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Portrait culturel de Fontenay-sous-Bois

By 28 mai 2021février 24th, 2023No Comments

May Bouhada, maire-adjointe à la culture de Fontenay-sous-Bois

L’esprit de village règne dans cette commune très attractive de la Petite Couronne de Paris, dans le Val-de-Marne. Mais la pression économique et immobilière pèse également sur Fontenay-sous-Bois (53 000 habitants). Pour May Bouhada, qui succède dans la continuité à Marc Brunet à la fois en tant que maire-adjointe à la culture et comme membre du Bureau de la FNCC, une politique culturelle peut participer à inventer la grande ville de demain, où la richesse des rencontres humaines s’allie à la réinvention d’un rapport plus harmonieux avec l’environnement. Où aussi les droits des femmes peuvent être promus et leur visibilité développée tant dans l’espace public que sur les scènes. Notamment sur celle du nouveau théâtre – projet culturel majeur de ce mandat – dont l’ouverture est prévue en 2023.

La nouvelle équipe municipale de Fontenay-sous-Bois s’inscrit-elle dans la continuité ? Le mandat à la culture est-il un choix de votre part ?

La culture relève en effet d’un choix de ma part, car c’est mon domaine d’activité professionnelle. Je suis une femme de théâtre. Quant au résultat des municipales, oui, nous sommes dans la continuité, avec cependant beaucoup de nouveaux élu.e.s – dont je fais partie – dans le cadre d’une union de la gauche plus complète qu’auparavant.

Ce choix de quelqu’un venant du théâtre a-t-il un sens politique particulier ?

Beaucoup d’équipements vont sortir de terre pendant ce mandat : une médiathèque, une école d’art et une salle de théâtre qui doit ouvrir d’ici deux ans. D’où sans doute l’intérêt d’une élue à la culture familière de ce domaine, avec une expérience directe de la création. J’ai également, en tant que professeure de théâtre au Studio Théâtre d’Asnières, au Cours Florent, titulaire du DE de professeur de théâtre, une longue expérience de la pédagogie, donc l’habitude de mettre en place des projets avec l’Education nationale, aux côtés d’artistes et d’enseignants.

Vous être également une militante pour les droits des femmes.

C’est par là que je suis entrée en politique, non par un parti mais via le milieu associatif. J’ai fondé l’association H/F Ile-de-France. Nous avons créé une dynamique en lien avec toute une mouvance inter-régionale qui a entre autres contribué à la création de l’Observatoire de l’égalité entre les femmes et les hommes au sein des équipements et institutions sous tutelle du ministère de la Culture, puis à la réflexion avec la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD)…

Comment décririez-vous la particularité de votre territoire ?

Fontenay-sous-Bois est ville de mixité à la fois culturelle et sociale, où coexistent des quartiers populaires et d’autres de classes moyennes, voire très aisées. Il y a une douceur de vivre. Mais Fontenay est vouée à de grandes transformations, comme l’est toute la mégalopole du Grand Paris, avec de grands travaux, notamment sur les transports en commun, mais aussi avec une très forte pression immobilière. L’enjeu central de ce mandat, au-delà de la seule dimension culturelle, sera ainsi de préserver une qualité de vie, de la proximité avec les habitants. Donc un travail important de vivre-ensemble, en mettant en avant la culture comme qualité de vie et lien social.

A quoi sert une politique culturelle : relier, animer, bousculer, changer les mentalités… ?

A tout cela… En ce moment de crise où l’on est privé d’accès à la culture, on se rend compte à quel point la charge de lien, de sens et de mise en perspective qu’apporte la vie culturelle manque. Au-delà de sa fonction de lien social et d’animation, son apport est proprement philosophique. Donc aussi éducatif : lors de cette pandémie, nous avons fait le choix de maintenir une offre culturelle pour les enfants, car l’accès à la représentation et à la réflexion fait partie de la construction humaine. Nous nous inscrivons notamment dans l’ambition du “100% EAC”.

Les lignes de force de votre projet culturel ?

Les grandes notions qui nous guident sont celles d’égalité et de solidarité, de citoyenneté et d’écologie. Donc une politique solidaire dans les tarifs : accès peu onéreux aux équipements, aux cours, au conservatoire, gratuité de la médiathèque. La culture fait partie par exemple de notre “Pass solidaire”, avec un accès privilégié au cinéma, au théâtre… Je suis aussi extrêmement vigilante à la question de l’égalité femmes/hommes, laquelle englobe aussi celle des droits culturels et de toutes les formes de discrimination dans l’accès à la culture. Pour les femmes, la problématique est particulière : si ce sont les premières spectatrices, en revanche elles sont peu présentes sur les scènes. Il y a aussi l’attention au “matrimoine”, notamment pour tendre à une programmation paritaire.

Pour ce qui est de la dimension citoyenne, nous portons des questions très fortes de démocratie, avec la mise en place de budgets participatifs, de comités d’usagers, de programmations associant les spectateurs. Cela prendra du temps… Quels outils pour créer des moments de coopération et ne pas en rester uniquement à une politique de l’offre ? Cette perspective peut aussi rejoindre des préoccupations pour les artistes locaux – en grand nombre à Fontenay-sous-Bois –, lesquels jusqu’à présent ne prenaient pas forcément part à la vie culturelle. Nous ne devons pas seulement être prescripteurs mais aussi facilitateurs.

Comment fait-on collectivement laboratoire pour rendre la grande ville habitable grâce à ses qualités de mixité sociale et internationale et malgré ses difficultés d’accès à la nature ?

