Le 13 février, la commission culture du Sénat organisait une table-ronde sur les conservatoires, notamment sur le projet de réforme de leur système de classement par le ministère de la Culture. Mais bien d’autres interrogations ont été soulevées : les critères pour les aides de l’Etat, les inégalités liées au coût des droits d’inscription, l’articulation entre les missions de formation d’amateurs et de professionnels, les conditions d’emploi des enseignants, les cycles préparant à l’accès à l’enseignement professionnel, le maillage du territoire. Etc. Autant de sujets qui ont conduit la présidente de la commission, Catherine Morin-Desailly, a annoncer l’installation d’un groupe de travail spécifique au Sénat.
Après des années d’engagement incertain du ministère de la Culture (cf. encadré), le ministre a annoncé une réforme de la structuration du réseau des conservatoires. C’est dans ce contexte d’incertitude et d’attente que la présidente de la commission culture du Sénat, Catherine Morin-Desailly, a décidé d’organiser une table-ronde sur les conservatoires dans laquelle est intervenue au nom de la FNCC Isabelle Vincent, vice-présidente et maire-adjointe à la culture de Chartres, aux côtés de représentants du ministère, de la Fédération nationale des parents d’élèves de conservatoires (FNAPEC) et de l’association Conservatoires de France.
Les débats ont mis à jour deux paradoxes. D’une part une forte attente vis-à-vis de l’Etat, lequel ne finance pourtant que très marginalement les conservatoires (tout en cadrant leurs contenus pédagogiques et les diplômes des enseignants) ; et d’autre part la contradiction entre les deux missions des conservatoires que le sénateur Laurent Lafon traduit en soulignant « l’impossibilité financière et structurelle des conservatoires à dispenser à la fois une formation diplômante tout en maintenant ou développant les activités de loisir et d’initiation ».
Quelle réforme envisage le ministère ? La directrice de la DGCA tient avant tout à minimiser le rôle de l’Etat par rapport à celui des collectivités ainsi que l’étroitesse de ses moyens. Puis elle expose la “philosophie” générale de la réforme envisagée : « Passer d’un classement vertical en trois catégories [rayonnement communal, départemental et régional] à une autre logique basée sur la confiance, sur la co-construction et le dialogue avec les collectivités pour partir moins d’un contrôle a priori que d’un dialogue régulier qui permette de s’assurer de la qualité des enseignements. » Donc des classements – ou plutôt des “classifications” – non limités dans le temps, mais objet d’un contrôle et d’un suivi réguliers.
Ces certifications suivraient quatre critères : une tarification sociale, l’enseignement d’au moins deux des trois spécialités (musique, danse, théâtre), le maintien du niveau d’emploi des enseignants et, pour les élèves, la définition de “parcours différenciés”. Mais, au-delà de ces critères généraux, l’essentiel sera d’engager « une démarche dans laquelle se mêlent l’expertise locale, l’appréciation des besoins du territoire, des élèves et l’expertise nationale ». Enfin, cette annonce méthodologique : « Nous souhaiterions engager dès cette année, en concertation avec les collectivités volontaires et les DRAC, deux ou trois expérimentations d’évolution de ce dispositif au niveau régional mais aussi au niveau départemental. »
Les propositions de la FNCC. Seule représentante des collectivités territoriales, Isabelle Vincent a délivré les quatre positions de la FNCC adoptées collégialement en Bureau :
- Ne pas indexer le soutien de l’Etat aux classements des conservatoires mais à l’évaluation de leurs projets (avec cette question : « l’Etat aura-t-il bien les moyens ces évaluations ? »).
- Obtenir un retour des enquêtes préalables des DRAC sur les territoires.
- S’interroger sur l’offre dans les différentes disciplines à laquelle devaient répondre les établissements pour obtenir les différents labels de rayonnement : musique, danse et théâtre pour le rayonnement régional, musique, danse ou théâtre pour le rayonnement départemental et musique seulement pour les rayonnements communal et intercommunal. « Cette structuration des critères qui s’imposait jusqu’alors de manière homogène s’avère à notre sens trop peu attentive aux variations de situations, aux spécificités des territoires et aux différences des projets politiques. »
- Enfin, plus symboliquement, une question : le terme même de “conservatoire”, avec sa connotation plus protectrice que prospective, convient-il encore à des établissements en charge d’inventer le futur de la relation aux arts et d’en transmettre les conditions de leur pratique créative ?
