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La coopération culturelle, un enseignement de la crise sanitaire

By 15 septembre 2021septembre 16th, 2021No Comments

Moment central des Journées d’Avignon de la FNCC, le débat au Cloître Saint-Louis du 16 juillet était consacré aux enseignements à tirer de la crise sanitaire et, plus précisément, à celui de la nécessité de renforcer la coopération culturelle territoriale. Un exercice qui non seulement a permis d’envisager positivement l’après-Covid mais de surcroît d’esquisser les grandes lignes, politiques et financières, d’une nouvelle étape de la décentralisation culturelle. Et, plus qu’incidemment, d’identifier quelques perspectives concrètes à porter au débat national des élections présidentielles de 2022. Quelques échos.

Le thème choisi pour le débat de la FNCC avec des associations de collectivités et le Syndicat national des scènes publiques (SNSP) était d’ordre général : la coopération territoriale et les enseignements de la crise sanitaire. Son résultat s’est révélé à la fois très concret et très politique.

 

De gauche à droite : Mélanie Masson (animatrice), Frédéric Maurin (président du SNSP), Fanny Lacroix (maire de Châtel-en-Trièves, représentante de l’AMRF), Jérémy Pinto (maire-adjoint au Creusot, représentant de l’AMF), Cendre Chassagne (metteuse en scène, directrice de la Cie Barbès 35), Frédéric Hocquard (président de la FNCC) et Cécile Helle (maire d’Avignon) – ©Xavier Cantat/FNCC

Deux expériences symétriques ont illustré les débats. D’une part une expérimentation de coopération territoriale autour d’un projet théâtral et participatif mené dans l’Yonne par la Compagnie Barbès 35 de Cendre Chassagne. Un projet qu’a interrompu une alternance politique. Et d’autre part, une initiative exemplaire dans la commune nouvelle de Châtel-en-Trièves (Isère), sous la conduite de la maire Fanny Lacroix – qui représentait l’AMRF au débat. Là s’est inventée, via l’accueil d’une compagnie de marionnettes, une solidarité indispensable sur un territoire rural menacé de désertification.

Dans le premier cas, c’est par la perspective de son effritement que la coopération territoriale a montré sa nécessité. Dans le second, c’est par sa capacité à susciter l’énergie d’une prise en main par les habitants, autour d’une initiative artistique, du destin de leur territoire qu’elle a mis en lumière son apport. Une double preuve que l’approfondissement de la coopération territoriale, dans le domaine de la culture et au-delà, peut être au fondement d’une réinvention de la décentralisation, mais aussi que la crise sanitaire a créé les conditions favorables pour un renouveau du dialogue entre collectivités et avec les professionnels et les citoyens.

Ces modalités réactualisées de coopération territoriale et de co-construction des politiques publiques constituent « des éléments importants non pas nés de la crise mais dont elle a montré le caractère fondamental. Sans coopération, sans concertation, on ne s’en sort pas », déclare en introduction le président de la FNCC. Qui précise : « On voit qu’il faudra franchir une nouvelle étape pour travailler autrement, avec de nouveaux outils : on ne peut plus continuer à fonctionner tel que nous le faisons aujourd’hui. Nous sommes à la limite de l’exercice. » Une limite dont la crise, en exigeant dans l’urgence des réactions solidaires, a déjà permis d’entrevoir le franchissement : « Cette crise nous a amenés plus que jamais à nous poser tout un ensemble de questions et j’ai eu le sentiment que nous pouvions mettre en œuvre tout ce pour quoi je me suis battu pendant des années ! Je ne suis pas pessimiste. Comme toutes les crises, cette crise nous sert », intervient avec optimisme l’adjoint à la culture d’Angoulême et membre du Bureau de la FNCC Gérard Lefèvre.

D’où un débat de fond sur la décentralisation : sur les rapports entre les collectivités et l’Etat, entre les collectivités entre elles, sur les financements publics et leurs modalités, sur les missions des élu.e.s, autour des instances de dialogue et de l’impératif d’une meilleure reconnaissance de l’inventivité des territoires et de leurs acteurs.

