La ville de Bourges (66 000 habitants), dans le département du Cher, est culturellement célèbre par le discours que prononça Malraux inaugurant la première Maison de la Culture ainsi que par son festival de musiques actuelles, Le Printemps de Bourges. Mais ce n’est là que la partie la plus visible d’une ville dont la culture et le patrimoine sont l’âme même.
Frédéric CHARPAGNE, maire-adjoint à la culture, dit sa passion pour cette terre de culture et son bonheur d’être en charge de la politique culturelle municipale. Sa priorité : identifier et redynamiser l’extrême richesse, tant institutionnelle qu’associative, de Bourges. Et ce au travers d’un lien étroit avec le Département, la DRAC et la région Centre-Val de Loire, particulièrement en cette année de célébration de la Renaissance à l’occasion du 500e anniversaire de la mort de Léonard de Vinci, mort en 1519 à Amboise.
En tant que maire-adjoint à la culture mais également compositeur, quel rôle donnez-vous à la culture dans la vie de la cité ?
J’ai évidemment bien séparé mon activité de compositeur et ma charge d’adjoint à la culture. En revanche, cette pratique de la musique m’a aidé à prendre conscience de l’importance de la connexion entre pouvoirs publics et artistes. D’où la conviction que la proximité devait être au cœur de ma mission : être présent, répondre rapidement aux sollicitations, accompagner.
Quant au rôle de la culture, il est primordial à Bourges. Tous les élus en sont conscients, ce que traduit clairement l’importance des financements culturels – 17% du budget de la municipalité – et la forte volonté de poursuivre dans cette direction. La culture fait partie de l’ADN de la ville. Elle a été la première à avoir une Maison de la Culture et Le Printemps de Bourges est l’événement le plus important pour la visibilité des artistes. A cela, il faut ajouter la centaine d’associations culturelles accompagnées par la mairie, sans compter celles qui ne se manifestent pas auprès de nous. La culture, c’est le pouls de la ville, son battement de cœur.
Bourges est célèbre à la fois par sa cathédrale et par le festival Le Printemps de Bourges. Comment articulez-vous héritage et modernité ?
Le lien entre patrimoine et création se fait naturellement. 450 maisons à pans de bois ont été préservées en centre-ville – un patrimoine impressionnant auquel il faut ajouter, bien sûr, le Palais Jacques Coeur, la Cathédrale… Il faut rappeler que la ville a été détruite par un incendie en 1487, puis reconstruite. Si on la considère souvent comme une ville médiévale, il s’agit en fait de la première ville Renaissance. Plus généralement, culture et patrimoine sont toujours mêlés, ce dont témoignera en particulier une saison d’événements culturels, de juin à septembre, organisée dans des lieux patrimoniaux. L’école de Beaux-Arts joue ici un rôle majeur.
On est à un an des prochaines élections municipales. Un premier bilan de mandat ?
Le contexte général est marqué par un cadre budgétaire très contraint, ici où la Ville a signé avec l’Etat le contrat plafonnant à 1,2% la hausse des dépenses de fonctionnement, mais aussi partout ailleurs. Pour autant, le budget de fonctionnement pour la culture a augmenté de 8% par rapport à 2018. Donc une volonté de persévérer, sachant que les charges les plus lourdes sont celles liées au Printemps de Bourges et à la Maison de la Culture/scène nationale. Il y a aussi la construction en cours d’une nouvelle Maison de la Culture dont l’ouverture est prévue fin 2020 et qui fera de Bourges la ville de la première maison de la culture du 20e siècle et de la première – sans doute dernière – du 21e siècle.
Nous soutenons le conservatoire à rayonnement départemental. Objectif prioritaire : promouvoir son action, mais aussi celle d’autres structures, hors-les-murs au travers de nombreux partenariats et coproductions. Le conservatoire jouit aujourd’hui d’une image plus “rock n’roll” qu’auparavant grâce à un effort important autour des musiques actuelles.
Cette volonté de “relooker” une structure existante s’est également appliquée à un autre festival des musiques actuelles, “Un été à Bourges” : cinq concerts gratuits par semaine, avec des artistes renommés. Un gros succès. La capacité à redynamiser, à apporter un second souffle constitue, à mon sens, une réussite de ce mandat.
Parmi les autres aspects positifs de notre action, je citerai la recréation d’un vrai lien avec les associations locales. Nous essayons d’être équitable. Si une initiative a un réel impact culturel pour la ville, il n’y a aucune raison de ne pas l’accompagner.
Est-ce difficile de défendre les enjeux culturels au sein du conseil municipal ?
Absolument pas. Que ce soit dans l’opposition ou pour la majorité, la culture fait la fierté des élus. Les projets sont accueillis avec attention et les décisions, toujours unanimes, le fruit d’une belle entente.
Quels freins rencontrez-vous ?
Ni de la part des politiques ni de celle de la population, toujours avide de culture.
Quelles sont vos priorités ?
Axe principal, l’art contemporain. Bourges organisait une biennale d’art contemporain un peu controversée. Nous y avons mis fin pour mettre en place un nouvel événement, plus fédérateur, en nous appuyant sur l’école des Beaux-Arts, la friche culturelle L’Antre-Peaux et un collectif gigantesque, avec un cahier des charges prévoyant des parcours d’art contemporain pour lequel nous bénéficions d’un partenariat avec Agglobus. L’action de médiation a été placée au cœur du projet.
Toujours sur ce même axe, nous avons repris l’idée du “Mur” mis à disposition pour les grapheurs telle que développée à Paris, avec le “Mur de Bourges”, sur l’une des façades de la Maison de la Culture : dix-huit œuvres sont prévues sur trois ans. Donc une démarche d’art urbain qui permet de préparer la population à ce type d’expression artistique.
