Apparu en 2010, le terme de »co-construction » n’a jamais autant été employé qu’aujourd’hui, mais sans qu’on sache ce qu’il recouvre réellement pour les uns et les autres. Le socio-économiste Laurent Fraisse a rédigé une étude intitulée “La co-construction de l’action publique : définition, enjeux, discours et pratiques” en partenariat avec le Collectif des Associations citoyennes, le Mouvement associatif, le Réseau national des maisons des associations, le Réseau des collectivités territoriales pour une économie solidaire et l’Union fédérale des intervenants dans le secteur culturel (UFISC). Co-construire, s’est co-gérer et co-décider avec les associations et les habitants, soit des perspectives entrant en forte résonance avec ce temps de débat généralisé issu de la crise des »gilets jaunes ».
La co-construction n’est pas une simple volonté de dialogue mais le résultat du diagnostic d’un manque de dialogue : « Elle passe souvent dans un premier temps par la reconnaissance par les pouvoirs publics d’acteurs, d’initiatives et de réseaux mal pris en compte dans les processus de décisions publiques. »
Qu’est-ce que la co-construction ? La co-construction relève des démarches participatives, et non de ce qu’on appelait les “financements croisés” ou de l’actuelle “compétence partagée”, formules désignant des concertations entre collectivités et non avec la société civile. On pourrait ici inverser le titre du Document d’orientation politique de la FNCC (2013), des “Politiques culturelles pour les personnes, par les territoires” : des politiques culturelles par les personnes, pour les territoires. Définition : « Un processus institué de participation ouverte et organisée d’une pluralité d’acteurs à l’élaboration, à la mise en œuvre, au suivi et à l’évaluation de l’action publique ».
Qu’est-ce que n’est vraiment pas la co-construction ? Concept à la fois abstrait et flou, l’idée de co-construction charrie avec elle tout un ensemble d’autres idées qui en brouillent la signification. Identifier ce qu’elle n’est pas en précisera les contours.
- Elle n’est pas un simple processus d’élaboration et de décision politique concerté. Pour l’auteur, elle se distingue nettement de ce qu’on appelle la conception “décisioniste” de la politique participative, où l’arbitrage final revient à la responsabilité politique.
- La co-construction n’est pas non plus le fruit d’une concertation technocratique, où « les hauts-fonctionnaires, les techniciens des administrations et plus généralement les experts jouent un rôle central ».
- Elle s’oppose aussi à ce qu’on pourrait qualifier d’instrumentalisation de la démocratie participative : consultations informelles de la société civile, car de telles consultations peuvent « être captives de réseaux notabiliaires, de pratiques clientélistes ou du lobbying des groupes d’intérêts » et donc ne pas refléter la diversité des acteurs locaux.
- Enfin, la co-construction est pour ainsi dire l’inverse de la “nouvelle gestion publique” marquée par des techniques de management d’entreprise.
Ce que n’est pas vraiment la co-construction. Une multitude de “notions voisines” opacifie également une vision claire de ce qu’est la co-construction. Elle ne se réduit ni aux procédures de débat public ni aux diverses tentatives d’implication des habitants à des projets les concernant. Ni encore à des partenariats entre associations et collectivités locales, ni même à des processus de co-production.
En bref, elle n’est pas une forme ou une autre de modalité de la décision à un instant T de la mise en oeuvre d’un projet politique mais une politique en elle-même en ce qu’elle concerne tant les choix que leur suivi et leur évaluation. Ce n’est pas un moment mais un état, pas une étape mais une manière de faire générale. « Elle va plus loin que la concertation en tant que processus portant sur une politique publique et pas seulement sur la résolution d’un problème ou la réalisation d’une action. » La co-décision sera ici nécessairement doublée d’une co-gestion.
La co-construction : un processus institué de participation ouverte et organisée d’une pluralité d’acteurs à l’élaboration, à la mise en œuvre, au suivi et à l’évaluation de l’action publique.
Des limites – françaises – de la co-construction. L’étude en a identifié deux. D’une part, une tradition nationale, partagée tant par les responsables politiques qu’associatifs, centrée sur la légitimité des élus, donc sur celle du vote des assemblées territoriales, d’où, par-delà la concertation, une absence de co-décision. Deuxième limite, le « rôle périphérique et subordonné de la démocratie participative par rapport à la démocratie représentative » qui ne permet pas aux processus de co-construction d’aller jusqu’à une co-gestion de l’argent public. En France, « les questions budgétaires restent l’un des points aveugles de la co-construction » alors qu’il en va différemment dans des pays comme le Québec ou l’Argentine dont les traditions politiques sont moins jacobines.
Pour identifier une co-construction “à la française”, le rapport s’appuie sur les travaux de la sociologue Madeleine Akrich identifiant deux composantes, fondamentales mais souples, de la co-construction : « une relative continuité dans les compétences et les rôles des acteurs impliqués » et « des modes d’engagement des acteurs sensiblement plus forts que ceux qui sont associés à la concertation ou à la consultation ».
Les différents registres de la co-construction. Laurent Fraisse distingue plusieurs « registres discursifs » de la notion de co-construction : démocratisation de l’action publique et reconnaissance des corps intermédiaires, nouvelle rhétorique politique pour surmonter les résistances aux réformes de modernisation des politiques publiques, enfin « prudence et réticences à parler de co-construction au regard de la réalité des pratiques et des asymétries de pouvoir ».
Dans le premier registre, « mettre en place un processus territorial de participation, c’est faire de la politique autrement… ». L’actuel appel du collectif Des communes et des citoyens “Citoyens, engagez-vous dans la Commune !” va en ce sens : « Nous croyons à l’action locale basée sur la coopération et l’implication des femmes et des hommes de bonne volonté, en dehors des schémas habituels. »
Dans le registre de la “nouvelle rhétorique”, l’usage du terme de co-construction « peut s’interpréter comme “des contre-feux” rhétoriques pour répondre aux inquiétudes exprimées des corps intermédiaires institués de ne pas être suffisamment associés ou écoutés ».
Le troisième registre est pratiqué par ceux qui prennent au sérieux la notion de co-construction et ne veulent pas la diluer. Ainsi ce propos d’une élue à la vie associative pourtant à l’origine de la mise en place de cinq “conseils citoyens” : « On est plus dans la consultation. Le niveau supérieur serait d’aller vers la co-décision, on n’y est pas. » Autre témoignage, cette fois d’un responsable associatif : « On a arrêté de parler de co-construction des politiques publiques. On amenait un fantasme. »
L’élu-type de la co-construction. Parmi les conditions favorables à la co-construction entre responsables politiques et acteurs associatifs, plusieurs concernent directement les élus locaux. Rien ne se fera sans leur conviction. Et cela fonctionnera d’autant mieux que les élus en charge de délégations seront issus de la société civile et que leurs relations avec les maires seront étroites.
Le calendrier politique a également son importance. Les périodes de changement de mandature sont privilégiées, car les processus de co-construction s’instaurent plus aisément quand ils sont lancés en début de mandat. Autres conditions favorables : l’affirmation d’une nouvelle compétence ainsi que la création ou la reconfiguration des collectivités locales : l’extension des régions (avec l’exemple de la Nouvelle-Aquitaine) ou encore celle des intercommunalités ou bien la création de communes nouvelles… Le paysage issu des prochaines élections territoriales se révèlera-t-il favorable à la co-construction au sens où l’entend Laurent Fraisse ?