Globalement bien accueilli et voté en première lecture par les députés le 19 novembre, le budget Culture 2020, en hausse de 1%, a préalablement donné lieu à des rapports tant de la commission des finances que de la commission culture de l’Assemblée nationale. Malgré quelques points d’interrogation, il a été voté le 17 décembre.
1. L’argent du Centre national de la musique
Rapport pour la commission finances de la députée Marie-Ange Magne
sur les crédits 2020 de la mission “Médias, Livre et industries culturelles”
Jusqu’à présent, le Centre national de la chanson, du jazz et des variétés (CNV) fonctionnait essentiellement sur un financement abondé par la taxe sur la billetterie des spectacles (3,5% du prix des billets). Le Centre national de la musique, appelé à se substituer au CNV en intégrant également d’autres structures (Bureau export de la musique française, Irma, Fonds pour la création musicale, Club action de labels et des disquaires indépendants français/CALIF…), bénéficiera d’apports plus diversifiés et notamment de crédits conséquents du ministère de la Culture. Donc une nouvelle “maquette” budgétaire qui change la donne non seulement financièrement mais politiquement en ce que les parlementaires ont, parmi leurs missions, celle de surveiller et valider les dépenses des ministères, les recettes fiscales échappant, elles, à leur autorité.
Les financements pour 2020. Le budget total du CNM s’élèvera pour sa première année d’existence à 55,7M€, dont 35M€ de taxes affectées, 0,6M€ de contribution des organismes de gestion collective (Sacem, Sacd…) et 14,6M€ de mesures budgétaires du ministère.
La contribution de l’Etat culturel provient essentiellement du programme 334 (“Médias, Livre et Industries culturelles”) géré par la Direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC), pour 13,4M€. Dans cette somme, les “mesures nouvelles” s’élèvent à 7,5M€, le reste (5,9M€) provenant de transferts de dispositifs existants au bénéfice des organismes qui seront regroupés dans le CNM. A quoi il faut ajouter quelques crédits du programme 131 (“Création”), piloté par la Direction générale de la création artistique (DGCA), pour 1,2M€ – là encore par transfert des dispositifs existants pour le CNV et l’Irma.
A noter cette information : « Une réflexion est toujours en cours concernant le transfert du programme “résidences musiques actuelles” (400 000€). » Une telle perspective pourrait accroître le rôle de la DGMIC dans la politique de l’Etat en faveur des musiques actuelles et dans le même temps réduire celui de la Direction générale de la création artistique.
20 millions d’euros ? En tout, le financement ministériel direct du CNM (hors taxe sur la billetterie) représentera en 2020 environ un quart de son budget (14,6M€). Or, le rapport parlementaire de préfiguration du CNM rédigé par les députés Pascal Bois et Emilie Cariou estimait nécessaire une ressource publique supplémentaire de 20M€, reprenant ici le chiffre avancé par le précédent rapport de Roch-Olivier Maistre.
On sait les fortes attentes des parlementaires vis-à-vis du CNM (cf. la Lettre d’Echanges n°172). Lors de son audition (24/10) par la commission culture de l’Assemblée nationale – à laquelle s’est jointe la rapporteure spéciale Marie-Ange Magne –, le ministre a été interpellé à plusieurs reprises sur cet écart entre les mesures nouvelles consenties et celles estimées nécessaires. Pour Sylvie Tolmont (Socialistes et apparentés, Sarthe), la structure actuelle du financement « est bien loin de pouvoir assurer le caractère pleinement opérationnel du Centre et de rassurer ainsi les professionnels de la musique ».
