La Communauté de communes Puisaye-Forterre, formée en 2017, est composée de 57 communes regroupant environ 35 000 habitants. Terre rurale, à cheval sur les départements de l’Yonne et de la Nièvre, elle doit articuler deux types d’économie différents, le Nord développant une logique industrielle par sa proximité avec l’Île-de-France alors que le Sud se caractérise par des activités plus artisanales liées à l’héritage de la poterie : la commune de Saint-Amand-en-Puisaye (1 350 habitants), notamment, participe au réseau des “Villes et Métiers d’art”.
Pascale GROSJEAN, élue adjointe à la culture et au développement économique de Saint-Amand-en-Puisaye et vice-présidente en charge de la culture de la Communauté de communes de Puisaye-Forterre, décrit l’importance des enjeux culturels dans un pays durement marqué par l’évolution industrielle de la poterie qui a fragilisé le tissu artisanal et une ruralité qui peine à être reconnue en tant que telle. La politique culturelle communautaire s’attache ainsi à dynamiser la vie économique et touristique mais aussi à recréer du lien dans un EPCI très étendu, notamment autour de la dimension musicale riche d’une forte tradition d’harmonies et de chorales.
Quel est le rôle, l’objectif que remplissent les politiques culturelles pour la Communauté de communes Puisaye-Forterre ?
La culture constitue une variable économique importante. On considère souvent que la culture a pour mission l’animation du territoire. Pour ma part, sa dimension économique m’apparaît fondamentale. Dans un territoire essentiellement touristique comme le nôtre, nous avons besoin de développer l’économie culturelle en soutenant l’artisanat créatif et l’essor des savoir-faire. Dans cette perspective, nous avons initié, soutenus par la région Bourgogne-Franche-Comté, le 13 mars, une étude pour le développement des métiers d’art afin d’envisager comment aider et accompagner ces filières. De cette étude, dont les résultats seront connus en octobre prochain, découlera une feuille de route. Un chargé de mission sera également recruté. Au-delà de la seule poterie, c’est une politique à la fois culturelle, économique et touristique s’appuyant sur l’ensemble des métiers d’art et d’artisanat qui m’intéresse.
En espace rural, la mise en lumière de l’identité culturelle du territoire est parfois considérée comme une source de “fierté” pour les habitants..
En effet. Sur cette terre marquée à partir des années 70-80 par le traumatisme de l’industrialisation de la poterie qui a frappé les artisans locaux, les habitants ne portent pas avec fierté leur identité territoriale, la ruralité n’étant pas non plus une valeur porteuse. Les jeunes de Saint-Amand-en-Puisaye, par exemple, ne savent plus qu’ils habitent un pays riche d’une tradition de poterie. Le sentiment de fierté vient d’ailleurs, de ceux qui s’installent ici. Nous devons capitaliser sur leur vision positive et redonner du sens à un écosystème qui peine à survivre. Il faut ajouter que si l’on parle beaucoup de la ruralité, le modèle reste encore fondé sur des problématiques urbaines.
La communauté de communes porte-t-elle l’intégralité de la compétence culturelle ?
Dans la fusion des trois EPCI et d’une commune nouvelle que forment la Communauté de communes de Puisaye-Forterre, deux seulement assumaient déjà la compétence culturelle, dont l’une dans le cadre d’une délégation de service du département de la Nièvre. Aujourd’hui, considérant l’importance de la culture tout particulièrement en milieu rural, la Communauté de communes a décidé de créer une compétence “culture” en tant que telle. Les projets menés sont transversaux avec le tourisme et l’économie. Pour le moment, le budget de la délégation culture reste faible : 30 000€ et représente 0,14% du budget total. Il s’agit de l’addition des budgets culture des anciennes Communautés de communes. J’ai cependant réussi à inscrire des moyens spécifiques pour le soutien aux métiers d’art.
Il faut ruser, car nombreux sont les élus et les responsables associatifs peu intéressés par la culture en tant que telle ; ils n’envisagent pas son apport économique et y voient au contraire une source de dépenses inutiles. Pour autant, le Contrat local d’Education artistique (CLEA) est un levier, car il permet de toucher tous les enfants – ce à quoi les élus sont naturellement sensibles. Faire vivre le CLEA exige un travail de l’ensemble des acteurs culturels du territoire. Cela fonctionne bien et nos partenaires que sont la DRAC et l’Education Nationale, sont très actifs.
Nous avons notamment une importante école de musique répartie en six pôles et avec en tout 350 élèves. La musique est également un enjeu de territoire. Une charte est en projet pour mailler l’école de musique avec les très nombreuses sociétés de musique en amateur – chorales et harmonies – ainsi qu’avec l’association de l’école de musique qui gère en particulier un parc instrumental et dont nous avons élargi les missions : animation, stages, valorisation des professeurs en tant que musiciens… Ce projet a connu des difficultés au départ. Les agents sont en effet un peu dans l’attitude de vouloir se protéger. Le travail est en cours cette année afin d’être opérationnels pour 2020.
Quels sont vos axes prioritaires ?
Agglomérer les actions individuelles des communes pour stimuler la fréquentation des musées. Nous souhaitons insuffler une dynamique de mutualisation et profiter des fins de saisons pour s’adjoindre les services d’un agent pour la commercialisation de nos cinq musées communaux et professionnaliser l’accueil fait au public. Une petite ligne budgétaire a également été mise en place pour la politique de la lecture publique, pour le moment en veille. Si nous sommes réélus, je souhaiterais que ce soit l’un des chantiers prioritaires du prochain mandat ainsi que la création d’une radio locale et le cinéma itinérant.