D’emblée, dans cette phase préparatoire, les propositions de la FNCC semblent s’accorder pour partie au projet de réforme, dans un esprit de “territorialisation” des politiques culturelles prôné en ce domaine comme dans les autres par la Fédération. « Pour nous, collectivités, l’un des intérêts du projet de réforme, c’est d’avoir cette écoute et ce dialogue permanent avec les DRAC puisque c’est à partir des expérimentations qu’il faut réfléchir. » Et s’il est vrai que l’accompagnement du ministère reste très faible, il s’avère « quand même symbolique et il est important qu’il se poursuive ainsi qu’un dialogue permanent ».
De la responsabilité des collectivités. Cette approche affiche clairement la responsabilité première des collectivités territoriales. Une responsabilité que les échanges ont mis à jour sur de très nombreuses problématiques.
Sur les cycles préparatoires à l’entrée dans l’enseignement supérieur, la balle est dans le camp des régions. Catherine Morin-Desailly note que, pour l’heure, seule la Normandie, a demandé à jouer un rôle de chef de file en matière d’enseignement artistique et rappelle que cette responsabilité correspond aux attentes du terrain.
Le président de Conservatoires de France, Maxime Leschiera, précise un certain nombre de difficultés et d’inquiétudes des directeurs d’établissements. Si le rôle des DRAC est souligné pour, par exemple, le dispositif dit “plan chorale”, certaines y indexant le versement des subventions de l’Etat et d’autres non, la plupart des problématiques relèvent des collectivités : hétérogénéité de leur implication, fragilisation de l’emploi, partenariat pour l’EAC, etc. « Un écart se creuse entre l’offre assez riche portée par les plus grandes collectivités et des zones blanches qui tendent à se multiplier en milieu rural. »
La libre administration des collectivités territoriales s’impose à nous, d’autant plus que le financement qu’apporte le ministère de la Culture est très minoritaire
Pour la représentante de la FNAPEC, Marie-Claire Valette, le principal problème des conservatoires tient à la variabilité des droits d’inscription. La solution pourrait venir de leur intercommunalisation. Là encore Catherine Morin-Desailly souligne la responsabilité des collectivités pour voir comment se répartir la charge du financement des établissements « à due proportion » entre les différents niveaux de collectivités qui, rappelle-t-elle, sont mises devant leurs responsabilités : « N’oublions pas que la loi NOTRe a maintenu, à leur demande, la compétence partagée des collectivités territoriales en la matière. » Et pour ce qui est du tarif des droits d’inscription, cette remarque de Bertrand Munin, sous-directeur de la diffusion artistique et des publics au ministère : même si l’Etat en a fait un critère pour son réengagement, « la libre administration des collectivités territoriales s’impose à nous, d’autant plus que le financement qu’on apporte est très minoritaire ».
Une autre grande difficulté que connaissent les conservatoires relève de la précarité de l’emploi pour les enseignants, ce qu’avait pointé un récent rapport du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (cf. la Lettre d’Echanges n°166) et que cite la sénatrice Maryvonne Blondin : « 68% des enseignants de musique et 84% de danse sont à temps partiel. Et 24% des enseignants musique et danse ont au moins deux employeurs et sont à temps partiel. Cela dit quelque chose d’important concernant les conditions de travail. » De ce point de vue encore, la responsabilité incombe aux collectivités en tant qu’employeurs.
Enfin, un cas d’école a montré la difficulté des collectivités à gérer la forte demande suscitée par les conservatoires. A Paris, explique la sénatrice Catherine Dumas, il y a 17 conservatoires municipaux et un CRR. Mais ils connaissent « aujourd’hui un tel déséquilibre entre l’offre et la demande que la mairie a mis en place un système de tirage au sort. Système illogique, injuste puisqu’il va à l’encontre du but recherché. On écarte les candidats qui ont de vraies dispositions. Si elles ne sont pas tirées au sort, les familles modestes n’ont pas de situation de repli. » Le conservatoire du 15e arrondissement (230 000 habitants) n’a que 17 places pour 200 demandes. Le ministère peut-il intervenir ? Réponse de la directrice de la DGCA : « Franck Riester est extrêmement attentif au respect de l’autonomie des collectivités et nous enjoint d’être dans le dialogue. »
Amateurs et excellence. En ouverture de table-ronde, la présidente de la commission a rappelé qu’on ne devait pas confondre élitisme et excellence. Comment conjuguer l’excellence avec la formation d’amateurs ou encore avec l’EAC ?
