Ville portuaire du sud du Bassin d’Arcachon (Gironde), la commune de Gujan-Mestras est peuplée de près de 22 000 habitants résidents, au sein d’une communauté d’agglomération de 70 000 habitants. Une population qui monte à 200 000 en période estivale. Ville de culture, très active notamment en matière de cinéma, Gujan-Mestras ne disposait cependant pas d’une salle de spectacle à la mesure du foisonnement de sa vie culturelle. La construction d’un tel équipement est ainsi au cœur du projet municipal pour le prochain mandat. La conseillère déléguée à la culture, nouvellement élue, Corine Cazade, en explique les principales lignes de force – autour de l’éducation artistique et des liens transgénérationnels – et en esquisse les trois mots d’ordre : émancipation, épanouissement et émerveillement.
Le mandat à la culture relève-t-il d’un choix ?
Je fais notamment partie depuis dix ans d’une association d’aide à l’autoédition avec laquelle j’ai créé un salon littéraire. Le livre est pour moi une passion. Pour les dernières élections, notre maire, Marie-Hélène Des Esgaulx, m’a dit qu’elle aimerait que je fasse partie de l’équipe municipale pour le nouveau mandat. J’ai eu pour ma part envie de m’inscrire dans son projet politique, et le mandat à la culture relevait bien sûr pour moi d’une évidence.
Comment décririez-vous la particularité de votre territoire ?
Le Bassin d’Arcachon puise son histoire dans le monde marin. A Gujan-Mestras, nous avons sept ports, dont cinq avec une grosse activité d’ostréiculture. Nous faisons partie des quatre communes du sud du Bassin d’Arcachon, aux côtés du Teich, de La Teste-de-Buch et d’Arcachon, donc toute une façade maritime qui présente un fort attrait pour le tourisme. Mais Gujan-Mestras est animée par une vraie vie économique maritime, tournée vers l’ostréiculture, avec surtout une grande et très ancienne entreprise de fabrication de bateaux, le chantier naval Couach.
Du point de vue démographique, nous sommes la deuxième plus importante agglomération de Gironde, après la métropole. La population résidente se constitue essentiellement de jeunes retraités actifs et de jeunes familles, venant pour la plupart de la région bordelaise et parisienne, donc des gens habitués à une certaine vie culturelle, avec une demande à laquelle il faut savoir répondre. Autre particularité d’un point de vue culturel : nous bénéficions d’une population de réels lecteurs, des gens qui aiment lire, sont en recherche de nouveautés et n’hésitent pas à venir rencontrer des auteurs. Enfin, pour répondre aux attentes des familles, la ville dispose d’un collège, d’un lycée, de quatre maternelles et de cinq écoles primaires – soit une présence éducative considérable pour un territoire comme le nôtre.
A Gujan-Mestras, la vie culturelle dépasse la seule dimension proprement artistique…
Nous avons ici la Maison de l’huître, gérée par l’EPIC [établissement public à caractère industriel et commercial]. C’est un petit musée ouvert toute l’année, où l’on découvre les métiers de l’ostréiculture, le passé de Gujan-Mestras, la faune, la flore… Ses visiteurs viennent de bien au-delà de la commune. Nous organisons aussi des visites des ports. Nous ne sommes pas seulement tournés vers une culture théâtrale ou musicale, mais vers une culture du lieu, avec des endroits que nous aimons valoriser. Et puis il ne faut pas oublier la mer – une richesse culturelle en soi –, avec des courses de voiliers. L’association “Lous Barbots Pinassayres”, par exemple, a pour but l’utilisation des pinassottes à voile, pour l’entrainement et l’entretien courant des matériels afin d’organiser des sorties et des régates.
Quelle est à votre sens la fonction d’une politique culturelle au sein d’un projet politique municipal ?
