Au regard de la crise sanitaire et des difficultés auxquelles sont confrontées les artistes, la transposition de la directive européenne sur les services de médias audiovisuels (SMA) et sur les droits d’auteur (et droits voisins, artistes interprètes) relève d’une urgence. Après le Sénat, la commission culture de l’Assemblée nationale autorise le Gouvernement, le 9 septembre, à procéder par ordonnances. La loi sera examinée en séance publique le 7 octobre.
Adoptée le 12 septembre 2018 par le Parlement européen (communiqué de la FNCC), la directive SMA doit être transposée dans les législations des pays membres. Un projet de loi “portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière” (02/2020) est déposé en France en février dernier et examiné en mars 2020 par les députés.
A la suite de l’interruption du processus parlementaire pour cause de pandémie, et au vue à la fois de l’urgence (la transposition devait être effective mi-septembre) et de la profonde crise de ressources pour les auteurs du fait de la crise sanitaire, l’examen parlementaire prendra une forme nouvelle, celle de l’autorisation faite au Gouvernement de procéder par ordonnances. Malgré leurs réticences à se dessaisir du débat, c’est chose faite, avec amendements, par les sénateurs le 8 juillet (article sur le de la FNCC). Le 9, annonçant que le président de la République s’est engagé à ce que la transposition soit effective avant fin 2020, la ministre de la Culture fait la même demande aux députés, tout en garantissant le respect par le Gouvernement des amendements parlementaires. Avec succès et quasi-unanimité – le groupe France insoumise excepté.
Fragilité enfin reconnue des artistes-auteurs. Techniquement, la séance de la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale était sollicitée par celle des affaires économiques pour un “examen pour avis” de seulement deux articles (24bis et 24ter) du projet de loi. Mais concrètement, il en va de l’avenir même des artistes-auteurs dont la crise a révélé la précarité. Une prise de conscience majeure :
- Déjà, le rapport Racine “L’auteur et l’acte de création” (01/2020, cf. la Lettre d’Echanges n°177, espace adhérents) notait l’insécurité sociale et financière des auteurs pour cause d’absence de statut spécifique.
- Déjà aussi, une proposition de loi (16/06/2020) “pour le développement des arts, de la culture, de la création et de l’éducation populaire”, présentée par le député Pierre Dharréville (GDR) des Bouches-du-Rhône mais soutenue par des députés de toutes sensibilités, plaidait pour une plus large rémunération des artistes et tout particulièrement des auteurs (cf. “Financer le travail artistiques et non (seulement) l’œuvre”, site de la FNCC).
- Plus récemment encore, la présidente de la commission culture du Sénat, Catherine Morin-Desailly, signait un rapport à propos de l’impact de la Covid-19 préconisant notamment la création d’un statut spécifique pour les artistes-auteurs.
Contenu sensible des articles 24bis et 24ter. La transposition de la directive européenne SMA et “droits d’auteur” ne traite pas, elle, du problème de fond du statut et de l’insuffisante reconnaissance sociale des auteurs – ce qui supposerait une véritable révolution dans l’approche politique de la place de la culture dans la société, pour l’heure encore très centrée sur l’accès aux œuvres –, mais elle conforte leur premier, et seul, acquis : la juste rémunération du droit d’auteur.
La députée rapporteure pour avis Aurore Bergé (LREM) souligne l’importance de l’attente quant à la transposition des articles 24bis et 24ter. Ils contiennent en effet « des dispositions essentielles pour les auteurs et artistes interprètes ainsi que pour les secteurs de la production et de la diffusion audiovisuelles ». La députée des Yvelines ajoute que l’avancée la plus notable de ces textes est « la fin du régime d’irresponsabilité des plateformes, qui devront désormais répondre des contenus mis en ligne et assurer le respect des droits d’auteur et des droits voisins attachés à ces contenus ».
La ministre précise avec clarté les enjeux. Ils sont au nombre de trois :
- Faire contribuer au financement d’œuvres françaises les chaînes et plateformes étrangères qui ciblent la France et ainsi rétablir l’équité entre tous les acteurs qui diffusent des œuvres audiovisuelles et cinématographiques en France. Une exigence d’autant plus forte que les plateformes se sont considérablement enrichies pendant la crise sanitaire alors que les télévisions nationales, qui contribuent au financement de la création, se sont appauvries, faute de publicité.
- Mieux protéger les droits de la propriété intellectuelle sur les plateformes de partage de contenus en les obligeant à conclure des accords de licence ou à coopérer avec les ayants-droit pour empêcher que les œuvres ne soient diffusées sans leur autorisation et pour que leur rémunération soit proportionnelle à l’ampleur de leur diffusion.
- Enfin, prendre la mesure d’un enjeu proprement technique, mais selon la ministre non moins important : la transposition de la directive dite “câble et satellite” concerne la rémunération des titulaires de droits lorsque leurs œuvres sont diffusées via la technique particulière de diffusion dite de l’“injection directe” – soit par ligne privée, sans claire identification d’un diffuseur (une technique de plus en plus utilisée pour réduire, voire cesser, le paiement des droits d’auteur).
Le “Parlement aime la culture”. Quelques amendements sont adoptés. Notamment pour mieux protéger la diversité des contenus et des acteurs ainsi que pour garantir les droits d’accès des personnes en situation de handicap. Et aussi pour mieux protéger les enfants contre l’exposition à des contenus à caractère pornographique.
Quelques oppositions sont également écartées, en particulier quant au projet de confier à l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) le règlement d’éventuels conflits entre les utilisateurs des plateformes et les plateformes elles-mêmes, le député (FI) de l’Ariège Michel Larive y décelant un risque d’accroissement de la censure.
Mais finalement, les députés de la commission culture autorisent le Gouvernement à légiférer par ordonnances. A noter ce propos de la député (LR) des Hauts-de-Seine Florence Le Grip à la ministre : « Vous le savez, le Parlement n’aime pas les ordonnances ; mais le Parlement aime la culture ; nous nous sommes donc faits à l’idée. » Une attitude qui permettra sans doute à la France, à condition d’un vote positif le 7 octobre, d’être le premier pays européen à procéder à la transposition de la directive de l’Union européenne.
A télécharger
Compte-rendu de la séance du 9 septembre 2020 à l’Assemblée nationale