Nommée en mai, la ministre de la Culture a accepté l’invitation de la FNCC de participer à son Assemblée générale, le 15 juillet à l’Hôtel de Ville d’Avignon. Accompagnée de plusieurs membres de son cabinet et de représentants des différentes directions du ministère, Rima Abdul-Malak a dit son attachement « au partenariat assez particulier » entre son ministère et la FNCC, appelé de ses vœux un renforment du « pacte entre l’Etat et les collectivités » et présenté ses priorités. Synthèse.
La ministre ne l’a pas caché : les prévisions budgétaires pour la culture laissent présager des temps difficiles et des arbitrages délicats. Avec la fin des aides de l’Etat à la culture pour faire face aux impacts de la crise sanitaire et celle du Plan de relance (soit 14Mds€ sur 2 ans alors que le budget habituel du ministère n’excède pas 4Mds€), « il y aura un changement d’échelle assez brutal ». Ce qui implique d’être « inventifs ensemble » et de dégager des priorités. « Sur quoi serons-nous d’accord ? Sur l’éducation artistique et culturelle, bien sûr. Sur le patrimoine : quel séquençage, quels chantiers, quelles priorités ? Dans le domaine de la lecture publique, y a-t-il là aussi des projets prioritaires ? Nous devons indiquer quelques axes fort et construire ensemble un phasage de projets. »
Les priorités de la ministre. Pour Rima Abdul-Malak, les principales priorités que doivent assumer les politiques culturelles tant nationales que locales sont liés à des constats et des considérations qui ne sont pas intrinsèquement culturels mais sociologiques, environnementaux, géopolitiques ou encore économiques.
- La première priorité est sociologique, avec la question du retour du public dans les lieux de culture et, au-delà, de l’avenir même du modèle économique de la culture via une mutation des relations entre l’offre et la demande. « Quel sera le public dans 20, 30 ou 50 ans ? Qui va aller au musée, dans les auditoriums, à l’Opéra, dans les salles de spectacle, les cinémas, les librairies et même dans nos bibliothèques ? »
- Autre priorité sociologique : l’adaptation de l’offre culturelle aux jeunes générations. « Comment renforce-t-on et fait-on évoluer l’offre culturelle pour qu’elle réponde aux attentes de notre jeunesse, en la proposant peut-être manière moins verticale, moins descendante et plus participative, plus inclusive sans pour autant devenir « communautariste » ? » Ici la réponse sera politique. « L’Etat ne peut rien seul mais les collectivités ne pourraient pas non plus réussir sans lui. » Or la ministre constate que « le pacte » entre les collectivités et l’Etat se fissure à certains endroits. « Le lien de confiance doit être restauré. » De là la création du « petit Fonds pour l’innovation territoriale de 3M€ et quelques » dont elle assure qu’il sera en grande partie géré par les DRAC.
- Priorité géopolitique, la souveraineté culturelle. Alors qu’on parlait précédemment de rayonnement culturel, c’est un vocabulaire plus combattif qui s’impose aujourd’hui, notamment face à de l’hégémonie des plateformes numériques. « Quelle est la voix de la France, la voix de nos créateurs, la place de notre langue française dans un monde de plus en plus dominé par les Américains et les Chinois ? » Comment faire entrer les musées, la création, les institutions culturelles dans, par exemple, l’univers du Metaverse…, sans pour autant renoncer à la culture vivante ?
