A la différence de la musique, filière dont la diffusion numérique a totalement bouleversé des habitudes d’écoute et donc les équilibres économiques, le livre semble encore assez imperméable – excepté pour la vente en ligne – à la mutation digitale. La part de ventes de e-book reste bien peu signifiante. Ou du moins le restait…
La crise sanitaire, avec ses confinements successifs et les restrictions d’ouverture ou de fréquentation physique des librairies, a-t-elle décisivement fait entrer le livre et la lecture dans l’ère numérique ? Si tel était le cas, ce bouleversement ne toucherait pas seulement les auteurs et les éditeurs mais aussi les bibliothèques publiques et les librairies indépendantes. Il entraînerait de surcroît de profonds changements du point de vue même de la création littéraire, à travers un double phénomène :
- la désintermédiation, c’est-à-dire un accès direct des auteurs, “libérés” des filtres de l’édition et des lieux de diffusion, au public, notamment via la facilité de l’autoédition numérique,
- la captation et éventuelle censure des titres disponibles, les lecteurs sur liseuses ou applications devenant tributaires des catalogues auxquels les connectent leur terminal.
Certes, en France, le livre imprimé représente “encore” 95% du marché (chiffres du ministère de la Culture). Mais la crise sanitaire n’a-t-elle pas sonné le départ d’une croissance durable du livre numérique ?
Une question/réponse parlementaire entre le sénateur (UC) de Moselle Jean-Marie Mizzon et la ministre de la Culture fournit un certain nombre de chiffres qui méritent attention.
Dès juin 2020, le sénateur note que la conjonction de la nouvelle technologie du livre numérique et de la pandémie du Covid-19 « ont entraîné bien des bouleversements dans les habitudes des Français quant à la lecture ».
- En 2020, on compte 1 557 éditeurs en numérique et 328 965 titres disponibles à la vente (chiffres du Syndicat national de l’édition/SNE).
- En 2018, la vente de littérature en numérique représentait déjà 13% des ventes de ce secteur (le SNE donne comme chiffre global de l’édition numérique en 2020 +13,5% par rapport à 2019, avec une proportion de 10,1% des ventes totales).
« C’est sans conteste un marché en augmentation régulière qui vient de connaître un bond surprenant durant l’épidémie du coronavirus », constate le sénateur :
- le nombre de téléchargements et les ventes a été multiplié par 7,
- le nombre d’e-books commandés a été multiplié par 15,
- la lecture sur ordinateur a été multipliée par 3,
- les plateformes de vente de livres numériques enregistrent des hausses d’activité de 75% à 200%.
Jean-Marie Mizzon constate ainsi « un véritable plébiscite pour les e-books en accès gratuit mais aussi une demande du prêt numérique auquel les bibliothèques peinent à faire face ». Il demande en conséquence à la ministre de la Culture « comment la politique menée dans ce secteur d’importance pour notre pays tant au plan culturel qu’économique pourrait utilement être corrigée ».
En réponse (29/09), Roselyne Bachot reconnaît que « les contraintes et les obligations imposées par la crise sanitaire ont en effet favorisé une augmentation au moins temporaire des ventes et des prêts de livres numériques ». Elle rappelle toutefois le caractère marginale de la vente de livres numériques et fait valoir l’adoption, en 2011, d’une loi sur le prix unique du livre numérique. Plus globalement, elle cite les multiples mesures d’accompagnement de l’ensemble des acteurs de la filière livre prises par le Gouvernement pour l’aider à faire face à la crise sanitaire. « L’action publique aura permis au secteur du livre de traverser avec le moins de dégâts possible la crise sanitaire. » « Puisse l’avenir vous donner raison », conclut le sénateur.