Le média “Tous les festivals” a réalisé comme chaque année une étude quantitative à l’issue de la saison des festivals de musiques actuelles. Particularité pour 2020 : la saison n’a pas eu lieu. D’où une étude inédite, menée auprès de 198 festivals, qui mesure d’une part l’impact destructeur de la crise sanitaire sur la vie festivalière et l’état d’esprit pour la saison 2021 : il est à l’espoir et à l’optimisme.
Certes l’étude de ”Tous les festivals” concerne les structures organisatrices des festivals et non les artistes et techniciens qui s’y produisent. Pour eux, on sait leur situation dramatique et le profond désarroi lié aux annulations des concerts. Les festivals ont en effet été les premières victimes de la crise sanitaire, puisqu’en 2020 la quasi-totalité d’entre eux ont été annulés. Pourtant, selon l’étude, « le bilan qui revient sur cette année inédite et des projections 2021 sont plus optimistes que jamais ». Ce constat n’ôte rien aux difficultés actuelles des artistes et ensembles, mais il dessine un horizon d’espoir d’une importance capitale : il devrait y avoir du travail cet été.
Une nuance en préalable. L’étude a été publié au tout début de l’année 2021, avant la confirmation de l’arrivée des “variants” du coronavirus au taux de contagiosité augmenté par rapport à sa version de mars 2020. Les projections qui suivent seront donc tributaires d’une évolution de la pandémie largement inconnue.
Eléments de bilan. Les proportions sont extrêmes. Si 85% des festivals n’ont pas eu d’édition 2020 (seuls 15% des festivals interrogés ont pu se tenir en présentiel), 95% affirment que celle de 2021 aura bien lieu. Et en “présentiel”.
Par ailleurs, le bilan comporte des éléments positifs (mais non généralisés) liés à une inventivité et une maîtrise accrues du numérique. La digitalisation s’est en effet imposée pour les 10% des festivals : 70% d’entre eux ont rediffusé d’anciens concerts, 35% ont proposé des spectacles en streaming et plus de 76% ont diffusé des concerts exclusifs, produits pour la manifestation. Des manières de contourner l’impossibilité du live auxquelles il faut ajouter divers autres formats : documentaires, podcasts, émissions de radio, conférences en direct, ateliers.
Résilience des organisateurs. L’optimisme affiché par les festivals tient pour beaucoup au maintien de leurs équipes malgré les annulations des événements. Ainsi, grâce aux aides publiques, 90% ont réussi à n’effectuer aucun licenciement. La solidarité nationale et territoriale a joué ici un rôle majeur : 34% des organisateurs ont recouru au chômage partiel pour 80 à 100% de leurs effectifs, et 65% ont bénéficié d’autres aides, que ce soit de la part des collectivités locales – Villes, Départements, Régions – ou encore de l’Etat via le Centre national de la musique.
Ce maintien de l’outil de travail des festivals doit aussi beaucoup à la solidarité des publics : 56,5% des festivals qui ont choisi de proposer un report de leur billet d’entrée de 2020 pour 2021 ont reçu une réponse positive d’un festivalier sur deux. Pour le célèbre festival métal Hellfest, seulement 300 demandes de remboursement, sur 180 000 spectateurs, ont été enregistrées !
Plasticité des festivals. Si majorité des festivals estime envisageable d’honorer la saison 2021 – un optimisme qui tranche avec les inquiétudes persistantes des salles et les craintes, qui confinent à la désespérance, des artistes –, cela tient à la nature même de la vie festivalière. Un festival n’est pas contraint par l’espace, à la différence d’une salle de concert. Il n’est pas non plus borné dans le temps, comme l’est la saison d’une structure de diffusion qui organise son calendrier de manifestations sur une année complète.
Pour s’adapter aux contraintes sanitaires qui ne pourront que persister cet été, le festival peut étirer sa programmation sur davantage de jours et ainsi réduire ses jauges par concert tout en conservant un total d’affluence. Il peut aussi privilégier les lieux les plus adaptés aux exigences de la distanciation sociale.