Quelles sont les principales ressources culturelles de votre territoire : équipements, patrimoine, tissu associatif… ? Quels sont les manques ?
Notre territoire est riche culturellement, mais les ressources parfois mal identifiées, d’où un projet de cartographie répertoriant les associations culturelles, les professionnels et les sites patrimoniaux. Les habitants connaissent cette richesse, mais la culture reste pour eux de l’ordre d’une problématique d’élite. Je fais là un clin d’œil à l’Office de Tourisme qui s’est radicalement professionnalisé et développe des outils pour rendre visible les pépites de notre territoire, dont notamment la Métairie Bruyère, la Maison Colette, le chantier de Guédelon, les châteaux de Saint-Fargeau Ratilly et Montigny, la Poèterie, la Fabuloserie, les artistes et artisans d’art de Saint-Amand, une école Métiers d’art…. Et en projet une université de design.
Ainsi que les promenades…
Je suis entièrement d’accord, cela aussi fait partie de la culture d’un pays. Mais pour le moment, les circuits de randonnée, par exemple, sont placés sous la responsabilité du tourisme. Leur prise en compte du point de vue de la culture viendra dans un second temps. Il faut préciser qu’on part de très loin, avec des modalités de gouvernance très disparates selon les associations qui s’en occupent. Un travail d’homogénéisation reste à mener. L’une des solutions trouvées, a été d’instituer une structure associative regroupant l’ensemble des partenaires du territoire pour arriver à dépasser une logique de “pré carré” et créer de la solidarité. Alors il devient possible d’articuler culture et tourisme, avec par exemple des ballades à thème et d’envisager une communication unifiée.
Quelles sont vos principales difficultés ?
Le premier manque tient à l’absence d’une vision de territoire, sans doute générée par les politiques publiques menées auparavant. Mais, avec le renouvellement générationnel, je garde espoir qu’une solidarité voie le jour, malgré les difficultés.
La culture est essentielle à nos territoires ruraux. Finalement dans ce temps de mondialisation, plus les gens s’isolent et vivent derrière leurs écrans, plus ils ont besoin de se rencontrer.
Faut-il insuffler un nouveau départ ?
En effet. Je suis persuadée que la culture est essentielle à nos territoires ruraux. Finalement dans ce temps de mondialisation, plus les gens s’isolent et vivent derrière leurs écrans, plus ils ont besoin de se rencontrer. J’ai fait inscrire un budget d’aide aux associations, avec un apport en ingénierie et en réflexion de projet, afin de contribuer au développement de projets innovants. L’initiative soutenue ces deux dernières années est basée sur la rencontre et la valorisation de la créativité. Sept lieux, chacun développant son modèle unique, sont concernés avec l’engagement de collectifs citoyens qui en sont les acteurs principaux. L’apport des communes s’élèvera à 3 000€ consacrés au développement des projets.
La conscience de l’importance des enjeux culturels est-elle partagée par les élus ?
Il faut être très clair, carré, porter une vue d’ensemble et placer les enjeux culturels au-delà des luttes partisanes. Si le projet communautaire est bien réfléchi, il convainc. Mais la communauté de communes n’a encore que trois ans, ce qui est bien peu. Une réelle ambition culturelle, portée par un dialogue de tous les élus, ne pourra s’engager qu’au cours du prochain mandat.
En terres rurales, l’avenir de la culture se joue-t-il au niveau de l’intercommunalité ?
Sans doute. Mais cela exige que les élus s’habituent à des territoires beaucoup plus étendus. L’intercommunalité est en effet un bon périmètre pour la culture, comme peut l’être le département, et ce d’autant plus qu’on bénéficie du soutien de la DRAC et de la Région.
Le ministre de la Culture estime nécessaire d’accorder davantage d’autonomie aux DRAC.
Quels sont vos liens avec la vôtre ?
Le lien avec la DRAC s’avère important, mais sa feuille de route, très axée sur les professionnels, est bien contraignante. Il n’existe que peu de protocole d’accompagnement pour des structures plus fragiles. J’espère que la perspective actuelle de donner davantage d’autonomie rendra cela possible.
Les notions de droits culturels, de diversité, dialogue interculturel, de participation sont-elles des sources d’inspiration pour votre politique ?
Ces paradigmes concernent essentiellement les politiques des villes. En milieu rural par exemple, la diversité a un tout autre sens : si un membre d’une famille part puis revient, il devient un étranger »du dedans », et ceux qui arrivent d’ailleurs des étrangers »du dehors ». La mixité se fait naturellement, car notre économie vient de l’extérieur.
Nous parlions du sentiment de fierté. Cela ne relève-t-il pas précisément des droits culturels?
Il s’agit en effet de l’enjeu de la reconnaissance de sa culture propre. Ici le CLEA et les centres de loisirs sont des outils importants.
Qu’attendez-vous de la FNCC ? Est-ce que la capacité de la Fédération de faire entendre au niveau national les attentes et réalisations des territoires vous semble importante ?
J’ai conscience de l’hétérogénéité du territoire de la Communauté de commune de Puisaye-Forterre et pour moi l’adhésion à la FNCC représente un vecteur de légitimation. Cela me permet aussi d’avoir accès à des informations pertinentes et utilisables. Une fédération qui facilite le travail est un outil formidable ! Autre apport : la discussion avec des personnes confrontées aux mêmes problématiques que soi aide à la réflexion. De telles occasions d’échanges sont trop rares.
En revanche, pour ce qui est de la capacité de faire entendre les attentes locales au niveau national, sans doute est-ce nécessaire, mais je n’en vois toujours pas les effets…