Avez-vous mis en place une concertation dans le cadre d’un Schéma d’orientation pour les arts visuels (Sodavi)…
Ce n’est pas ainsi formalisé. Mais nous avons créé, il y a deux ans, les “Concertations culturelles de Bourges” dont le principe consiste à réunir des représentants politiques et des techniciens de la Ville, du Département, de la Région et de la DRAC. Ces réunions permettent non seulement d’aborder tous les sujets culturels mais aussi de prendre de véritables décisions. C’est passionnant, car les langues se délient et, au final, des budgets partagés sont adoptés.
La ville de Bourges – il n’y a là aucun chauvinisme – me donne la chair de poule. Il y a “un truc”, une énergie… C’est un honneur d’y assumer le mandat à la culture.
Les ressources culturelles de Bourges ?
Il revient aux élus d’accompagner les compétences et les ressources existantes. Il y a bien sûr les mastodontes comme le Printemps de Bourges, la Maison de la Culture, la friche culturelle L’Antre-Peaux. Mais aussi tout le tissu associatif qui œuvre sur l’intégralité du spectre culturel. Les ressources sont là, sous nos yeux, dont les équipements culturels et en particulier la bibliothèque patrimoniale dont les trésors impressionnants suffiraient à monter bien des expositions. Alors que bien souvent les politiques veulent réinventer, à mon sens l’essentiel est de faire un état des lieux, de dépoussiérer, de raviver les couleurs. Tous ces acteurs portent une multitude de couleurs…
A Bourges, la délégation à la culture semble particulièrement dense…
C’est en effet un beau poste d’adjoint à la culture. J’ai beaucoup voyagé, mais je suis toujours revenu à Bourges. Cette ville – il n’y a là aucun chauvinisme – me donne la chair de poule. Il y a “un truc”, une énergie… C’est un honneur d’y assumer le mandat à la culture. Bien sûr, un élu est un peu comme un intermittent du spectacle. Mais peu importe, l’essentiel est de pouvoir contribuer, pouvoir faire.
Bourges est engagée dans le programme Action Cœur de Ville. Quel rôle y tient la culture ?
La dimension culturelle a immédiatement été greffée sur le programme Action Cœur de Ville. Je crois qu’il s’agit de la ville où la culture et le patrimoine sont le plus étroitement associés. Nous avons vite compris l’importance de l’enjeu de revitalisation du centre-ville et de sa relation avec les quartiers périphériques, récemment réhabilités. Et en effet, l’approche en transversalité, hors d’une vision sectorielle, s’avère particulièrement dense, avec notamment pour conséquence positive une revalorisation de travail des agents municipaux. Une toile d’araignée est en train de se tisser.
Les liens avec les acteurs privés de la culture (librairies, cinémas, galeries…) ?
Bien sûr. Nous bénéficions d’une part du partenariat avec de grandes entreprises, comme la SA Olivier Monin [une entreprise berruyère historique], mécène non négligeable de la Maison de la Culture ; mais nous sommes également en lien avec des librairies, dont l’une spécialisée sur la BD et qui organise un important festival, le “BulleBerry”. Là encore apparaît la richesse culturelle de Bourges, avec plus d’une dizaine de gros événements culturels. Oui, cette ville est particulière !
Quels sont vos liens avec le conseil régional ? Avec le Département, la DRAC ?
Les relations sont excellentes avec la Région, avec une écoute très attentive, que ce soit de la part de la vice-présidente culture Agnès Sinsoulier-Bigot ou du président François Bonneau, toujours très disponible. Nous construisons ensemble, notamment dans le cadre du projet Renaissance, pour lequel l’apport de Bourges est régulièrement cité, car nous avons su fédérer un grand nombre d’acteurs à la fois culturels, associatifs et scolaires. La Région en est restée pour ainsi dire “scotchée”…
Cette relation, très étroite, s’établie par-delà les clivages politiques, ce qui est très agréable. D’ailleurs, je ne pense pas que je pourrais être adjoint à la culture s’il n’en était pas ainsi. La perspective de blocages d’ordre politique serait en effet pour moi très compliquée. Heureusement il n’en est rien. Et les rapports sont également excellents tant avec le Département et la DRAC. On est dans la bienveillance.
Droits culturels, participation, dialogue interculturel… Ces idées nouvelles sont-elles pour vous source d’inspiration ?
Voilà tout l’enjeu de notre société. Malraux a montré le chemin, mais le monde évolue. Aujourd’hui, une politique culturelle doit intégrer la dimension éducative, d’où notre volonté d’une délocalisation généralisée. Nous nous devons à cet enjeu de proximité afin de redonner aux jeunes – surtout à l’ère numérique –, l’envie de lire, de faire de la musique. C’est ainsi que le conservatoire a ouvert des antennes dans les quartiers pour les premières années d’apprentissage. Il est maintenant partout dans la ville. Tout doucement, cela change la donne en contribuant à ce que le lien avec la culture devienne naturel. Une telle approche doit concerner les jeunes dès le plus jeune âge. Nous avons ainsi proposé des “défis lecture” dans les maternelles et les écoles élémentaires, avec des rencontres d’auteurs.
Que vous apporte la FNCC ?
La démarche de la FNCC m’apparaît très positive. Paradoxalement, cette fédération politique met la question politique au second plan. Priment alors la bienveillance et l’envie de faire. Les élus sont de tout bord, mais une passion commune les anime, ce qui crée une véritable interaction, un partage. Un apport éminemment constructif. Les échanges apportent beaucoup de clefs et chaque collectivité peut y trouver des pistes de solution. Par ailleurs il est essentiel que les politiques culturelles et, au-delà, la culture en elle-même, aient un porte-voix.
Propos recueillis par Vincent Rouillon