Elu.e gestionnaire, élu.e visionnaire ? L’interrogation sur les différences d’engagement culturel des collectivités – de l’enthousiasme à l’indifférence – a placé d’emblée le débat autour non pas d’une responsabilité individuelle mais du statut même des élu.e.s et des conditions d’exercice de leur mandat. C’est-à-dire sur le plan d’un véritable enjeu politique. Pour Fanny Lacroix, plongés dans les impératifs de gestion, « 90% des élu.e.s n’ont pas forcément les capacités d’accéder au niveau de politique publique permettant de se dire qu’il importe d’engager sa population dans l’émancipation, de construire du récit pour trouver de la cohérence, de projeter son territoire dans des évolutions nécessaires. Il faudrait peut-être redéfinir la fonction de maire dans le sens d’un élu.e visionnaire, qui forme sa population, qui lui donne des outils pour lire le monde. »

Cendre Chassagne, Frédéric Hocquard et Cécile Helle – ©Xavier Cantat/FNCC

La submersion des responsables des collectivités sous les aspects techniques et administratifs est particulièrement constatable dans les petites communes , où bien souvent le personnel se réduit à une secrétaire de mairie. Mais le problème est aussi politique, comme si les questions de fond relevaient du national et que les collectivités n’avaient de légitimité que pour régler les questions courantes. Donc une certaine dévaluation de la teneur des mandats locaux, une dévaluation intériorisée par celles et ceux qui les exercent. Comme une responsabilité politique à deux vitesses, le sens pour les uns, l’administration pour les autres. Or, « nos territoires sont aussi concernés par les grandes problématiques du moment, comme la transition écologique, la transition numérique, les mutations sociales… L’ensemble de ces questions traverse notre responsabilité », explique Jérémy Pinto, maire-adjoint du Creusot, membre du Conseil d’administration de la FNCC et représentant au débat de l’AMF. Et quand il été dit que la culture n’était pas “essentielle”, il a aussi été dit que les politiques culturelles n’étaient d’aucune utilité pour répondre aux inquiétudes de notre société, d’où le manque dans le débat public national d’une réponse à la question suivante : « Les arts et les artistes peuvent-ils ouvrir nos imaginaires sur ces grandes mutations sociétales ? »

Nos territoires sont aussi concernés par les grandes problématiques du moment, comme la transition écologique, la transition numérique, les mutations sociales… L’ensemble de ces questions traverse notre responsabilité d’élu.e. Jérémy Pinto

De manière plus offensive encore, la maire d’Avignon impute à l’Etat central une part de la responsabilité quant à la prépondérance gestionnaire dans l’exercice des mandats locaux. Pour Cécile Helle, Fanny Lacroix « pose une véritable question quant à la tendance de l’Etat à pousser les élu.e.s à n’être que des gestionnaires ». Tendance contre laquelle il est urgent d’entrer en résistance : « Je ne suis pas là que pour gérer la ville d’Avignon. Cela ne m’intéresse pas. Si j’ai voulu être maire, c’est pour développer un projet pour ma ville, pour ses habitants, pour porter une vision, raconter une histoire dans laquelle ils ont toute leur place. » C’est de l’urgence de ce récit solidaire et de la capacité à le raconter, à le partager dont se sont emparées les collectivités dans leur engagement décisif face aux impacts de la crise sanitaire.

Les ressources : modifier les modalités de circulation financière venant de l’Etat. Mais pour porter une vision, construire un récit et projeter sa collectivité dans l’avenir, il faut des moyens. Des moyens qui s’amenuisent au fil des réformes territoriales et que les dépenses supplémentaires engagées pour faire face à l’impact de la crise sanitaire ne vont que restreindre davantage. Et quand il faudra « découper le grain de riz en deux » (Frédéric Hocquard), il est tout sauf certain que cela s’opèrera au bénéfice de la dépense culturelle.

