Réunissant 14 communes de Vendée pour une population totale d’environ 50 000 habitants, la Communauté d’agglomération Pays de Saint-Gilles-Croix-de-Vie a développé un modèle de gouvernance communautaire singulier, adossé à un équipement phare, pilote de sa politique culturelle. Yann Thomas, vice-président délégué au développement numérique, aux nouvelles technologies, à la culture et à l’événementiel est en effet également en charge de la salle de spectacles La Balise. L’équipe de ce théâtre, construit pendant la crise sanitaire, assume aussi le rôle de service culturel de l’EPCI, avec le renfort d’une chargée de mission dédiée aux autres dimensions de son action culturelle : la lecture publique, le patrimoine… Portrait d’une intercommunalité au territoire très attractif et animée d’une forte volonté politique pour favoriser l’accessibilité à la culture pour toutes et tous, et pour répondre aux attentes des nouveaux résidents.
Quel parcours vous a-t-il conduit à l’engagement politique dans le domaine de la culture ?
C’est mon premier mandat à la fois en tant que maire et comme élu communautaire, vice-président en charge de la culture. Je n’ai pas sollicité cette délégation (je viens de l’administration territoriale, en tant que directeur général des services d’un EPCI proche de Saint-Gilles-Croix-de-Vie) mais je l’ai accueilli avec beaucoup d’enthousiasme. Le projet culturel intercommunal était jusqu’alors peu développé alors que la culture est un vrai levier de développement du territoire et d’épanouissement pour ses habitants.
Vous initiez donc la première politique culturelle de la Communauté d’agglomération…
Absolument, et ce avec un équipement pour ainsi dire été “livré” avec le mandat, en 2020 : une salle de spectacle pluridisciplinaire intercommunale, de 600 places assises et 1 000 debout, inaugurée en plein Covid. Le mandat a ainsi pour première priorité de faire fonctionner ce lieu et en faire le phare ou “la balise” – puisque tel est le nom de la salle – pour la diffusion culturelle à l’échelle de l’intercommunalité.
Est-il difficile, au sein du conseil communautaire de faire valoir l’importance des enjeux culturels ?
Nous avons la chance d’avoir un équipement d’où faire rayonner notre politique culturelle, avec une réelle volonté politique d’y mettre les moyens. Bien sûr, faire voter un budget culture en ces temps de restrictions budgétaires demande beaucoup de force de conviction. Il faut porter une vision, montrer qu’il y a du sens à développer une politique culturelle. Avec l’appui de l’équipe du théâtre, le groupe de travail sur la culture souhaite mettre en œuvre un réel “projet culturel de territoire”, actuellement en cours de rédaction.
Quelles sont vos priorités ?
Que son public soit intergénérationnel et qu’il développe une forte action de médiation en lien avec sa saison, notamment au travers d’ateliers de danse, théâtre, musique ou cirque pour les scolaires animés par des professionnels. La priorité de l’accessibilité et la proximité de l’offre culturelle qui anime La Balise se traduit également par notre politique de lecture publique. Nous lancerons, début 2024, une étude pour mettre en réseau, à l’échelle de l’agglomération, les nombreuses bibliothèques du territoire. Un autre versant de notre action de l’EPCI, qui a en charge la mise en valeur de deux églises classées Monuments historiques dont elle est propriétaire, est la promotion du lien social par la culture.
Pour la saison culturelle de La Balise, nous envisageons aussi, sous l’impulsion de sa directrice, le développement du festival Le Goût des langues au cours duquel on organise une battle de patois, vendéens et autres – une première mondiale ! – mettant sur scène des enfants des écoles. L’idée est de montrer que, a contrario d’un patois refermé sur lui-même, la langue maternelle relève d’une réalité universelle.
Les particularités de votre territoire ?
