La 5e enquête de l’Unesco sur l’évolution de la mise en œuvre de la Recommandation de Belgrade (1980) sur la condition des artistes traite de l’ensemble de leurs conditions de travail et de protection sociale. Constat général de ce rapport intitulé “Encourager la créativité” : « A l’exception d’une minorité privilégiée, les artistes et les professionnels de la culture vivent souvent dans la précarité et sont confrontés à des obstacles importants qui les empêchent de jouir pleinement de leurs droits sociaux et économiques. Le secteur est très informel et de nombreux travailleurs n’ont pas accès à des conditions de travail décentes, sont mal payés ou ne bénéficient pas d’une protection sociale adéquate. » Et sont entravés dans leur liberté d’expression…
Atteintes à la liberté artistique. Les questionnaires que l’Unesco a adressés à ses 193 Etats membres mais aussi à des organisations non gouvernementales internationales et nationales concernées portent en particulier sur la liberté artistique. En effet, la Convention de Belgrade considère dans son préambule que, pour les artistes, la « reconnaissance de leur qualité de personnes activement engagées dans l’œuvre culturelle ne doit en aucun cas compromettre leur liberté de créativité, d’expression et de communication mais doit au contraire confirmer leur dignité et leur intégrité ». Or, « dans un contexte mondial de plus en plus fragile et avec l’essor des développements technologiques numériques, ce droit fondamental est menacé et, dans de nombreux pays, activement nié ».
Parmi les menaces et défis auxquels doit faire face la liberté artistique, l’Unesco relève la censure ou encore « la censure préalable par l’intermédiaire des organismes nationaux chargés de la classification des œuvres, qui contribuent toutes deux à l’autocensure ». Mais également la récurrence d’attaques directes contre les artistes, ce dont témoigne la croissance d’assassinats d’artistes : « En 2021, plus de 1 200 violations de la liberté artistique ont été recensées par l’ONG Freemuse [qui défend la liberté artistique dans le domaine musical] à travers le monde, y compris le meurtre de 39 artistes, un chiffre record ».
D’autre formes d’atteintes à la liberté artistique sont moins voyantes, « plus subtiles » dit le rapport, notamment par « le contrôle de la presse via le financement et la concentration de la propriété des médias, de la radiodiffusion et des services de streaming, ainsi que de la réduction des aides publiques pour les artistes qui critiquent les gouvernements, et du financement et du crédit disproportionnés accordés à ceux qui les soutiennent ». Autres techniques répressives, « le refus d’accès à des espaces pour exposer, présenter ou vendre des œuvres artistiques » ou encore « la consolidation des monopoles d’entreprise qui entravent les activités des artistes ».
Est également subtile une injonction au militantisme. « La pression est parfois exercée sur les artistes pour qu’ils agissent en tant qu’activistes face aux défis locaux et mondiaux, ce qui peut les exposer à des infractions ou même à des sanctions. La liberté d’expression inclut la possibilité de prendre un ensemble de décisions artistiques autres que celles attendues par les bailleurs, le public ou d’autres parties prenantes. »
Atteintes à la liberté des femmes artistes. L’enquête souligne aussi que les artistes femmes sont souvent spécifiquement visées. « Les références à l’indécence, au blasphème, à l’ordre public ou à la morale sont souvent utilisées pour justifier les restrictions imposées à l’expression des femmes artistes, qui sont souvent la cible de campagnes de diffamation pour leur travail artistique, leurs opinions, leur militantisme ou leur apparence physique. Elles sont également confrontées à l’intimidation, aux attaques physiques et en ligne, à la censure, aux arrestations, aux poursuites judiciaires et à l’emprisonnement. »
De manière plus générale, l’enquête note que, si l’on a pu croire que la mutation numérique favorise la liberté artistique, on constate qu’elle contribue souvent à en accroître la limitation par « la surveillance des expressions, notamment à travers les médias sociaux, ce qui rend les artistes vulnérables à la suppression de leurs œuvres et/ou à l’oppression. Les artistes sont également la cible de violence, de propos haineux, sexistes, et de désinformation en ligne. »
Un manque de critères pour identifier les atteintes à la liberté artistique. Plus positivement, l’Unesco met en exergue plusieurs initiatives engagées par des Etats. Par exemple, en Namibie, des mesures sont prises pour renforcer le contrôle de la liberté artistique par le biais d’un rapport national. L’Unesco salue également les initiatives européennes (France, Allemagne, Slovaquie, Autriche…) pour accueillir et accompagner les artistes en exil de pays en proie à des conflits armés ou sous la coupe de régimes répressifs (Syrie, Ukraine, Afghanistan…).
Cependant l’enquête de l’Unesco identifie un frein majeur à la lutte contre les atteintes à la liberté artistique : le manque de critères clairs et partagés pour les recenser. D’une part, et à la différence des journalistes qu’une juridiction internationale protège nommément, les artistes « ne sont actuellement pas considérés comme un groupe particulièrement vulnérable auquel il convient d’accorder une priorité dans les programmes de protection mis en œuvre lors de situations d’urgence, ni lors des évacuations humanitaires ». Et d’autre part, il n’existe pas d’indicateur ou d’objectif spécifique centré sur ce droit ou sur la sécurité des artistes. « Cela contribue à rendre le signalement des atteintes à la liberté artistique moins fréquent que s’il existait un indicateur spécifique. »