La Fédération des entreprises publiques locales, qui regroupe 11 000 élus, et la FNCC ont organisé conjointement à Avignon un séminaire sur les entreprises publiques locales (EPL). Les problématiques sont nombreuses sur cette thématique rare : pourquoi le choix d’une EPL ? Pour quels types de projets sont-elles plus pertinentes que les autres statuts (régie directe, DSP, EPCC) ? Quels avantages pour les professionnels ? Pour les élus ? Quelles nuances apporter ?
Cinq exemples, présentés par des élus et des professionnels, ont apporté des premiers éléments de réponse : le musée de la Romanité à Nîmes, Le Voyage à Nantes et La Folle Journée, le Théâtre national de Bretagne, le Théâtre Jean Vilar de Suresnes et Avignon Tourisme. Echos du séminaire.
Du statut selon lequel est géré un équipement culturel public dépendent : le plus ou moins grand contrôle politique de la structure tant dans ses choix financiers que dans ses orientations ; la latitude dans les partenariats envisagés soit entre structures, soit entre collectivités ; le lien entre les directions et personnels des structures et les élus ; ou encore une éventuelle rentabilisation des activités… Les élus doivent donc choisir, selon la nature de leur projet, entre la régie directe, la délégation de service public (DSP), l’établissement public de coopération culturel (EPCC). Ou encore, plus rare en matière de culture, l’entreprise publique locale (EPL), soit un statut d’économie mixte public/privé.
A l’approche des élections municipales de mars 2020, la FNCC a jugé utile d’organiser un séminaire sur ce dernier statut souvent mal connu car pensé intuitivement, dans un pays où la responsabilité culturelle est principalement associée à la puissance publique, peu adapté au domaine des arts et de la culture. Pourtant – et trois des quatre interventions qui ont illustré ce séminaire l’ont démontré –, la culture peut être associée à des types d’activités autres, tels le tourisme ou la restauration, qui, eux, exigent des modalités d’action et de gestion pour lesquelles le fonctionnement entrepreneurial peut s’avérer particulièrement pertinent. Certes, le sujet semble technique, mais « nous avons aussi besoin d’un peu de meccano… », explique le président de la FNCC.
Les différents types d’EPL. Jean-Marie Sermier, député et président de la Fédération des EPL, dresse l’inventaire de ses différentes formes, toutes caractérisées par un actionnariat essentiellement assumé par des collectivités. Les 1 300 EPL existantes se distinguent en trois catégories :
- Les sociétés d’économie mixte (SEM) dont l’actionnariat est détenu à la fois par des collectivités et des sociétés privées, souvent des banques, en particulier la Caisse des dépôts et consignations. Le président de la Fédération des EPL précise : « Les SEM sont dirigées par des élus, ce qui est tout l’intérêt de l’économie mixte : garantir la gouvernance des élus et s’appuyer sur le savoir-faire des entreprises. »
- Les Sociétés publiques locales (SPL) où l’actionnariat est intégralement détenu par des collectivités. Il en existe environ 300, œuvrant dans une quarantaine de métiers différents, notamment l’aménagement urbain ou encore la culture. « Elles procèdent toutes de la volonté des élus. »
- Les Sociétés d’économie mixte à opération unique (Semop), soit la réunion d’une entreprise et d’une collectivité pour exercer un marché particulier.
L’entreprise publique locale apporte plus de souplesse de fonctionnement et permet un contrôle public plus important. A quoi il faut ajouter la possibilité de coordination avec différentes collectivités.
Pour Jean-Marie Sermier, si aucun mode de gestion n’est idéal – il existe plusieurs options à choisir en fonction de la nature des projets –, l’économie mixte présente deux principaux avantages pour la gestion d’équipements proposant une offre culturelle :
- Une gouvernance réellement assumée par les élus : à la différence d’une délégation de service public, où le contrôle n’est assuré qu’a posteriori à partir des comptes-rendus d’activités, dans les EPL, les élus président le Conseil d’administration. « C’est une fonction à la fois de gouvernance et d’orientation. »
- L’EPL favorise également le travail entre territoires, avec les EPCI, avec les départements…
Le musée de la Romanité à Nîmes. Ce nouveau musée, dont le périmètre couvre 25 siècles d’histoire, depuis l’âge de fer jusqu’à la période médiévale, porte évidemment une importante mission scientifique assumée en toute rigueur par des conservateurs et leurs équipes. Mais c’est également un lieu de vie, avec des jardins, un rooftop, une rue romaine reconstituée. Son plein fonctionnement exige aussi des agents pour la sécurité, la billetterie, la médiation, les expositions temporaires… De surcroît, son projet politique est de conforter l’offre touristique culturelle de la ville afin d’allonger la durée des séjours des visiteurs.