Il est à la fois littoral et rétro-littoral, avec deux types d’attractivité complémentaires, l’une touristique, l’autre plus proprement rurale. Sur les 50 000 habitants, les deux principales villes – Saint-Gilles-Croix-de-Vie et Saint-Hilaire-de-Riez – n’en réunissent à elles deux que 20 000. Donc un territoire relativement équilibré, où aucune commune n’en étouffe une autre, très attractif (avec un réseau de résidences secondaires assez important) et caractérisé par une grande variété de paysages : bord de mer, marais, terres de boccage…
Politiquement, selon quel principe construisez-vous la politique culturelle communautaire ?
L’intérêt et la raison d’être d’une intercommunalité est faire en sorte que toutes les communes membres bénéficient de ses politiques publiques et de ses services. D’où, d’un point de vue de culture, l’atout de disposer d’un équipement intercommunal tel que La Balise.
Un conseil municipal est issu d’une liste élue sur un programme. Les intercommunalités, elles, n’ont pas ce socle programmatique : leur ambition politique se construit dans un deuxième temps, avec les habitants.
La Communauté d’agglomération assume-t-elle l’ensemble de la compétence culturelle ?
C’est l’une des seules compétences partagées. Et à la différence d’une usine, dont les uns souhaite qu’elle s’installe ici, d’autres là, la culture échappe à l’esprit de concurrence. Une commune ne transfert donc pas sa compétence culturelle à la communauté de communes mais la partage avec elle. Les municipalités gardent leur politique culturelle propre. Pour nous, la question est : en quoi, collectivement, peut-on être plus efficaces ? Qu’est-ce qui relève de l’intérêt communautaire ? Nous avons pour principe de ne pas agir à la place des communes mais en complémentarité avec elles et de manière transversale, par exemple en favorisant les réseaux ou en développant la médiation. Nous portons notre action sur des terrains où les communes, seules, ont beaucoup moins de marges de manœuvre. La prise de compétence culturelle communautaire doit apporter un “plus” et non remplacer les volontés municipales.
Des communes se sentent-elles spoliées dans leur autonomie ?
Ce n’est pas vraiment le sentiment que j’ai. Toutes les communes sont représentées dans les groupes de travail. A partir du moment où on s’inscrit dans la complémentarité, on arrive à l’unanimité, même de la part des communes qui ont déjà une politique culturelle et qui sont heureuses de porter à l’échelle communautaire leurs richesses et leurs initiatives propres. Nous avons ainsi réussi à élargir à l’ensemble du territoire le Contrat local d’éducation artistique (CLEA) signé originellement, en 2020, par deux communes avec la DRAC et l’Education nationale, notamment au travers d’actions de médiation culturelle qui font écho à la programmation culturelle de l’EPCI portée par La Balise. Le projet de réseau de bibliothèques ou encore celui de l’implantation d’une micro-folie procèdent de la même logique.
Le scrutin fléché est-il un frein à la reconnaissance de la légitimité de l’EPCI ?
Chez nous, l’ensemble des élus vivent relativement bien le partage de la compétence culturelle avec l’Agglomération, ce qui est essentiel car, pour qu’une politique soit bien comprise par les habitants, elle doit d’abord être portée par les élus. Notre légitimité politique ne pâtit pas du scrutin fléché. Une remarque cependant sur ce sujet : un conseil municipal est issu d’une liste élue sur un projet, sur un programme que les candidats s’engagent à décliner s’ils remportent le scrutin. Les intercommunalités, elles, n’ont pas ce socle programmatique, et l’ambition politique d’un EPCI ne se construit que dans un deuxième temps. Ainsi nous n’avons commencer à nous atteler à l’écriture de notre projet culturel de territoire qu’après les élections. Il n’en est pas pour autant moins légitime, mais à condition de se construire avec les habitants ; et de ce point de vue, on sent une vraie reconnaissance de leur part pour l’action de la Communauté d’agglomération.
Les maires-adjoints, notamment à la culture, se sentent parfois peu consultés…
Dans nos groupes de travail nous avons la chance d’avoir à la fois des élus communautaires et des élus municipaux. C’est en particulier le cas pour celui sur la culture. Mais il reste important d’avoir aussi des conseillers communautaires : ce sont eux qui font le relai avec le conseil communautaire et défendent les budgets devant la conférence des maires. Pour ma part, j’ai la chance d’avoir l’appui d’un président qui croit vraiment au développement culturel.