En réponse, le ministre s’engage : « Je vois des réactions, j’entends des soupirs… Saluons déjà les 7,5 millions nouveaux pour la musique ! Il en va toujours ainsi, il en faudrait toujours plus ! Reconnaissons que, dès 2020, ce sont 7,5 millions qui viendront abonder le fonctionnement du CNM. Nous atteindrons ensuite les 20 millions. La volonté très nette de ce Gouvernement d’accompagner la musique ne peut être niée. » Une promesse notée par Marie-Ange Magne, qui souhaite cependant quelques assurances supplémentaires : « J’aimerais, si possible, que vous nous transmettiez le calendrier envisagé. »
2. Le mécénat menacé ?
Rapport pour avis de la députée Valérie Bazin-Malgras
sur le budget Culture du projet de loi de finances pour 2020
En conclusion de la présentation de son rapport pour avis, la députée (LR) de l’Aube Valérie Bazin-Malgras, rapporteure pour avis sur le budget Culture 2020 pour la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale, est modérément enthousiaste : « Ce budget n’est pas un mauvais budget ; il comporte des avancées, mais aussi certaines faiblesses. » Car malgré sa progression (+1%), sensible notamment sur la mission “Patrimoines”, le financement de la culture par l’Etat pâtit à ses yeux d’une décision qui ne figure pas dans la partie du PLF consacrée aux dépenses culturelles mais qui, pour autant, pourrait significativement l’impacter.
L’article 50 du PLF 2020 relève des “Mesures fiscales et mesures budgétaires non rattachées”. Il engage une « rationalisation de la réduction d’impôt en faveur du mécénat » et limite de 60% à 40% le taux de la réduction d’impôt pour les entreprises dont les dons dépasseraient 2M€ par an. Une disposition qui touche à la loi Aillagon de 2003, sans doute la plus favorable au monde pour le mécénat. Jugement de la rapporteure pour avis : cette réforme est « particulièrement anachronique et malvenue ».
Anachronique ? Le mécénat, qu’il soit d’entreprise ou individuel, financier ou de compétence, semble s’être durablement installé en tant que ressource indispensable pour les politiques culturelles publiques et ce malgré la conviction unanimement partagée qu’il ne peut constituer qu’un appoint. Malgré aussi le constat que le recours aux recettes fiscales tend à limiter la maîtrise politique de la dépense publique ainsi qu’à la soustraire au contrôle parlementaire.
Mais Notre-Dame de Paris a brûlé… et la rénovation de la Cathédrale repose quasi entièrement sur les dons des entreprises et des particuliers. La députée de l’Aude souligne également que « l’Etat a même encouragé ses grands opérateurs à renforcer leur stratégie pour attirer des mécènes, ce qu’ils ont fait avec succès ». Une allusion à la diminution de 11M€ des crédits du Louvre entérinée par le budget Culture 2020, à charge pour le musée de générer davantage de recettes propres, dont celles issues du mécénat.
Le rapport détaille les exemples montrant que le mécénat contribue de façon croissante au financement des organismes et événements culturels, et ce dès 2011. Les acquisitions des musées nationaux dépendent essentiellement du mécénat, la rénovation du Château de Villers-Cotterêts, qui doit devenir la Cité internationale de la langue française, est adossée à une prévision de financements privés à hauteur de 25M€, soit un quart du budget total. Contraindre le mécénat serait donc s’inscrire en faux par rapport à l’évolution contemporaine du financement de la culture et à l’engouement pour le patrimoine dont témoigne le succès du Loto patrimoine. Sans compter que cette réforme, selon la rapporteure, « ajoute à l’instabilité fiscale dont notre pays est malade ». Une instabilité qui ne concerne pas uniquement les politiques nationales, car « le lien entre entreprises et monde culturel est aussi essentiel pour la vitalité des territoires ».
Dérives. Dans son rapport de 2018 sur “Le soutien public au mécénat des entreprises”, la Cour des comptes diagnostiquait « une dépense fiscale croissante, à l’efficience mal évaluée et peu contrôlée ». L’article 50 est-il une réponse directe à ce rapport ?
L’autre fondement de la réforme du mécénat pour 2020 est la nécessité persistante de réduire la dépense publique. Lors de la discussion du rapport de Valérie Bazin-Malgras, le ministre de la Culture l’a défendue à ce titre. Franck Riester estime également que le mécénat est nécessaire et que « l’incitation fiscale est saine ». Mais, ajoute-t-il à l’adresse des députés, « vous ne pouvez pas dénoncer, d’un côté, les dérives du mécénat et en même temps ne pas accepter nos tentatives pour mieux l’encadrer ».
