Fin octobre, la commission culture du Sénat auditionnait la ministre de la Culture sur le budget 2023. Sur tous les sujets, les sénatrices et les sénateurs ont salué la mobilisation de l’Etat pour épauler les divers secteurs de la culture face à la pandémie et pour relancer l’activité post-Covid en 2021-2022. Mais Rima Abdul Malak a aussi répondu un certain nombre de points d’insatisfaction ou d’inquiétude pour l’avenir portant essentiellement sur l’équité territoriale des politiques du ministère et plus particulièrement sur ses politiques du patrimoine. Quelques questions/réponses.
Un budget patrimoine trop francilien ? Notant que l’Etat concentre l’essentiel de ses moyens sur le patrimoine national, la sénatrice (LR, Grand Est) Else Joseph rappelle que « la France dispose néanmoins d’un autre patrimoine qui appartient à des acteurs qui consacrent de nombreux moyens à son entretien. Qu’est-il prévu pour les monuments n’appartenant pas à l’Etat, qu’il s’agisse de monuments relevant de propriétaires privés ou de collectivités locales ? »
Aux yeux de la ministre, la « perception centralisée » de la politique du patrimoine de l’Etat procède d’une « certaine confusion ». Globalement, le budget 2023, « même si cela ne se voit pas dans toutes les lignes, permet l’irrigation territoriale à tous les niveaux, qu’il s’agisse de patrimoine, de création, de lecture publique, de soutien aux entreprises culturelles, ou de soutien aux radios associatives, qui sont partout sur le territoire. » Plus précisément sur le patrimoine, seuls 9% du budget concerne l’Ile-de-France. Ainsi 96% du « Plan cathédrales » est régionalisé. Rappelant ensuite que la répartition entre la responsabilité de l’Etat (monuments classés ou inscrits) et celle des collectivités (sites ni classés ni inscrits) est inscrite dans la loi de 2004, la ministre met en avant le loto patrimoine (autour de 20M€ par an) ainsi que le fonds incitatif pour le patrimoine dédié aux petites communes. Pour conclure : « Notre politique du patrimoine est donc totalement territoriale. »
Patrimoine et transition énergétique. Précisant que les modalités du DPE (diagnostic de performance énergétique) ne tiennent aucun compte de la valeur patrimoniale des biens, la sénatrice (LR) Sabine Drexler pointe des abus des professionnels de l’isolation – « qui n’hésitent pas à étouffer des architectures remarquables sous des plaques de polystyrène, sans tenir compte de leurs caractéristiques hygrothermiques » ; ces normes « sans nuance » sont pour eux « une véritable aubaine », dont profitent aussi les constructeurs. La sénatrice du Grand Est, qui avait auditionné la veille la FNCC (lien), note également que le plan Zéro artificialisation nette (ZAN) conduit souvent à la démolition de bâtis anciens. « Compte tenu de l’urgence, comment allez-vous mettre fin à l’application de ces mesures et stopper cette hécatombe ? »
Rima Abdul Malak convient de l’urgence d’une « conciliation nécessaire entre patrimoine, énergies renouvelables, transition écologique et isolation thermique » et fait part d’un travail en cours avec le ministère de la Transition énergétique « afin de rédiger une instruction ministérielle pour permettre aux architectes des bâtiments de France (ABF) d’évaluer plus précisément dans quel cas installer des panneaux photovoltaïques » ou encore de traiter de manière fine la problématique de l’isolation des fenêtres. « On doit pouvoir concilier les deux. »
JO 2024 et festivals. Pour sa part la sénatrice (PS, Ille-et-Vilaine) Sylvie Robert s’inquiète des difficultés que pourraient rencontrer les événements et manifestations culturelles des territoires pendant la période des Jeux olympiques de Paris 2024. Elle souhaite que la ministre garantisse « une anticipation interministérielle afin que cette période ne se traduise pas par une saison blanche pour les festivals et qu’aucune décision ne soit prise sans concertation avec les élus et les porteurs de projets ». Avec cette suggestion : différencier les décisions selon qu’elles concernent Paris et l’Ile-de-France ou les autres régions. « Il serait dramatique que l’été reste silencieux du fait des JO, comme en 2020, en pleine crise sanitaire. »
La ministre assure être alertée de pénuries à venir, que ce soit pour les matériels techniques ou pour les mesures de sécurité. Il y a en effet « une pression sur nos festivals, et je vais tenter de trouver des solutions ».
Enseignement artistique et éducation artistique et culturelle. Enfin, notant qu’on parle plus volontiers d’éducation artistique et culturelle que d’enseignement artistique – « quelle différence faites-vous entre les deux terminologies, et quelle réalité recouvrent-elles en termes de politique publique ? » –, la sénatrice (UC, Normandie) Catherine Morin-Desailly réitère sa demande de mobilisation de l’Etat en faveur des conservatoires et des écoles d’art, « en très grande souffrance depuis pratiquement vingt ans ». « Ces établissements – principalement les communes et les intercommunalités – pour lesquels agissent les collectivités, se voient bloqués parce que les lois de décentralisation ne sont pas accompagnées par le ministère. Des directrices et des directeurs démissionnent ou abandonnent le métier. » Or les conservatoires et écoles d’art ont su évoluer, s’ouvrir sur la cité. Aujourd’hui, « ce sont des pôles de ressources pour des territoires de référence. Ils méritent donc vraiment d’être accompagnés et de connaître une évolution si l’on veut assurer leur devenir. »
C’est par le Pass culture, essentiellement via sa part collective, que la ministre répond à l’ancienne présidente de la commission culture du Sénat. « Il ne s’agit pas de faire des jeunes des « consommateurs » qui vont acheter des billets pour assister à des spectacles ou visiter des musées, mais les amener à être des protagonistes, des acteurs de la vie culturelle et leur permettre de s’essayer à la musique, à l’art, à la danse, au théâtre, voire d’en faire leur métier s’ils le souhaitent plus tard. C’est ce que permet aujourd’hui de plus en plus le Pass culture, qu’on a voulu transformer afin de permettre aux jeunes d’acheter des instruments de musique ou de prendre des cours. » Quant aux établissements d’enseignement, « l’Etat ne peut totalement se substituer aux collectivités pour ce qui est des conservatoires municipaux de musique ».