Pour l’écologie, trois principes : veiller à l’éco-compatibilité des équipements culturels, développer les thématiques écologiques pour qu’elles traversent les programmations et les rencontres et enfin développer un côté “laboratoire humain” : comment réfléchir à sa place, comme personne et comme collectivité, dans le monde ? Il ne s’agit pas d’en rester au circuit-court, au terroir… Le foisonnement d’une centaine de nationalités sur un même territoire est formidable. J’aimerais mettre pleinement en valeur une telle richesse, d’où notre candidature, pour 2028, au projet “Banlieue, capitale de la culture”. Est-ce relié à l’écologie ? Quand il n‘y a plus qu’une espèce d’arbres, l’équilibre d’un écosystème est en péril ; il en va de même quand il n’y a plus qu’une espèce d’humains.

La notion de droits culturels contribue-t-elle à la structuration de votre projet ?

L’idée de ces droits peut paraître “à la mode”, mais elle prend sa source dans un véritable questionnement des politiques culturelles – avec la crise de la fréquentation, le clivage entre culture “bourgeoise” et autres expressions culturelles, un reflet insuffisant de la diversité… – auquel il ne faut tourner le dos. Même si on peine à trouver des solutions, ce questionnement peut être joyeux et s’avérer salutaire.

C’est le statu quo qui vous semble périlleux…

Oui. Je le vois en tant qu’artiste et militante des droits des femmes : les institutions restent dans des modèles figés depuis trop longtemps, avec les mêmes visages, les mêmes réseaux. Et puis avec une sorte de peur de bouger. Quand, au début, on a dit vouloir travailler sur les droits des femmes, la réaction a immédiatement été celle d’une crainte de perte en qualité – ce qui est très violent à entendre !

Cette crise est peut-être, puisque tout le monde doit se réinventer, une opportunité formidable. On est obligé d’aller voir les artistes locaux, d’ouvrir des lieux non-dédiés au spectacle…, ce qui peut accélérer le processus de réflexion. Et j’espère que cette dynamique va perdurer.

Accordez-vous une place et/ou fonction particulière aux arts dans l’espace public ?

Oui, et aussi combiner la question de l’art dans la ville avec celle de la place des femmes dans l’espace public. Comme on entre dans une période de chantiers, nous serons obligés à développer le hors-les-murs pendant au moins deux ans.

Quelle est la place de la vie associative dans votre projet culturel ?

Plusieurs associations, très fortement subventionnées, ont quasiment mandat de prescripteurs pour la municipalité : le Théâtre Roublot, lieu de marionnettes, Musiques au Comptoir, l’association Art Cité, qui travaille sur des expositions d’art contemporain, et le lieu d’arts visuels La Fonderie. Par ailleurs, de nombreuses associations animent la ville et portent des propositions. Certaines d’entre elles ont très activement accompagné la réflexion sur le projet de théâtre. Promouvoir une démarche citoyenne, c’est aussi mieux intégrer le terreau local. Pour autant, la Ville ne doit pas tout tenir…

Quels sont vos rapports avec le Grand Paris ou avec les communes avoisinantes ?

Nous sommes politiquement un peu isolés. J’aimerais créer des liens avec mes collègues, mais cela fonctionne moins bien qu’en Seine-Saint-Denis, par exemple, où les conservatoires, les bibliothèques sont en réseau. Mais il y a un travail que j’aimerais développer avec le département du Val-de-Marne, qui a des spécificités de mixité sociale très intéressantes et va jusqu’à la campagne, autour de l’histoire de la Marne, du passé ouvrier et de la transformation avec le Grand Paris.

Pour ma part, en tant que Parisienne d’origine, je vois bien la spécificité d’une commune au sein d’une métropole. En tant qu’élue, et dans ce moment de bascule lié à la crise écologique, je constate que les grandes villes sont à la fois un lieu de richesse et de rencontre extraordinaire et un espace de souffrance, de piètre  qualité de vie. D’où cette question : comment fait-on collectivement laboratoire pour rendre la grande ville habitable grâce à ses qualités de mixité sociale et internationale et malgré ses difficultés d’accès à la nature ? Je suis preneuse de toutes les activités des communes travaillant à répondre à cette problématique.

Vous venez d’entrer au Bureau de la FNCC. Quelles sont vos attentes vis-à-vis de la Fédération ?

C’est un lieu d’échange, à la fois de convivialité et de travail. Un lieu pour l’art de la rencontre et du débat démocratique, voire pour l’art des frictions, ce qui est très intéressant. Quant à son rôle national, il est à mon sens capital ; Il faut passer par la loi, par les institutions républicaines. Cela permet de travailler régulièrement sur les cahiers des charges des institutions culturelles, sur ce qu’on attend des collectivités. Au-delà du travail dans l’inventivité avec les artistes, nous devons préserver leur cadre de travail. J’attends de la FNCC, par exemple, qu’elle milite en ce moment de crise sanitaire pour la meilleure accessibilité des lieux de culture, contre des situations de rupture d’égalité : je suis en effet vraiment scandalisée qu’un magasin puisse être ouvert et non un musée.

Sur le droits des femmes, la FNCC peut-elle être un bon outil ?

Oui. En tant qu’élu.e.s nous sommes garants de l’usage équitable de l’argent public. Or, dans le domaine culturel, il y a un scandale dans sa répartition au détriment des femmes et on ferme les yeux sur une situation de rupture d’égalité. D’où vient-elle ? On travaille essentiellement avec des structures associatives et il est extrêmement difficile de voir où va l’argent. Tant qu’on ne gèrera pas de manière égalitaire les budgets, rien ne bougera. L’argent, c’est l’outil principal. Il faut sortir d’une approche purement morale. C’est très intéressant de compter le nombre de livres de femmes qu’on a dans sa bibliothèque, de souligner leur manque de visibilité sur les scènes, mais la question de l’argent est première. Et ce sont les collectivités qui en sont les garantes.

Propos recueillis par Vincent Rouillon