… philanthropie… Par ailleurs, cette réforme – qui ne toucherait que 78 entreprises – ne provoquera pas forcément une baisse car, « objectivement, une société qui procède à plus de 2M€ de dons sur une année ne s’inscrit pas uniquement dans une démarche de réduction de sa fiscalité ; elle est aussi animée d’une démarche philanthropique, que je salue ».
… et solidarité gouvernementale. Enfin, le ministre de la Culture met en avant la solidarité gouvernementale dans l’effort de réduction de la dépense publique – « s’il n’y en avait pas vous me le reprocheriez » – et plaide pour qu’elle s’étende au-delà de la majorité : « Accompagnez-nous donc dans cette bonne gestion de l’argent public plutôt que de donner le sentiment que nous remettons en cause le mécénat, ce qui n’est pas le cas. » Et de conclure qu’il est inutile d’alimenter des inquiétudes. « Nous les relayons », se justifie la députée (LR) des Hauts-de-Seine Florence Le Grip. Réponse du ministre : « On les crée aussi en les relayant. »
3. PLF Culture 2020 : un soutien aux fanfares discuté mais rejeté
Adoption en 1re lecture des crédits Culture 2020
par l’Assemblée nationale le 12 novembre
La séance se tenait le 12 novembre, soit au lendemain des commémorations de l’armistice de la Grande Guerre. « Ce devoir de mémoire indispensable pour la Nation était rythmé par les harmonies musicales et par les batteries-fanfares, même dans les petites communes rurales », a souligné Anne-Laure Cattelot (LREM, Nord) avant de présenter un amendement transférant 5M€ des crédits destinés au Fonpeps – dont la budgétisation (15M€) lui paraît surévaluée au regard des besoins exprimés en 2019 – au soutien des fanfares par les DRAC.
Sur cet amendement somme toute marginal, les réactions des parlementaires ont été nombreuses et passionnées. Au point que le président de séance, Marc Le Fur (LR, Côtes d’Armor), a décidé d’accorder la parole à un plus grand nombre d’orateurs que ce que prévoit le règlement de l’Assemblée nationale.
Dominique David, rapporteure spéciale, partage évidemment le souci de promouvoir les harmonies locales, mais n’est favorable ni au montant ni au dispositif proposés, faisant valoir les aides consenties à l’association orchestres à l’école (0,64M€) ou encore à la Confédération des batteries-fanfares. Le ministre de la Culture y est également défavorable, craignant que « le vote de cet amendement mette en péril un grand nombre d’entreprises du spectacle vivant ». Enfin, Emilie Cariou (LREM, Meuse) fait l’hypothèse qu’un tel soutien relèvera des missions du Centre national de la musique.
En revanche, Fabien Roussel (GDR, Nord) soutient l’amendement, car « les harmonies et les fanfares sont à l’image de l’histoire de notre pays ». Yolaine de Courson (LREM, Côte d’Or) aussi, au titre de leur importance pour la ruralité. Marie-Christine Dalloz (LR, Jura) vote également pour, en remarquant que ces ensembles sont non seulement essentiels à la vie commémorative mais que, de plus, ils permettent la diffusion d’une pratique culturelle : « Il s’agit d’une forme d’enseignement. »
En écho à l’exposé des motifs de l’amendement, qui précise que « ces ressources supplémentaires permettront de financer le renouvellement d’instruments de musique, de matériels divers (pupitres, partitions, costumes) ou encore de participer aux frais inhérents aux différents concours auxquels participent ces formations musicales », Alexis Corbière (FI, Seine-Saint-Denis) estime que ce fonds ad hoc contribuera utilement, par exemple, à dédommager les frais de transport des ensemble musicaux.
Rejet en deuxième lecture. Même si l’amendement est ainsi adopté en 1re lecture (à une voix près), la discussion en commission mixte paritaire du 13 décembre le rejettera. Ce refus de la réaffectation budgétaire sera confirmée en 2e lecture par les députés. Pour autant, ce 12 novembre 2019 restera un jour important pour des formations qui se voient ainsi, pour la première fois, objets de débats au plus haut niveau de la représentation nationale.