Cette mise en valeur du patrimoine se déploie ainsi à l’échelle de l’agglomération et jusqu’en Belgique.
L’enjeu d’image s’avère également essentiel, ce que montre par exemple le festival régional Séries Mania, festival international dédié aux séries télévisées mondiales qui a lieu à Lille depuis 2018.
La prochaine édition de Lille 3000 célèbrera le lien avec le Mexique. Pourquoi ce choix ?
Cette cinquième saison de Lille 3000 a pour thème “Eldorado”, un thème qui renvoie à la recherche d’un monde idéal, l’occasion non seulement d’évoquer le Mexique mais plus largement de réfléchir au monde dans lequel nous souhaiterions vivre. Ce sera une très belle saison, déployée dans 86 communes de l’agglomération, donc avec un financement partagé. Et comme pour les précédentes éditions, il y aura des parades et des fêtes dans la tradition des carnavals propre au Nord. En 2004, plus d’un million de personnes ont assisté à la parade inaugurale. A cet investissement de l’espace public, il faut ajouter un très grand nombre de spectacles donnés dans toutes sortes de lieux : salles de spectacles, cafés…, ainsi que de grandes expositions, comme au Tripostal, qui a été ouvert en 2004, au Palais des Beaux-Arts ou encore à l’ancienne gare de marchandises Saint-Sauveur, réhabilitée en équipement culturel. La grande majorité des événements sont gratuits.
On retrouvera les “Métamorphoses urbaines”, avec la transformation de l’espace public pendant six mois. Ainsi Lille 3000 investira une grande rue avec des “Alebrijes”, des statues de bois ou de papier mâché d’animaux fantastiques et illuminés comme des lanternes asiatiques. Une installation réalisée en partenariat avec des artisans et artistes mexicains – où c’est une tradition – mais à laquelle tout le monde est invité à participer, s’appropriant par là une expression populaire étrangère. Tout l’intérêt consiste à mettre en valeur la richesse de l’imaginaire de chacun, la capacité des habitants à inventer et à créer les conditions pour mieux vivre ensemble, dans un esprit de convivialité auquel se joignent aussi, aux côtés des écoles et des associations, les commerçants. A noter également que les ressources en mécénat de Lille 3000 sont importantes.
Enfin, l’exposition Môm’Art, fruit de l’éducation artistique et culturelle dans les écoles, sera pour la première fois installée à Saint-Sauveur, dans le cadre de la saison Eldorado, dont elle constituera l’un des temps fort.
Quels sont vos liens avec le conseil régional et avec Lille Métropole ?
L’engagement culturel de la ville, celui de la région et celui de la métropole rejaillissent les uns sur les autres. Ainsi, la ville sera Capitale mondiale du Design en 2019 : nous travaillons déjà avec les habitants autour de la création de mobiliers urbains, ce qui est très nouveau.
Les pratiques en amateur font l’objet d’un festival ?
Le festival “A vous de jouer” en sera cette année à sa troisième édition. Il s’agit d’apporter soutien et visibilité aux associations, très nombreuses ici comme dans toute la région Nord. Je précise aussi que nous n’avons pas diminué le budget pour le monde associatif. Pour cet événement, nous mettons à disposition tous les moyens nécessaires – techniques, humains et de communication – pour que les associations puissent investir toutes sortes de lieux, l’Opéra, le conservatoire, les salles de spectacle… Le tout sur le principe de la gratuité. Cette très belle opération connaît un fort succès.
Y a-t-il un champ culturel prioritaire ?
L’enfance et l’éducation sont LA priorité de l’équipe municipale avec le budget le plus conséquent. Dans l’éducation, il y a une part importante d’éducation artistique. Je travaille ainsi non seulement avec le pôle culturel mais aussi avec celui de l’éducation. Et là les budgets sont beaucoup plus conséquents.
Lille est adhérente de longue date à la FNCC. Que vous apporte cette adhésion ?
La FNCC m’offre l’occasion de rencontrer des collègues élus à la culture, ce qui se produit très rarement sur mon territoire (je ne siège pas à l’assemblée métropolitaine). C’est très important pour moi, car cela permet d’échanger à la fois des points de vue et des expériences, de manière pluraliste. Nous sommes tous politisés à la FNCC. Et tout en gardant pour nous nos différences, le dialogue se fait. C’est chose rare que de ne pas être dans l’entre-soi. La Fédération doit continuer sur cette voie. Sans elle je ne fréquenterais que celles et ceux qui me ressemblent.
Autre apport : apprendre le fonctionnement des institutions culturelles comme le ministère de la Culture, la commission culture du Sénat, etc. Je participe, par exemple, aux groupes de travail du Haut Conseil de l’éducation artistique et culturelle au titre de la FNCC – mais aussi les syndicats et les fédérations de professionnels avec lesquels, sans la Fédération, je n’aurais jamais eu de contact. En tant qu’élus, en effet, nous ne bénéficions d’aucune formation préalable.
Une troisième dimension s’avère également importante. Le fait que la Fédération soit nationale donne plus de force pour réaffirmer l’importance de la culture pour à la fois construire une démocratie respectueuse du droit de chacun et défendre l’idée qu’elle n’est pas un “plus” mais une nécessité. Mon message est clair : adhérez à la FNCC !