A Gujan, la politique culturelle a été fortement portée par la maire lors de sa campagne électorale, avec un objectif très précis : la construction d’une salle de spectacle. Cela manquait. La réflexion était déjà en cours lors du précédent mandat. Aujourd’hui, nous allons bientôt lancer les appels d’offre et la salle devrait sortir de terre en 2023. Elle aura une jauge maximale à 650 places, mais avec la possibilité de deux autres jauges : l’une à 450 places et l’autre à 250. Le souhait est en effet de l’ouvrir à des spectacles assez importants mais aussi de permettre aux associations culturelles de la ville de s’y produire. Donc un grand projet qui permettra une diversité dans la programmation, avec un travail bien différent de ce qui s’est fait jusqu’à maintenant. Le champ des possibles n’est plus le même ! Il faut rappeler que la programmation culturelle de Gujan-Mestras est assez importante – expositions toute l’année, programmation théâtrale, concerts, cinéma aussi – et nous souhaitons qu’elle prenne encore de l’ampleur…
Le cinéma tient une large part à Gujan-Mestras…
Oui. Pourquoi ? Parce ce que nous nous appuyons sur un cinéma de proximité. Dans les années 80-90, il appartenait à un particulier. Quand il a voulu s’en défaire, la municipalité l’a racheté et réouvert en 1999 après travaux. Ce cinéma Art & essai est adhérent aux “Cinémas de proximité de Gironde” ainsi qu’aux “Cinémas indépendants de Nouvelle Aquitaine”. Il porte une programmation riche en qualité, avec un festival du film en version originale qui en est à sa 10e édition et connaît un grand succès, mais aussi une programmation de films récents, de films pour enfants, ou encore le “Mois du film documentaire” qui, lui aussi, s’adresse aux jeunes…
Quelles sont les principales lignes de force de votre projet culturel ?
L’ensemble de nos actions sont conçues dans l’esprit d’une éducation artistique des jeunes. C’est le cœur du projet culturel – d’où la nouvelle salle de spectacle, pour favoriser l’émergence de nouveaux talents et permettre aux jeunes de découvrir ce que sont le théâtre, la musique… Nous avons également un Conservatoire de musique qui sera désormais géré par la communauté d’agglomération. Des travaux sur ses locaux vont très prochainement débuter, dans le cadre d’un agrandissement de la médiathèque à laquelle nous allons ajouter une ludothèque. Le Conservatoire de musique sera enfin doté d’un vrai auditorium. Il faut souligner qu’il y a ici de nombreux jeunes musiciens, avec plusieurs formations ainsi qu’une chorale. Ces formations doivent pouvoir disposer de lieux corrects pour répéter, pour organiser des petits concerts. La municipalité a donc jugé qu’un vrai auditorium s’avérait nécessaire.
J’ai conçu le projet culturel autour de trois mots : l’émancipation, l’épanouissement et l’émerveillement. Avec, comme ligne directrice, la culture pour tous et l’éducation artistique.
Toujours dans l’optique de l’éducation du jeune adulte et de l’enfant, il nous paraissait en effet logique de pouvoir disposer de pôles importants pour accompagner chaque âge de la vie. Ce qui est notamment le rôle de la médiathèque, créée vers 2006 et qui n’a eu de cesse de progresser dans son service aux habitants, au-delà du seul emprunt de livres, avec des lectures publiques, des ateliers pour les enfants, des ateliers philo, un pôle multimédia, et donc bientôt une ludothèque. Mais aussi des spectacles appelés les “Coccilivres”, pour les tout-petits, dès 18 mois. L’éducation artistique doit démarrer très tôt.
Des résidences d’artistes en milieu scolaire ?
