L’élaboration d’un plan d’actions en faveur des ruralités, à déployer sur le long terme, constituait une demande de l’AMRF, de l’Association nationale nouvelle ruralité (ANNR) et de l’association internationale Rural environnement développement (RED). C’était également un engagement pris par le président de la République le 25 avril à la suite de la crise des “gilets jaunes”. Réuni au sein de la Mission ruralité, un groupe de trois sénateurs et de deux maires ruraux – Daniel Labaronne, Patrice Joly, Pierre Jarlier, Cécile Gallien et Dominique Dhumeaux – a rédigé un rapport intitulé Ruralités : une ambition à partager : 200 propositions pour un agenda rural. Il a été remis le 26 juillet à la ministre de la Cohésion des territoires. Jacqueline Gourault a affirmé souhaiter « qu’aucun des champs d’action identifiés ne soit à la fin oublié », dont celui de la culture. Avec huit propositions.
Soubassement européen. En 2016, l’agenda rural “Mieux vivre dans les zones rurales” a été adopté par l’Union européenne. Le 3 octobre 2018, le Parlement européen votait une résolution en faveur de l’adoption d’une politique spécifique à destination des territoires ruraux de l’Union. Ses outils restent à inventer. Tel est l’objectif qui a été assigné à la Mission ruralité, auteure du rapport “Ruralités : une ambition à partager”. Ses propositions traitent de l’ensemble des dimensions de la vie en territoires ruraux : la mobilité, la santé, l’emploi, le numérique, mais aussi, de manière plus transversale, le vieillissement et l’isolement, l’économie sociale et solidaire ou encore la culture.
Une urgence mise à jour par les “gilets jaunes”. « Aujourd’hui, les territoires ruraux ont le sentiment d’être incompris et peu visibles. Ils sont trop souvent représentés comme une “charge” pour la Nation. Le mouvement des gilets jaunes a été le catalyseur de ce sentiment. Cette mobilisation renvoie à des problématiques qui ne peuvent être laissées sans réponse. » La réponse de la Mission ruralité s’est nourrie du Grand débat. Elle concerne les plus de 20 millions de Français habitant en territoire rural. A l’horizon, cette ambition : changer le regard sur la ruralité et en prôner une « image conquérante, pleine d’opportunités, symbole du bien-vivre ».
Une image qui nécessite une nouvelle ambition culturelle. D’où huit propositions.
La promesse rurale. 81% des Français rêvent de vivre à la campagne. La ruralité contient « la promesse » d’une meilleure qualité de vie. Elle est aussi un levier fondamental pour la transition écologique et énergétique et un pilier de l’économie verte de demain grâce notamment à ce que la Mission appelle ses « aménités » : des biens publics locaux non produits tels que l’eau, la biodiversité, le paysage, les ressources énergétiques. Autant d’atouts non reconnus à leur juste valeur.
Pour donner toute sa force à ces potentialités, une nouvelle approche politique s’avère indispensable. Les collectivités territoriales, quelle qu’en soit la nature, sont bien entendu ici en première ligne, mais l’Etat aussi doit s’engager en allant « jusqu’au bout de la décentralisation », selon le principe de la “différenciation”. « Les politiques publiques ne peuvent être conduites de façon uniforme. » Il importe donc de « renforcer l’Etat local », notamment dans le domaine culturel, via ses services déconcentrés, les DRAC.
Les propositions se déclinent selon deux axes. D’une part un interventionnisme en subsidiarité de l’Etat et, de l’autre, la valorisation des richesses culturelles des territoires : langues régionales, artistes présents sur le territoire, patrimoine, traditions musicales, festivals et manifestations culturelles, etc. Car « les habitants des territoires ruraux refusent aujourd’hui une vision élitiste et descendante de la culture, qui vise à « apporter » la culture aux ruraux. »
- Renforcer l’action des DRAC. Parmi les préconisations, celle envisageant « qu’une part significative des crédits déconcentrés » vienne en appui aux projets culturels en milieu rural fait partie des 50 “propositions-clefs”. Cet apport devrait en particulier servir à la création et la diffusion dans les petites salles culturelles.
- Inscrire un volet culture dans les contrats de ruralité. Ce soutien « pourrait notamment s’inscrire dans la nouvelle génération de contrats de ruralité, au moyen de la création d’un volet culturel qui s’appuierait sur les ressources artistiques locales ».
- Promouvoir l’itinérance. La Mission estime nécessaire de mieux accompagner la “culture itinérante” et les programmations hors-les-murs, par exemple via des conventions nationales entre le ministère de la Culture et les opérateurs et les associations.
- Implanter 500 micro-folies. Sur les 1 000 créations d’ici 2022 de ces tiers-lieux équipés d’un musée numérique annoncées par le ministère, la moitié devrait concerner les territoires ruraux et faire l’objet d’une aide financière spécifique aux collectivités volontaires.
- Ressources propres. Encourager les initiatives associatives, notamment musicales. Plusieurs suggestions : abonder le Fonds pour le développement de la vie associative (FDVA) et instaurer une dotation spécifique du futur Centre national de la musique au bénéfice des sociétés musicales. Autres pistes, mieux faire connaître le Fonds d’encouragement aux initiatives artistiques et culturelles des amateurs (FEICA) et mettre résolument en œuvre la Charte de l’EAC.
- Développer l’offre locale du Pass culture. Une expérimentation du Pass culture, dont l’âge d’accès serait abaissé de 18 à 16 ans, permettrait de développer en profondeur l’offre culturelle des territoires ruraux, à condition d’orienter les pratiques vers des structures émanant des territoires.
- Encourager le mécénat culturel territorial. La vitalité des associations culturelles constitue un facteur décisif pour l’installation en milieu rural des familles et donc des salariés des entreprises ; le développement du mécénat culturel territorial permettrait de la soutenir davantage. Le rapport suggère d’interroger les pistes suivantes : exonérations fiscales, création de fonds de dotations pluri-communal, création d’une plate-forme de mise en relation des territoires et des entreprises, etc.
- Création d’un label “campagnes européennes de la culture”. Sans doute est-ce là la proposition la plus originale : un label culturel rural sur le modèle de celui des “villes européennes de la culture”, lequel constitue « un formidable tremplin touristique, culturel et économique pour les villes lauréates ». Une telle perspective ne pourrait-elle pas être aussi envisagée à l’échelle nationale ?
Plan “Nos campagnes, territoires d’avenir”
Le 20 septembre, le Gouvernement a dévoilé son Plan en faveur de la ruralité. Il reprend l’essentiel des propositions culturelles du rapport de la Mission Ruralités. Trois ne sont toutefois pas reprises : le développement d’une offre locale du Pass culture et l’encouragement des initiatives associatives, notamment musicales.
Un arbitrage en léger décalage avec ce constat de la Mission “Ruralités” : « Les politiques culturelles ne doivent plus seulement être des politiques de démocratisation et d’accès, elles doivent également prendre en compte et s’appuyer sur les ressources intrinsèques des territoires et leurs spécificités culturelles. »