- Priorité écologique aussi de la décarbonation du monde de la culture : « Nous allons vivre un hiver qui risque d’être hélas très compliqué. Comment fera-t-on quand on ne pourra plus chauffer les théâtres, quand les factures d’électricité de tous nos équipements vont flamber ? »
- Enfin, priorité dans le domaine de la stratégie des politiques de ressources humaines pour le renouvellement des cadres de la culture. Le moment est en effet à un basculement de génération dans les postes de responsabilité culturelle, ce qui pose le «défi du renouvellement du vivier des professionnels de la culture, notamment pour la direction des institutions. On constate un essoufflement de ce vivier» avec moins de femmes, moins de « profils atypiques »…
Les questions des élus. Elles ont été diverses et précises. Jean-Philippe Lefèvre, vice-président culture du Grand Dole, s’inquiète du manque d’articulation entre enjeux patrimoniaux et enjeux environnementaux : « Il n’existe toujours pas de protocole pour servir de cadre aux travaux que nous devons mener soit sur les monuments historiques soit dans les secteurs sauvegardés – d’innombrables questions se posent. Il est urgent de faire évoluer la règlementation. » Question – et proposition – patrimoine aussi de la part de Philippe Laurent sur la nécessité de sensibiliser tous les acteurs et notamment les collectivités à la conservation du « petit » patrimoine. Le maire de Sceaux ajoute : « Je souhaitais faire passer le message que les Commissions régionales du patrimoine et de l’architecture (CRPA) et les Conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE) sont prêts à s’impliquer dans ce domaine. »
Pour sa part, tout en saluant la volonté du renouvellement des modalités de travail entre les collectivités et l’Etat de la ministre, Alexie Lorca, maire-adjointe à Montreuil, s’inquiète des difficultés budgétaires à venir à la suite de récentes annonces du président de la République de 10Mds€ d’économies sur 5 ans de la part des collectivité (une perspective semble-il abandonnée depuis). « Cela aura pour conséquence que les collectivités vont être obligées de se recentrer sur leurs compétences obligatoires dont la culture ne fait pas partie. Il y a un risque extrêmement grand que cela impacte non seulement nos usagers et nos publics mais également les artistes. »
May Bouhada, maire-adjointe à Fontenay-sous-Bois, revient sur le Plan d’action pour l’égalité femme/homme élaboré entre les associations de collectivités du Conseil national des territoires pour la culture (CNTC) et le ministère. Il devait être signé à Avignon l’an dernier… « Tout comme vous avez parlé du renouvellement du vivier des responsables culturels, nous sommes attentifs à celui des pratiques qui s’y développent tant dans la promotion des talents, dans l’égale répartition des subventions, pour les questions d’EAC ou encore sur celles du patrimoine et du matrimoine… » Sur ce point, la ministre s’engage à organiser au plus vite la signature du Plan.
Maire-adjoint à Arbois, Yves Lecoq suggère une première aide – pour « amorcer la pompe » – à la création de fonds de dotation territoriaux culturels. Evoquant le retrait brutal de financements régionaux à des institutions culturelles en Auvergne-Rhône-Alpes, Nathalie Perrin Gilbert, adjointe à Lyon, souhaite pour sa part que l’Etat puisse être le garant « d’un cadre qui permette de discuter et de respecter la culture comme une politique coconstruite entre Etat et différents niveaux de collectivités ». Gérard Lefèvre, élu à Angoulême, plaide pour une mise au service du pass Culture du retour des publics vers les salles.
Enfin, Florian Salazar-Martin, maire-adjoint à Martigues, évoque une nécessaire extension du périmètre de la culture pris en compte par les politiques du ministère. « Un certain nombre de paradigmes doivent sans doute être revus, notamment ce qu’est la culture et comment elle fermente la vie entre les personnes. N’y a-t-il pas de nouveaux chemins à prendre ? Notamment peut-être changer de centre de gravité ? Ne faut-il pas essayer de convoquer toutes les énergies au niveau local ? On a vu ces deux dernières années l’inventivité des territoires pour s’en sortir. »
Réponses. Le peu de temps restant a contraint la ministre à de brèves réponses qu’elle a doublé d’un appel à un travail en commun futur. Pour le patrimoine de proximité, elle a cité la mission Bern ; pour de nouvelles formes de partenariat Etat/collectivités le « 100% EAC ; pour le retour des publics l’extension du pass Culture aux collèges et la mise au point d’une offre spectacle + transports…
Le président de la FNCC a, pour sa part, évoqué deux possibilités de réponses aux interrogations budgétaires. La première serait la généralisation du principe de la dotation générale de décentralisation (DGD) telle qu’elle vient abonder, de manière souple, les politiques de lecture publique des collectivités. La seconde, notamment portée par le Manifeste de la FNCC, s’appuie une préconisation de la sénatrice Sylvie Robert : qu’une partie des financements déconcentrés soit l’objet de codécisions entre l’Etat et les collectivités territoriales à partir du moment où ces dernières s’engagent à ne pas baisser leur budget culturel. Et, dans l’un et l’autre cas, Frédéric Hocquard en appelle à accroître le rôle des Conseil locaux des territoires pour la culture (CLTC). « Sur ces questions budgétaires ou sur d’autres, il faudrait outiller ces instances, qu’elles soient des lieux de codécision, tout en respectant pleine le principe constitutionnel de la libre administration des collectivités. Vous parliez d’expérimentation ; peut-être est-ce là une voie pour une réelle dynamique partagée. Sinon on entendra : pourquoi l’Etat ne nous aide-t-il pas ? Et, mécaniquement, on sait que certaines collectivités baisseront leurs budgets… »