Pas réellement des résidences d’auteur, même si c’est mon souhait. Mais on propose, dans le collège et au lycée, des accueils d’auteurs pour des ateliers d’écriture en lien avec les enseignants. Là, nous venons de terminer notre “Festival Thriller” dont c’est la 6e édition : un gros festival où l’on reçoit des écrivains – mais aussi la Gendarmerie et la police nationale qui recréent pour nous des scènes de crimes, montrent comment on relève des empreintes, comment on interroge un suspect…, pour le plus grand bonheur tant des enfants que des parents. Dans ce cadre, les auteurs sont conviés au collège et au lycée pour des conférences sur leurs livres, les jeunes l’ayant reçu en amont, via la médiathèque. Ce sont des moments très riches dont les jeunes sont friands.
En fait, la vie culturelle était déjà ici très dense, et votre mandat consistera pour beaucoup à mettre les équipements au niveau de sa densité…
C’est exact. Une riche vie culturelle existe depuis déjà longtemps, mais on se débrouillait avec les moyens du bord. Là, nous allons franchir une étape afin d’être à la hauteur pour un public exigent.
En bord de mer, la vie culturelle estivale est particulière…
En effet, l’été la ville est 100% culture (même si cette année, avec la crise sanitaire, tout a dû être annulé). Depuis 15 ans, la municipalité organise les “Jeudis de Larros”, sur le port qui porte ce nom, avec une scène proposant des concerts, des petits spectacles de cirque… Tout un monde d’artistes vient s’y relayer chaque jeudi, pendant la journée et le soir, dans une atmosphère très festive et conviviale, avec une restauration sur place grâce aux bénévoles d’une association. Dans l’objectif de pérenniser cette manifestation, notre maire a réussi à obtenir un accompagnement de la région Nouvelle Aquitaine, avec le label “festival d’été”. Donc une reconnaissance ainsi qu’une plus grande visibilité.
Est-ce difficile de défendre les budgets culturels ?
Pour l’instant, je ne suis pas inquiète. J’ai le plein soutien de la maire qui, bien qu’elle veille légitimement à tenir les budgets et à rester réaliste, est très ouverte à la culture. Elle est par exemple à l’initiative du “Festival du Thriller” et elle a bien compris qu’en matière de culture les gens avaient besoin de diversité, d’où son engagement sur le projet d’une nouvelle salle de spectacle.
Quel a été l’impact de la crise sanitaire ?
Avec la période du confinement, et après, les habitants ont eu très peur qu’il ne se passe plus rien du point de vue culturel. On a donc mis en place, avec d’autres élus, les “Impromptus du mercredi” en faisant appel, pour deux mercredis en juillet et deux en août, à de petites formations musicales, avec des concerts d’une heure en simultanés dans trois quartiers de la ville : bandas, musiques brésiliennes, jazz, chanson française… Ce principe des trois lieux a permis à tout le monde d’accéder à cette culture dans la rue. Nous avons travaillé aussi avec les commerçants, qui ont proposé des assiettes pour se restaurer. Cela a été très bien accueilli. L’opération sera reconduite l’année prochaine, prolongée et peut-être, si le budget le permet, amplifiée. Car c’est quelque chose de nouveau – une plus grande prise en compte de la culture dans l’espace public –, qui a pris et qui s’adresse à tout le monde.
Vous venez d’adhérer à la FNCC. Pourquoi ?
Quand j’ai reçu les informations sur une formation pour les nouveaux élu.e.s, pour donner des pistes sur ce en quoi consiste un projet culturel municipal, je me suis dit : ça c’est pour moi ! J’ai donc voulu adhérer pour suivre la formation. Ce que j’ai fait. Et cela m’a beaucoup apporté. J’ai compris à quoi sert un élu.e à la culture : que peut-on dire ou ne pas dire ? Que peut-on proposer ? Comment soutenir les équipes ? Comment porter un projet ? Cela m’a servi de point de départ pour commencer à mettre en place un projet culturel. Je l’ai conçu autour de trois mots : l’émancipation, l’épanouissement et l’émerveillement. Avec bien sûr comme ligne directrice la culture pour tous et l’éducation artistique.
Propos recueillis par Vincent Rouillon