La Défenseure des droits, Claire Hédon, et le défenseur des enfants, Eric Delemar, ont rédigé, à l’occasion de la Journée internationale des droits de l’enfant (15 novembre), une somme identifiant l’ensemble des dimensions du droit des enfants et des jeunes (de 3 à 21 ans) au sport, aux loisirs et à la culture et soulignant tous les freins pour qu’il soit effectivement respectés. Et ce pour les enfants et les jeunes en général, mais aussi pour les tout-petits, les mineurs en situation de handicap, hospitalisés, les enfants des familles socialement fragiles, les mineurs étrangers, celles et ceux géographiquement éloignés des équipements…
Le rapport, construit sur le recueil des paroles 3 800 jeunes, constate de très nombreuses situations de privation du droit au sport, aux loisirs et à la culture. Il énumère également des recommandations et propositions, les premières formulées par les auteurs eux-mêmes, les secondes par des jeunes. Toutes s’adressent à la fois à l’Etat (Education nationale, ministère de la Culture, institutions hospitalières, sociales, pénitentiaires…) et aux collectivités territoriales. A noter que, par souci d’efficacité, le rapport précise, pour chacune de ses 30 recommandations, leurs destinataires : les différents ministères, les maires, les conseils régionaux ou départementaux…
Le constat de départ est clair. D’une part, il appelle à une prise de conscience des grandes inégalités dans l’accès au sport et à la culture dont souffrent de très nombreux enfants et jeunes ; d’autre part, il exige des responsables et institutions une forte volonté politique pour y remédier, ne serait-ce qu’en veillant à ce que les enfants puissent disposer du temps et de l’espace nécessaires pour s’adonner à des jeux.
Le frein financier. Principal obstacle, le coût. « Je voulais faire de la danse et ma mère m’a dit non, parce que c’était cher », regrette un enfant. De fait, 71% des enfants dont les parents disposent de bas revenus ne sont pas inscrits dans un club ou une association sportive ou culturelle contre 38% des enfants de familles aisées. Suggestion d’enfant interrogé : « Pour son anniversaire, un enfant et ses frères/sœurs doivent pouvoir aller au cinéma gratuitement. » Un autre frein, d’ordre administratif, tient à la complexité des démarches d’inscription ou l’exigence de certains justificatifs liés à la situation de famille pour l’accès à des activités sportives ou culturelles.
L’éloignement et le manque de transports. Indépendamment des blocages financiers, l’éloignement de l’offre entrave également l’accès des enfants et des jeunes au sport et à la culture. Car lorsque « “tout est loin”, le manque d’infrastructures de proximité, ainsi que le coût et les insuffisances de l’offre en transports en commun constituent autant de freins au quotidien à une pratique artistique ou sportive régulière et pérenne », écrivent les auteurs.
Réflexion de jeune : « Les enfants de la ville ont un meilleur programme de films que les petits cinémas de campagnes. » Témoignages du quotidien : « Pour faire une activité il faut marcher beaucoup, je n’ai pas l’argent pour les tickets. » Les jeunes interrogés souhaiteraient notamment que les lieux culturels et sportifs soient mieux desservis par des transports en commun gratuits ou à tarifs réduits pour les enfants et qu’il y ait plus d’activités et plus de bus à la campagne. Cette requête d’ordre politique d’un enfant : « Je demande au ministère de la Culture que les inégalités disparaissent entre les villes et les campagnes. » Ou encore cette injonction : « L’Etat devrait permettre à tous les jeunes d’aller au cinéma gratuitement trois fois par an. »
La barrière psychosociale. Mais l’obstacle le plus difficile à lever relève d’un sentiment d’étrangeté aux codes sociaux de la pratique culturelle. Le rapport commente ainsi les « enquêtes édifiantes » du ministère de la Culture : « Les musées et les lieux de diffusion du spectacle vivant, notamment les théâtres, sont majoritairement fréquentés par les catégories socioprofessionnelles supérieures et, à travers eux, par leurs enfants. » Une remarque qui vaut également pour les activités culturelles. Ce dont témoignent ces paroles d’enfants et de jeunes : « Il y a des endroits où je ne sais pas comment aller, j’aimerais bien savoir comment je dois me comporter, quelles sont les règles ; ça me stresse d’y aller tout seul. » « Il faut se faire accompagner une ou deux fois parce que je ne sais pas comment on se comporte dans un cinéma en France. »
Des politiques culturelles construites avec les enfants. Les droits culturels « englobent essentiellement trois domaines : la liberté de création et de diffusion ; le droit de participer à la vie culturelle ; le droit de participer à l’élaboration des politiques culturelles ». Le rapport rappelle que ces droits valent pour tous, quels que soient les âges. « Cet objectif se concrétise, tout d’abord, par une participation effective des enfants à l’élaboration des politiques publiques culturelles, artistiques et sportives. » D’où cette proposition suggérée par les mineurs : « Que les politiques publiques culturelles ou sportives soient pensées au regard des besoins des enfants et des jeunes, en les impliquant davantage dans leur élaboration. » Les jeunes proposent notamment d’adapter les lieux culturels à leurs besoins, signe qu’ils ne le sont pas…
De ce point de vue de la participation et contribution des mineurs aux politiques publiques, le rapport salue la mise en place des conseils municipaux de jeunes par de nombreuses collectivités et relaie des suggestions concrètes des enfants : instaurer à leur intention une semaine dédiée à la culture, leur ouvrir les portes des lieux sportifs ou culturels une fois par mois et prévoir des jeux et événements pour les familles dans les musées.