Quel mode de gestion pour une telle structure et ses multiples métiers qui, alors qu’elle a été ouverte en juin 2018, a déjà reçu plus de 260 000 visiteurs ? La municipalité a lancé une réflexion, comparant les atouts respectifs des différents statuts. Avec un principe intangible : garder la maîtrise des contenus scientifiques aux mains des professionnels de la conservation. Finalement, le statut d’EPL a été retenu (au capital, les Villes de Nîmes et de Saint-Gilles-du-Gard), avec une triple répartition des fonctions :
- la partie scientifique et le lien avec les scolaires dédiés aux conservateurs,
- la maintenance des bâtiments sous-traitée en régie,
- l’accueil, la gestion publique, les audio-guides, les visites, la surveillance, la sécurité, l’administration, les activités commerciales et la communication confiés à la société publique locale.
Synthèse de Fabrice Cavillon, directeur-général du musée de la Romanité : l’EPL « apporte plus de souplesse de fonctionnement et permet un contrôle public plus important. A quoi il faut ajouter la possibilité de coordination avec différentes collectivités. »
La Folle Journée de Nantes et Le Voyage à Nantes. Le témoignage du maire-adjoint à la culture de Nantes, David Martineau, va dans le même sens : pour des initiatives culturelles dont la forte dimension touristique se traduit par la multiplicité des métiers requis, l’économie mixte présente l’avantage de la souplesse.
Le Voyage à Nantes, surtout connu en tant que festival, regroupe une offre touristique comprenant un château, un musée ainsi que le mémorial sur l’esclavage. « Nous essayons de tenir une stratégie complète de tourisme. L’EPL est ainsi une entreprise touristique basée sur la culture » dont la présidence est assurée par le vice-président au tourisme, non par l’adjoint à la culture ; elle emploie 500 personnes, pour un budget de 30M€. Par ailleurs, Le Voyage à Nantes, au-delà de son apport d’attractivité pour la ville, englobe des destinations multiples pour intéresser les gens qui vont en Bretagne ou souhaitent par exemple visiter les châteaux de la Loire. C’est ici que l’EPL apporte une réelle valeur ajoutée : « Le grand avantage de la SPL consiste à pouvoir réunir plusieurs collectivités à son capital, dont ici la région Pays-de-la-Loire. »
Le cas de La Folle Journée de Nantes, qui a pour finalité de démocratiser – de « décrisper le rapport entre la musique classique et le public »–, s’avère analogue. Là encore, l’ampleur de la manifestation (139 000 spectateurs par an) semble disproportionnée pour une régie directe. De plus, il existe une marque “Folle Journée” que les services municipaux ne sont pas à même de gérer, car cela relève d’un métier trop spécialisé.
Enfin, à ces considérations tendant à montrer que l’articulation entre tourisme et culture, spécialisation culturelle et multi-activités appellent une souplesse de gestion particulière, David Martineau ajoute en faveur des EPL un argument d’ordre psychologique. La Folle Journée et Le Voyage à Nantes sont l’une comme l’autre des créations : la première de René Martin, le second du “réveilleur de Nantes” Jean Blaise. « Il y a donc d’abord eu le créateur d’un concept par quelqu’un qui a besoin de bénéficier d’une grande liberté, d’en porter lui-même la responsabilité et donc de pouvoir s’affranchir de la lourdeur de la régie directe. »
Le Théâtre national de Bretagne (TNB). La genèse du TNB et le choix d’un mode de gestion en EPL – en l’occurrence une SEM (société d’économie mixte) dont la Ville de Rennes est l’actionnaire à 95% – diffèrent des exemples nantais. L’EPL du Théâtre national de Bretagne, labellisé centre dramatique national (CDN) et Centre européen théâtral et chorégraphique, gère le Théâtre (avec également un cinéma), la Maison de la culture et l’école d’art dramatique.
A la différence du statut habituel des CDN, où la direction doit être assumée par un artiste, un directeur général unique doté de très larges pouvoirs et d’un conseil de surveillance – « qui lui laisse beaucoup de liberté » – pilote le TNB. « Pour nous, élus, l’enjeu est de débattre des orientations politiques (lien au territoire, EAC, politique de la ville…) au sein d’un comité de suivi aux côtés d’un ensemble de partenaires », précise Benoît Careil, maire-adjoint à la culture de Rennes.