Je ne suis pas là que pour gérer la ville d’Avignon. Cela ne m’intéresse pas. Si j’ai voulu être maire, c’est pour développer un projet pour ma ville, pour ses habitants, pour porter une vision, raconter une histoire dans laquelle ils ont toute leur place. Cécile Helle

Là encore, Cécile Helle diagnostique une responsabilité étatique, avec des prises de décision qui, tout en maintenant les transferts de compétences aux collectivités, entravent leur capacité à les assumer avec inventivité et liberté. « Jour après jour, je suis confrontée à un dilemme : pour porter des politiques ambitieuses, y compris en matière culturelle, il faut de l’argent ; or, à force de mettre à mal la décentralisation, cela devient difficile. » Au départ, la décentralisation (loi de 1981) permettait en effet aux collectivités locales de “lever l’impôt”, donc de dégager les recettes indispensables à la conduite de véritables politiques publiques. Puis, au fil de réformes successives, « l’Etat a supprimé tel pour tel impôt tout en disant, certes, qu’il compense. Mais nous ne sommes plus décisionnaires ». Etre visionnaire exige d’être décisionnaire. « Il y a là un véritable enjeu à porter dans les prochaines élections présidentielles. »

Tout en se reconnaissant pleinement dans les propos de la maire d’Avignon, le président de la FNCC esquisse une analyse qui trace aussi une solution. « Aujourd’hui, si on veut innover dans le domaine de la culture, les mécanismes de distribution économique ne peuvent plus fonctionner de manière traditionnelle, avec l’Etat qui abonde et les collectivités qui apportent un complément. » Une telle nécessité de transformation est moins radicale qu’on pourrait le penser puisque, avec le concours particulier des bibliothèques de la dotation générale de décentralisation (DGD), on voit qu’il existe déjà un système de redistribution budgétaire au bénéfice des politiques culturelles locales. « Quand on a voulu étendre les horaires d’ouverture des bibliothèques, des financements de l’Etat ont été ajoutés en direction des collectivités pour pouvoir le permettre. Le même principe doit s’appliquer à d’autres sujets. Pourquoi ne pas faire la même chose aujourd’hui face à la crise et à son impact sur la culture, face au besoin de soutien et de relance ? » En conclusion, ce principe que la FNCC s’attachera à défendre et à porter au débat public : modifier les modalités de circulation financière venant de l’Etat.

Mélanie Masson, Frédéric Maurin et Fanny Lacroix – ©Xavier Cantat/FNCC

Pour une obligation de concertation. Mais il ne s’agit pas pour autant de fournir des moyens supplémentaires sans identifier à quoi ils seront dévolus, et ce de manière collective et concertée entre collectivités, avec l’Etat et avec les acteurs. Actuellement, cette concertation apparaît insuffisante (là encore un enseignement de la crise).

Certes, des espaces de dialogue ont été instaurés. Les Conférences territoriales de l’action publique (CTAP) voulu par la loi NOTRe existent mais, sauf rare exception, seulement sur le papier de la loi. Certes les Comités régionaux des professions du spectacle (Coreps) organisent le dialogue tripartite Etat-collectivités-professionnels mais uniquement dans le domaine du spectacle vivant et de la musique enregistrée ; de surcroît bien peu de Régions en sont dotées. Certes aussi, notamment sous les impératifs d’urgence sanitaire, les Conseils locaux des territoires pour la culture (CLTC) ont montré leur pertinence, mais rien encore n’oblige à tenir compte de leurs avis.

« Ce sont des outils qui, pour nous aujourd’hui, nécessitent de reprendre langue pour construire non pas un après-covid, mais un nouveau moment pour avancer ensemble et progresser dans la co-construction des politiques publiques avec les collectivités territoriales », estime le président du SNSP, Frédéric Maurin. « Quand a-t-on discuté de la déclinaison des soutiens sur les territoires ? », s’interroge Frédéric Hocquard. « Il faut des obligations de co-construction des politiques publiques. Tant que cela ne figurera pas dans les lois, cela ne fonctionnera pas. C’est ce que nous réclamons aujourd’hui. »

Il faut absolument construire des espaces de dialogue sécurisés entre le monde des professionnels, des artistes et celui de la démocratie représentative. On a aussi besoin de se professionnaliser, de cranter notre niveau de réflexion politique et de savoir avec quels interlocuteurs nous devons parler. Frédéric Maurin

En écho, Frédéric Maurin reprend l’idée d’une déconcentration directe vers les collectivités de moyens de l’Etat sur le modèle de la DGD, mais note que l’exemple donné par Cendre Chassagne « est la démonstration en creux que quand il n’y a pas une coopération culturelle selon un prisme obligatoire », ça ne fonctionne pas suffisamment bien. « Il faut absolument construire des espaces de dialogue sécurisés entre le monde des professionnels, des artistes et celui de la démocratie représentative. » Mais attention à bien cibler les partenaires de la discussion. « On a aussi besoin de se professionnaliser, de cranter notre niveau de réflexion politique et de savoir avec quels interlocuteurs nous devons parler », prévient le président du SNSP.