Diriez-vous que votre EPCI est une intercommunalité subie ou voulue ?
La loi NOTRe n’a eu que très peu d’impact sur nous, si ce n’est le passage du statut de communauté de communes à celui de communauté d’agglomération, donc avec une légère extension du périmètre des compétences, par exemple pour l’urbanisme. Pour le reste, c’est un EPCI plutôt assumé. En somme, une intercommunalité heureuse, ce qui n’exclue bien sûr pas quelques discussions…
Votre rôle en tant qu’élu au sein de La Balise ?
Nous échangeons beaucoup avec la directrice et l’équipe de La Balise. Notre responsabilité en tant qu’élus a été de préciser le projet culturel de l’équipement, d’en fixer le cap : le public visé (large, intergénérationnel), le développement de l’accessibilité (la médiation, la politique tarifaire), la nature de l’offre (pluridisciplinaire)… Par ailleurs, mon rôle politique est d’aller défendre ce projet auprès de mes collègues afin d’assurer les moyens pour pouvoir le mettre en œuvre. Donc une saison caractériser par ces trois ambitions pour que les habitants viennent et surtout reviennent : faire preuve d’audace, surprendre et rendre curieux. Et je voudrais préciser que je n’interfère d’aucune manière dans la programmation, laquelle relève entièrement de la directrice de La Balise.
Y a-t-il une action culturelle de l’EPCI exemplaire à vos yeux ?
Celle de La Balise… Je dois ici remercier mes prédécesseurs qui ont eu le courage de construite la salle, surtout en période de Covid. Mais une fois construit un équipement doit fonctionner. Le pari est en passe d’être gagné : nous avons réussi à développer à la fois les publics, les abonnements, le nombre de scolaires accueillis… Tous les indicateurs sont en progression.
Sentez-vous une réelle attente de la part des habitants ?
L’équipement est plébiscité par ceux qui le fréquentent, signe qu’il correspond aux modifications des modes de vie, aux attentes des nouveaux actifs ainsi qu’à celles des jeunes retraités installés sur notre territoire. Souvent venus de l’extérieur, ils se félicitent non seulement de bénéficier d’un cadre de vie exceptionnel mais aussi de spectacles qui viennent jusqu’à eux. J’ai en mémoire le témoignage d’un habitant après le tout spectacle inaugural de l’ouverture de la première saison culturelle de La Balise : “On ne savait pas qu’on avait le droit à des spectacles de cette qualité chez nous !” Cette exclamation était l’une des plus belles récompenses qu’on pouvait espérer. Cela étant, il reste encore beaucoup de monde à aller chercher…
Qu’en attendez-vous de la FNCC ?
Le choix d’adhérer à la FNCC a été suggéré par l’équipe de La Balise, qui connaissait votre Fédération et m’en avait déjà transmis quelques publications. Nous partons du principe qu’il est toujours intéressant de s’appuyer sur un réseau, de s’enrichir de ce que font les autres territoires, d’avoir connaissance des solutions apportées aux problématiques auxquels ils sont confrontés, des expériences positives qui y ont été développées… Je suis sorti vraiment enchanté de ma participation aux Journées d’Avignon de la FNCC l’été dernier. On voit bien tout ce qu’il y a à gagner dans l’échange avec ses élus.
Votre adhésion renforce aussi la légitimité de l’action de la FNCC au niveau national… Etes-vous sensible à cet aspect militant ?
Bien sûr. A partir du moment où la FNCC se nourrit des témoignages des élus, ce travail militant est forcément intéressant surtout s’il arrive à faire la synthèse de visions parfois très différentes. C’est important de savoir identifier ce qui nous rassemble, ce pour quoi, au regard de mes premiers échanges, je fais confiance à la Fédération.
Propos recueillis par Vincent Rouillon