Recommandation multiple du rapport : renforcer l’information et l’accompagnement des enfants des familles les plus vulnérables pour la mobilisation du Pass culture et du pass’Sport ; augmenter le montant forfaitaire de ce dernier pour les familles aux revenus les plus modestes ; encourager le financement des licences sportives par les collectivités territoriales et l’organisation de sorties culturelles et sportives gratuites.
L’école et les activités périscolaires. Les défenseurs des droits et des enfants reconnaissent le rôle crucial de l’école et plébiscitent bien entendu l’ambition du “100% EAC” ainsi que des sorties scolaires qui sont « vécues par les enfants comme des événements exceptionnels et mémorables ». Mais toutes ne le sont pas. Au-delà de chiffres, si les activités proposées pèchent en qualité, ces temps “mémorables” « peuvent devenir anxiogènes, voire inadaptés à l’enfant ».
Recommandation : consacrer dans la loi l’obligation, pour les collectivités territoriales, d’établir un projet éducatif territorial pour organiser des activités périscolaires adaptées aux spécificités locales, accessibles financièrement pour les familles, permettant l’inclusion de tous les enfants et dont la qualité d’accueil garantit leur épanouissement par le recrutement de personnels dûment formés à cet effet.
Les enfants en situation de fragilité. Au-delà de ces recommandations générales, le rapport prend en compte l’ensemble des situations particulièrement défavorables au respect du droit au sport, aux loisirs et à la culture des mineurs.
- Enfants mal logés. Les hôtels dans lesquels sont hébergés les sans domicile « prévoient des lieux pour manger, pour dormir mais pas pour jouer », confie l’un d’eux. Recommandation : augmenter les moyens budgétaires des centres d’hébergement pour adapter ces lieux de vie aux besoins des enfants et leur offrir des espaces de jeux et un accès à des activités récréatives, sportives et culturelles.
- Enfants relevant de la protection de l’enfance. Le rapport recommande de prévoir la définition d’un “parcours culturel et sportif” pour chaque enfant relevant de la protection de l’enfance, d’élargir aux établissements sociaux et médico-sociaux la possibilité de mobiliser la part collective du Pass culture et d’encourager les travailleurs sociaux à relayer auprès des jeunes et de leurs familles les informations relatives à ce dispositif.
- Enfants prives de liberté. Soulignant l’importance de définir aussi pour les mineurs sous main de justice un “parcours sportif et culturel” en lien avec leur projet de réinsertion, le rapport suggère de mettre en place, au sein de tous les lieux de privation de liberté accueillant des mineurs, des équipements adaptés à des pratiques physiques, sportives et culturelles variées.
- Enfants en situation de handicap. Sensibiliser et former les professionnels des centres médicaux et médico-sociaux aux bénéfices du recours aux activités artistiques, culturelles et de loisirs comme leviers de prise en charge des enfants en situation de handicap et facteur d’inclusion sociale.
- Enfants hospitalisés. Assurer le financement public des associations réalisant des interventions ludiques et artistiques auprès des enfants malades et hospitalisés, notamment en soutenant davantage des associations d’éducation populaire.
- Enfants étrangers. Assurer à tous les mineurs étrangers un accès aux activités sportives, culturelles et de loisirs sans que celui-ci ne repose uniquement sur les initiatives volontaires des acteurs de la société civile.
- Enfants de l’aide sociale. Le rapport dénonce « la rareté » de la participation des enfants confiés à l’aide sociale à des activités sportives, artistiques et culturelles et regrette « qu’aucune obligation n’existe quant à l’inscription d’un parcours sportif et culturel dans le projet d’établissement ou de service des établissements sociaux ou médico-sociaux ».
Les tout-petits. Le rapport, qui aborde globalement tous les âges en dessous de 21 ans, consacre deux recommandations aux tout-petits. La première consiste à mieux prendre en compte l’éveil artistique dans les institutions relevant de la protection maternelle et infantile. La seconde de dédier des espaces aux tout-petits dans les lieux de loisirs, culturels et sportifs (bibliothèques, ludothèques, musées, opéras, conservatoires, piscines, gymnases, etc.) et de prévoir des facilités d’accueil des familles avec enfants en très bas âge dans ces lieux.
On notera que la plupart des préconisations concerne des actions effectivement mises en œuvre par les politiques publiques nationales comme territoriales. La force du rapport est ailleurs. Elle consiste d’une part à prôner la généralisation et le renforcement de ce qui se fait déjà mais surtout à souligner l’ampleur des enjeux de l’accès à la culture, au sport et aux loisirs pour les jeunes : « Garantir l’accès de tous les enfants, dans des conditions d’égalité, aux loisirs, au sport et à la culture, c’est leur permettre de se construire et de leur offrir un rapport au monde et aux autres ouvert et confiant » (éditorial de Claire Hédon et Eric Delemar).