La très riche étude “Ruralités SoFEST !”, réalisée par les chercheurs Julien Audemard, Aurélien Djakouane, Edwige Millery et Emmanuel Négrier avec le concours de France Festivals, s’attache à dépasser un binarisme simpliste entre festivals des villes et festivals des champs idéalisant ces derniers comme des événements du terroir répondant à des besoins et goûts culturels spécifiquement ruraux ou bien comme des substituts insuffisants à un manque d’équipements culturels. Au contraire, l’étude démontre que le dynamisme, l’exigence artistique, le profil socioculturel des publics et les difficultés des festivals sont les mêmes en ville ou à la campagne : « Les événements ruraux ne suivent pas une trajectoire propre. » Ces festivals – un tiers des 7 300 recensés – ne sont pas ruraux : ils “font avec” la ruralité.
A l’avant-garde des nouveaux paradigmes des politiques culturelles. Et, à ce titre, dans le contexte du Printemps de la ruralité initié par la ministre de la Culture, la question politique n’est pas (seulement) celle de trouver les voies pour les soutenir mieux mais de s’en inspirer. Alors que c’est dans la ville que « les nouveaux foyers de création, les façons nouvelles d’aborder les enjeux culturels autour des paradigmes de démocratie culturelle et d’industrie créative ont souvent été identifiés, […] on peut se demander aujourd’hui si les mondes ruraux ne sont pas à l’avant-garde de ces nouveaux paradigmes ». Et ce avec succès puisque plus de la moitié des créations de festivals de ces dix dernières années l’a été en territoire rural.
L’étude s’attache à explorer la singularité des festivals en territoires ruraux non pour isoler une réalité culturelle séparée mais pour en mesurer les variations par rapport au fonctionnement général de la vie festivalière au travers de multiples questions : « Quels sont les domaines artistiques qui l’emportent ? Y a-t-il une saisonnalité singulière des événements parce qu’ils se situent en milieu rural ? Globalement, que représentent-ils par rapport au pourcentage de la population que ces mondes ruraux représentent ? En quoi, sans toujours en avoir conscience, les festivals contribuent-ils à un aménagement culturel du territoire ? »
Où sont implantés les festivals ruraux ? Les événements ruraux représentent la moitié des festivals de Bourgogne-Franche-Comté, plus de quatre sur dix de ceux du Centre-Val de Loire, d’Auvergne-Rhône-Alpes, des Pays de la Loire, de la Bretagne, de la Nouvelle Aquitaine ou encore de la Corse. Dans ces régions, la part des festivals ruraux est supérieure à celle de la population vivant dans la partie rurale de leur territoire. Dans d’autres, c’est l’inverse : en Région Sud, par exemple, seuls 15% de la population régionale réside dans une commune rurale, mais 23% des festivals régionaux s’y déroulent. En miroir : en Normandie ou dans le Grand Est, la part des festivals implantés en milieu rural est inférieure à celle de la population résidant en ruralité. Des constats qui soulignent la persistance d’inégalités territoriales mais disent aussi l’attrait des festivals ruraux pour les urbains et l’importance « de souligner les liens qui relient ces territoires. C’est précisément en ayant à l’esprit l’existence de ces liens que l’on peut avancer des propositions qui viseraient à mieux en tirer parti. »
Prépondérance de la musique. Les territoires ruraux ont fait de la musique, et essentiellement des musiques actuelles, « le domaine électif de l’activité festivalière ». Sur les 3 000 festivals de musique recensés, 19% ont lieux dans des bourgs ruraux, 17% dans du rural à habitat dispersé et 4% à habitat très dispersé.
Sans expliquer l’option majoritairement musicale, l’étude souligne que le fait même qu’un choix esthétique permet « se défaire de l’idée reçue selon laquelle les événements ruraux auraient un caractère généraliste et artistiquement peu exigeant ». D’où la remise en cause d’une autre habitude de pensée : non, les populations rurales ne sont artistiquement moins exigeantes que les autres.
A noter aussi une présence significative de festivals de livre et de littérature dont la programmation « repose souvent sur un réseau de lecture publique qui maille assez finement le territoire et déploie, tout au long de l’année un travail de sensibilisation à la lecture ».
Lien fort au tourisme… Très concentrée sur les mois d’été, la saison festivalière rurale s’avère étroitement liée aux politiques touristiques, ce qui explique notamment sa densité sur les littoraux méditerranéen, breton ou atlantique, mais aussi leur fonction de favoriser le rayonnement et le développement économique de leur territoire. Ce que confirme l’importance de leur soutien par les Départements ainsi que par le groupe communal : alors que les intercommunalités et les communes urbaines les subventionnent à hauteur, respectivement, de 21,4% et de 65,9%, leur contribution est de 35,4% et 75,4% pour les festivals ruraux
… et au milieu familial. Autre particularité : alors que les relations dites “occasionnelles” – ou liens “faibles” – sont considérées comme les plus génératrices d’activités économiques (on parle de « la force des liens faibles »), pour la création de festivals ruraux, la prépondérance va aux liens “forts”, familiaux. Ici, « les membres des équipes de création sont pour plus d’un tiers d’entre eux (38,3%) unis par des liens familiaux. Un quart (25,6%) sont des conjoints. Si l’on ajoute à cela les liens amicaux (16,1%), nous pouvons dire que, a minima, plus de la moitié des personnes impliquées dans la création d’un festival sont, en moyenne, liées par des liens forts. »
Cette endogamie n’empêche pas « un mouvement de convergence du rural vers des formats de création typiques de l’urbanité ». Elle a cependant une conséquence négative, car source d’inquiétude quant à la pérennité des manifestations : « Là où les responsables de festivals ruraux se singularisent, c’est surtout par l’expression d’une crainte quant à l’absence de repreneur. »
Trois leçons politiques. Synthétisant leurs observations, les auteurs de “SoFEST ! Ruralités” font trois constats généraux :
- les singularités des festivals ruraux « résultent moins d’une essence rurale que de contraintes objectives qui conditionnent la possibilité de créer et de faire vivre un événement », notamment l’impératif de prendre en compte la question de la mobilité des publics,
- certains festivals, pourtant établis dans un rural très dispersé, « peuvent parfaitement rivaliser en ambition artistique, en impact économique ou en portée sociale avec de grands événements identifiés spontanément à l’urbain »,
- le rural est non seulement très divers mais aussi en constante transformation et est pleinement partie prenante du mouvement général de festivalisation de la vie culturelle.
Et en concluent : « Ces constats renvoient l’action publique à ses responsabilités. » Puisqu’il y a une forte convergence entre les festivals ruraux et les autres, « les instruments d’action culturelle doivent être, plus qu’ils ne le sont actuellement, tournés vers la ruralité » non en tant que telle mais précisément parce que ce sont des festivals “comme les autres” qui font face aux difficultés objectives et spécifiques des zones rurales. D’où trois “leçons” politiques :
- le laissez-faire n’est pas une bonne idée,
- une politique de soutien aux festivals ruraux passe moins par des dispositifs spécifiques que par une adaptation plus volontariste de ses instruments classiques aux territoires concernés,
- une politique active de soutien aux festivals ruraux, c’est peut-être d’abord une politique durable des mobilités.