Jean-Baptiste Pasquier, directeur des productions et du développement international du TNB, confirme la pertinence de ce choix de gouvernance : « Le grand avantage de la SEM tient à la grande souplesse d’action dans la mise en œuvre du projet. C’est indispensable pour pouvoir gérer à la fois l’accueil pour les spectacles mais aussi l’école, la salle de cinéma, le restaurant et le bar. Faire fonctionner l’ensemble de ces aspects bien différents serait impossible en EPCC et ne marcherait pas non plus sous statut associatif (DSP). » Autre dimension des activités du Théâtre qui bénéficie de ce mode de gestion : ses nombreux projets internationaux et tournées, lesquels exigent de nouer de nombreux partenariats.
La particularité du Théâtre Jean Vilar à Suresnes tient au fait que la part des spectacles donnés à l’extérieur est équivalente à celle intramuros. Pour son directeur, Olivier Meyer, le statut de SEM constitue « la meilleure solution pour gérer les activités dans le théâtre et en dehors du théâtre ». Tout doit être en cohérence : l’offre artistique, la communication ainsi que le partage avec le politique. Un regret : « Je suis un directeur de SPL heureux. J’ai connu cinq maires en dix ans. Cela peut encore changer et donc apporter de nouvelles orientations. Je bénéficie d’une pleine liberté. Cependant, je me sens parfois un peu tout seul… »
A ce point du séminaire, le président de la FNCC propose une première synthèse : « Les statuts d’économie mixte préservent la liberté des acteurs culturels et garantissent aux élus le contrôle de la gouvernance. La SPL est également un bon moyen de gestion pour multiplier les types d’activités. » Ce que confirme aussi l’exemple d’Avignon Tourisme.
Avignon Tourisme. Son directeur général, Arnaud Pignol, précise tout d’abord que « les statuts juridiques d’Avignon Tourisme ont changé en fonction des agrégations d’activités et de la volonté des élus ». Aujourd’hui SPL (l’actionnariat est détenu à 96% par la Ville d’Avignon), la particularité de la structure consiste à gérer trois DSP : le Parc d’exposition, le parking et l’office Tourisme et Culture en charge d’un site Unesco et doté d’une mission de service public. « La SPL est l’outil de cohérence adapté à ce vaste périmètre, par exemple pour gérer à la fois l’entrée dans les monuments historiques et le parking. »
Ce statut commun présente toutefois une difficulté, celle « d’accorder l’exigence politique et les contraintes propres aux sociétés privées. L’exercice s’avère parfois compliqué car certains services sont bénéficiaires, d’autres non et chaque DSP a son propre cahier des charges. Le principe de la compensation de l’une par l’autre n’étant pas réellement envisageable, la solution consiste à viser à l’équilibre pour chacune d’entre elles. »
Et le mécénat ? Les propos des intervenants auront été l’objet d’une très grande attention de la part des élus présents, signe que la problématique du choix du mode de gestion concerne de près l’exercice du mandat à la culture. Ce dont témoignent deux questions.
Patrick Curtaud, vice-président en charge de la culture au conseil départemental de l’Isère, évoque un projet de musée à Vienne qui doit être soutenu par le Département, la Région et la Ville. Faut-il choisir la régie directe, l’EPCC, la SPL ? Réponse ouverte de Fabrice Cavillon : « Le statut doit correspondre à la volonté politique. Quelle est ici l’ambition pour la commune, pour le public, pour le projet scientifique ? »
L’adjoint à la culture de Metz, Hacen Lekadir, s’interroge, lui, sur le mécénat : « On dit qu’une SPL n’est pas autorisée à en bénéficier. Comment avez-vous réglé cette question ? Avez-vous créé une structure-support particulière ? » Le TNB a confié cette fonction à son école d’art dramatique, sous fonctionnement associatif, et travaille à la création d’un fonds de dotation. Autre exemple, la Folle Journée de Nantes, qui s’appuie à parts égales sur les subventions publiques, les recettes et le mécénat, a initié un club de mécènes.
« Les SPL ne peuvent en effet pas percevoir du mécénat. Nous avons tenté de convaincre le politique de modifier cela – sans succès ; mais nous re-essayerons. Il faut donc construire une structure ad hoc », précise Jean-Marie Sermier qui conclut le séminaire en annonçant une démarche de Livre blanc de la part de la Fédération des EPL. Car d’autres questions se posent : quel est le rôle de l’Etat dans les EPL ? Comment repenser les modalités de gouvernance des EPL ? Ou encore comment régler la problématique de la filialisation sachant que si l’élu est protégé dans les EPL il ne l’est plus dans les filiales ? Autant de sujets sur lesquels le dialogue de la Fédération des EPL avec la FNCC et les autres associations de collectivités gagnerait à se prolonger.