Au-delà des appels à projets, pour la confiance. Dans l’auditoire, le directeur du Train Théâtre à Valence, Luc Sotiras, met en garde contre les “mauvais amis” du service public de la culture que sont à ses yeux les délégations de service public, qui tendent à privatiser l’action culturelle. Pour sa part, Frédéric Maurin souligne l’impact négatif de l’obligation d’appels à projets pour les dépenses culturelles publiques, car elle astreint les acteurs à une perpétuelle recherche de moyens financiers « qui étouffe les équipes artistiques ainsi que les collectivités territoriales ».

Frédéric Hocquard : « Quand a-t-on discuté de la déclinaison des soutiens sur les territoires ? Il faut des obligations de co-construction des politiques publiques. Tant que cela ne figurera pas dans les lois, cela ne fonctionnera pas. C’est ce que nous réclamons aujourd’hui.  » – ©Xavier Cantat/FNCC

« Si, avec la FNCC, nous souhaitons la mise en place d’espaces de concertation, c’est précisément pour aboutir à un travail pérenne, autour de conventions pluripartites équilibrées, discutées avant la mise en place de l’engagement des moyens. L’appel à projet est une catastrophe. » Un point de vue que partagent Fanny Lacroix (« Qui est en mesure d’y répondre systématiquement ? Les communes rurales ont énormément de mal à le faire… ») tout autant que Frédéric Hocquard qui ici se félicite de la récente proposition de loi sur les librairies indépendantes dont l’une des mesures permet le financement direct des librairies par les collectivités, à l’instar de ce que la loi Sueur autorise pour les cinémas.

Pour Cécile Helle, cet impératif du recours à l’appel à projets pour la dépense publique fait partie d’un manque de confiance plus général de l’Etat vis-à-vis des collectivités : « Il y a aujourd’hui un vrai enjeu à dire à l’Etat qu’il doit à nouveau faire confiance à ses territoires, à nouveau faire confiance à ses élu.e.s locaux qui ont été là pendant cette période de crise, ce qui veut dire qu’il y ait à nouveau de la redistribution, y compris financière, pour que nous puissions effectivement nous permettre de n’être pas que des maires gestionnaires mais des maires visionnaires, des maires solidaires vis-à-vis de la population et notamment des acteurs culturels. »

Pour sa part, Jérémy Pinto note qu’en effet, « la question posée est celle de la confiance aux territoires, une confiance : entre les citoyens et leurs élu.e.s, entre les élu.e.s et les acteurs culturels. La confiance ne se décrète pas. » Ce qui le conduit incidemment à regretter l’absence – symbolique – d’un représentant de l’Etat au débat. Une confiance nécessaire si l’on veut être en mesure de répondre à la question centrale identifiée par le président de la FNCC en réponse à une question sur les politiques culturelles dans les Outremers posée par Princesse Granvorka, maire-adjointe à Aubervilliers et membre du Conseil d’administration de la FNCC : « Comment adapte-t-on une politique culturelle aux territoires ? »

Fanny Lacroix apporte sa réponse, issue de son expérience d’accueil de la Compagnie de marionnettes Tralabar à Châtel-en-Trièves : « On souffre d’un manque de visibilité, un manque de reconnaissance pour ce qui se fait à bas bruit, loin de la lumière des métropoles. Peut-être faudrait-il partir à la recherche de ces pépites, assumer un rôle pour ainsi dire d’orpailleur pour aller vers les territoires et pas seulement pour que les territoires aillent vers les appels à projets. L’Etat a là un rôle, dans la perspective républicaine, d’apporter une reconnaissance nationale à certains projets pour construire des petites cathédrales. »

Ce débat croisant inquiétudes et ambitions d’élu.e.s, ruraux comme urbains, de représentants des milieux professionnels ou associatifs et d’artistes a témoigné d’une prise de conscience collective : la nécessité de promouvoir, à la lumière des enseignements de la crise sanitaire, les enjeux de la décentralisation culturelle dans les élections présidentielles du printemps prochain.