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ActualitésQuestions territoriales

L’altérité métropolitaine

Par 3 février 2021décembre 20th, 2021Aucun commentaire

A paraître en janvier 2021, Culture et Métropole, une trajectoire montpelliéraine brosse un portrait des différentes modalités de l’engagement culturel des vingt-deux métropoles qu’éclaire un examen détaillé de celui de Montpellier Méditerranée Métropole. Au travers de l’étude d’un cas particulier, les chercheurs au CNRS Emmanuel Négrier et Philippe Teillet identifient une caractéristique générique de l’approche métropolitaine de la culture, son “altérité” par rapport à l’exercice municipal « classique » des politiques culturelles publiques : un prisme permettant d’atteindre par la culture des objectifs non culturels.

C’est un travail d’une précision d’entomologiste sur la réalité culturelle de l’institution métropolitaine : identifier et caractériser du point de vue de la culture une “famille” de collectivités dont chacun des vingt-deux individus est à lui seul une espèce à part entière.

Les quatre degrés de “l’altérité métropolitaine”. Il y a certes des sous-espèces réunissant plusieurs individus de la famille des métropoles. Elles sont au nombre de quatre, chacune présentant un degré plus ou moins marqué « d’altérité métropolitaine » : ce en quoi la métropole apporte une dimension supplémentaire, un “plus” ou un “autre” aux politiques culturelles municipales.

La “métropole virtuelle” (Nice, Dijon, Bordeaux, Tours, Aix-Marseille, Grenoble) regroupe les cas « d’absence réelle de transferts de politique culturelle », même si certains équipements ont été l’objet d’une métropolisation et même si des discours se revendiquent d’une politique culturelle singulière. Car même alors, selon les chercheurs, « la petite musique demeure celle d’une attribution trop manifestement communale pour être partagée ». En somme ici, la dimension métropolitaine habille un engagement municipal sans le modifier de manière déterminante. Dans ces cas de très faible “altérité métropolitaine”, le budget culturel métropolitain ne dépasse pas 20% du total ville-métropole.

La “métropole sélective” (Strasbourg, Lille, Lyon, Paris, Nantes, Saint-Etienne, Rennes) réunit les agglomérations où la métropole est engagée sur un ou plusieurs domaines de la compétence municipale, soit de manière formelle et purement gestionnaire, « sans réelle autorité culturelle ou politique », soit de manière plus résolue. Dans le total des dépenses culturelles ville-métropole, ces agglomérations contribuent pour une proportion située entre 22 et 37% ; on pourrait parler alors d’altérité métropolitaine ”partielle”.

Le “virage métropolitain” (Toulouse, Brest, Metz, Rouen) qualifie une métropole devenue « un acteur central du jeu culturel – grâce à des équipements, mais aussi par le fait qu’elle représente, plus que les villes, un horizon plus vaste ». La Charte de la lecture publique de Toulouse Métropole est un bon exemple d’inclusion de l’ensemble des bibliothèques des communes de la métropole dans une perspective globale de la lecture publique qui confère aux établissements singuliers une responsabilité excédant leur mission territoriale initiale. Les chercheurs notent toutefois que, bien souvent, les équipes en charge de telles ambitions restent trop restreintes pour mener à bien « un vrai changement d’échelle de la politique culturelle ». On pourrait dès lors parler d’altérité culturelle “en puissance” mais non pleinement encore en acte, même si la proportion des financements de ces métropoles est quasi équivalente, voire nettement supérieure, à celle de leurs villes respectives – de 45 à72%.

Enfin, on peut identifier trois cas de “politique culturelle métropolitaine” au sens plein : Toulon, Montpellier et Clermont-Ferrand. Ces institutions politiques territoriales témoignent toutes, chacune à leur manière, d’un « basculement qui va souvent de pair avec une mutualisation des niveaux et des mandats politiques ». Elles représentent « les rares exemples de transfert du centre de gravité d’une politique culturelle », avec plus de 80% de leurs financements dans le total ville-métropole. Donc une réelle “altérité métropolitaine”.

Montpellier Méditerranée Métropole, un cas d’espèce. Après ce classement, reste à identifier en quoi consiste précisément “l’altérité métropolitaine” par rapport à une action municipale “classique”. Pour mener à bien une telle identification, les chercheurs explorent en détail, d’un quadruple point de vue historique, politique, géographique et démographique, le cas montpelliérain, où la part de la métropole dans le total de la dépense culturelle ville-métropole s’élève à près de 88% (seule Clermont-Ferrand fait “mieux”, avec 97%).

Emmanuel Négrier et Philippe Teillet emmènent leurs lecteurs dans un cheminement d’une extrême complexité où s’enchevêtrent des tensions partisanes, des mobilités diverses, centripètes et centrifuges entre la ville-centre et ses périphéries plus ou moins proches, mais aussi des mutations plus théoriques. Celles-ci voient notamment succéder le principe des droits culturels à celui de la démocratisation culturelle, la prééminence de l’attention portée aux arts et aux artistes à celle aux publics et aux habitants, et ainsi le souci de l’art pour l’art à celui de la contribution de la culture à d’autres dimensions de l’action publique…

Ainsi, à Montpellier Métropole, « l’action culturelle publique se découvre des capacités – à l’échelle micro comme macrosociale – à accompagner ou atteindre des objectifs d’intérêt général qui ne sont pas spécifiquement culturels à la base : reconnaissance et/ou intégration sociale des personnes, accompagnement humain des mutations technologiques, esthétisation des politiques urbanistiques, santé publique, etc. » Par exemple, la création de la Halle Tropisme, lieu culturel et entrepreneurial situé sur une ancienne friche militaire, « correspond à cette nouvelle vision d’une culture moins “sectorielle”, qui se joue des frontières entre économie, convivialité et création ».

Au-delà de l’art pour l’art. Pour le dire de manière plus générale, dans la sous-espèce des agglomérations qui ont opté pour le basculement métropolitain, la métropole se sert de la culture pour s’autodéfinir tant politiquement qu’institutionnellement. L’action culturelle coïncide alors avec une identification politique et civique. Alors qu’à l’instar de l’Etat, les villes « ont mis en œuvre des programmes où la valeur de la culture était perçue comme intrinsèque, comme une fin en soi », pour ces métropoles, « la valeur de la culture devient extrinsèque. Son intérêt tient aux objectifs non culturels qu’elle peut permettre d’atteindre. »

Une telle perspective est certes loin d’être étrangère aux villes. Elles aussi savent tabler sur les retombées politiques “indirectes” de leur action culturelle, pour le lien social, le tourisme, l’économie, l’attractivité des centres-villes, l’éducation, l’urbanisme, etc. Mais la spécificité des métropoles réside en ce que, pour elles, il convient de « cocher toutes les cases » de ces effets non culturels de la culture : « La politique culturelle des valeurs extrinsèques […], c’est la métropole culturelle », la raison d’être de ce qu’Emmanuel Négrier avait nommé ailleurs le “pas de côté” de l’intercommunalité (la Lettre d’Echanges n°123, avril 2014) –, une autre manière de dénommer “l’altérité métropolitaine”.


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