La réponse du président de Conservatoires de France est simple : « L’excellence n’est pas seulement liée aux enseignements les plus aboutis : il y a de l’excellence dans l’initiation aux arts qu’on peut proposer en milieu scolaire, par exemple. » Pour autant, cette revendication globale d’excellence n’efface pas, d’un point de vue du temps de travail des enseignants et donc du poids de la masse salariale, une possible pression en faveur de l’initiation au détriment d’un enseignement plus exigeant : contribuer à l’EAC, oui, mais à condition « d’avoir encore les moyens de poursuivre la mission de formation des futurs artistes amateurs et professionnels. »
En effet, remarque le sénateur Jean-Raymond Hugonet, « 34 millions d’euros ont été débloqués pour le Pass’ culture et rien pour la musique. Les conservatoires sont des structures d’apprentissage et d’excellence qui doivent être préservées. »
De ce point de vue, l’Etat, qui initie des projets à vocation nationale comme le 100% EAC ou le “plan chorale” qui impliquent directement les conservatoires, est interpellé. Bernard Munin en convient : « On est parfois suspectés de vouloir casser l’enseignement artistique spécialisé. Ce n’est évidemment pas le cas. » Mais il faut aussi répondre à la demande politique, car la mission de l’enseignement artistique spécialisé n’est pas la seule attente des collectivités de la part des conservatoires. Leur soutien financier est en effet également lié à leur rôle d’acteurs territoriaux à part entière.
La sénatrice Sonia de la Provôté pose la question de manière non ambiguë : « Pensez-vous toujours que les conservatoires sont les lieux de l’excellence sur les territoires et que cette mission-là reste prioritaire ? » Sur le fond, la réponse de la directrice de la DGCA pose un principe clair – « les conservatoires doivent bel et bien concilier l’excellence avec une éventuelle finalité professionnelle et la pratique en amateur », – même si les moyens de respecter ce principe fondamental restent à trouver. La table-ronde a montré que le ministère de la Culture est ici très attendu.
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Variations des financements de l’Etat
- Financements des conservatoires par l’Etat de 2006 à 2019 :
- 35M€ en 2006,
- 27M€ en 2012,
suppression des crédits en 2016 excepté pour un petit nombre de conservatoires à rayonnement régional adossés à des pôles d’enseignement supérieur (5,5M€). - Après ce retrait, le ministère s’est réengagé progressivement, avec un premier “plan conservatoires” doté de 13,5M€. Quatre axes sont identifiés pour y être éligible : mettre en œuvre une tarification sociale (critère obligatoire) ; favoriser le renouvellement des pratiques pédagogiques ; accompagner la diversification de l’offre artistique ; encourager le développement des réseaux et des partenariats.
- En 2018, l’engagement de l’Etat remonte à 20M€.
- Le Projet de loi de finances 2019 prévoit un budget de 21M€ pour le soutien aux conservatoires.
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Du CEPI aux classes préparatoires
A la différence des ex-CEPI (cycles d’enseignement professionnel initial) ou COP (cycles d’orientation professionnelle), les classes préparatoires à l’entrée dans l’enseignement supérieur (loi LCAP) ne délivrent pas de diplôme et ne dispensent les élèves ni d’être titulaires d’un DEM ni de passer les concours d’entrée dans les pôles d’enseignement supérieur.
Il n’est par ailleurs pas prévu de financements supplémentaires de l’Etat aux CRD et CRR qui rempliraient les conditions – très exigeantes – pour obtenir l’agrément de dispenser ces classes préparatoires. La création de cette nouvelle strate laisse ainsi la formation professionnalisante dans les conservatoires au milieu du gué…
De fait, très peu de conservatoires ont fait une demande d’agrément pour ces classes préparatoires. A ce jour seules deux demandes ont été enregistrées : Chalon-sur-Saône et Paris.
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