L’“ennemi” premier du concert de festival, c’est la fête : l’abondance de public. D’ores et déjà, 40% des festivals ont prévu de réduire la jauge des lieux de concert, témoignant ainsi d’avance d’une souplesse qui saura s’adapter à des évolutions à venir d’un contexte extrêmement changeant. A quoi il faut ajouter que 17,5% des festivals prévoient alléger leur programmation et que 12% d’entre eux envisagent d’allonger la durée des festivités.
La perspective n’est donc pas celle d’un retour à un “comme avant” mais bien d’inclure structurellement le contexte particulier de la crise sanitaire. Ce qui donne à un optimisme qu’on pourrait croire quelque peu naïf un gage de réalisme indispensable tant pour mobiliser les publics que pour rassurer les artistes et techniciens du spectacle vivant.
Maîtrise des exigences sanitaires. 80% des festivals interrogés se déclarent capables d’appliquer de strictes règles sanitaires. Plus important encore dans le cas des musiques actuelles, un quart des manifestations envisagent un format 100% assis si cela s’avérait nécessaire. Par ailleurs, la moitié des organisateurs s’estiment en capacité de mettre en place des tests à l’entrée des concerts.
A noter qu’une telle adaptabilité donne tout son sens aux expérimentations actuelles associant professionnels de l’événementiel et services de santé, présence au concert et suivi médical. Les initiatives en ce sens des Villes de Marseille, de Paris, de Bourges et de bien d’autres communes, mais aussi celles qui ont lieu à l’étranger (à Barcelone, au Luxembourg…) permettront d’affiner utilement les modalités et moyens de concilier les exigences sanitaires propres au contexte pandémique et le concert live. Donc des éléments de confiance supplémentaires aptes à transcrire l’espoir en réalité.
Musiques actuelles, angle mort de la parité femmes/hommes
Pour sa “Feuille de route en faveur de l’égalité femmes/hommes”, le Centre national de la musique prévoit de conditionner ses aides financières au respect d’un protocole de lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Parmi ces violences, l’une des plus fortes est d’être invisibilisé. L’étude du CNM “Visibilité des femmes dans les festivals de musique” révèle que, dans le champ musiques actuelles, la visibilité des musiciennes est massivement faible.
Seuls 14% des musiciens programmés dans les festivals de musiques actuelles sont des musiciennes, et 50% des festivals ne comptent que 10 à 20% de femmes dans leur programmation. L’absence de visibilité des femmes est particulièrement accentuée dans les esthétiques “reggae et dub” et “rock et métal” (le Hellfest ne programme que 3% de femmes alors que le Printemps de Bourges en programme 29%).
En revanche, dans les festivals spécialisés dans la programmation d’artistes francophones, la représentation des femmes s’avère meilleure (tout en restant très modeste), avec un taux de 19%.
Des groupes très masculins. Cela étant, la faible visibilité des musiciennes dans les festivals est largement tributaire d’une donnée qu’ils ne maîtrisent pas (mais qu’ils contribuent à entretenir). Seuls 7% des groupes sont paritaires. Une absence de musiciennes qui s’accroît logiquement dans les groupes réunissant peu d’artistes. En effet, au-delà de six musiciens « l’absence des femmes diminue », alors que 80% des trios et 73% des duos sont strictement masculins.
Un cercle vicieux. En introduction à son étude, le CNM fait deux constats qui soulignent les conséquences négatives de la faible visibilité des femmes dans les festivals de musiques actuelles. D’une part, « les festivals participent massivement à la vie à la fois culturelle, sociale et économique des territoires », une vie dont les femmes sont donc largement exclues. Et d’autre part, « le passage dans un festival est une étape importante dans la carrière d’un artiste et un outil de construction de sa notoriété » : la trop faible présence des femmes dans la vie musicale est redoublée par leur faible représentation dans l’un des circuits les plus essentiels de l’activité musicale, au détriment de leur propre carrière. Ainsi s’institue un cercle vicieux : non vues, on ne programme pas les musiciennes, et non programmées, on ne les voit pas.
Un élément d’espoir : l’étude note, depuis 2014, « une évolution favorable de la présence des femmes pour les entités artistiques les plus récemment créées ». Une évolution qui devrait se traduire dans les programmations des festivals de musiques actuelles et que ceux-ci doivent favoriser.