Située dans le Val d’Oise, à 30 km de Paris et proche de Roissy et de son aéroport, Auvers-sur-Oise (7 000 habitants), terre de l’Impressionnisme, reçoit jusqu’à 300 000 visiteurs par an, venus du monde entier. Pour autant, partie prenante du Parc naturel régional du Vexin, cette visibilité internationale se conjugue avec le caractère très rurale de la communauté de communes Sausseron-Impressionnistes (dont la Ville ne fait partie que depuis trois ans), essentiellement composée de petites communes, et caractérisée par la très faible densité d’équipements culturels.
Sylvie JACQUEMIN, maire-adjointe déléguée à la culture et au tourisme, expose la nature foncièrement culturelle du tourisme à Auvers-sur-Oise et son apport considérable pour le développement de la ville, mais aussi l’attention prioritaire que la municipalité porte aux attentes et à la participation des habitants à la vie culturelle. Elle décrit également le projet de la future médiathèque, équipement central qui ouvrira à l’automne prochain.
Quelles sont les caractéristiques – démographiques, géographiques, politiques, historiques – d’Auvers-sur-Oise ?
Démographiquement, le territoire se caractérise par une grande diversité de population. Composée de quinze communes et villages (le plus petit ne compte que 91 habitants), l’intercommunalité compte moins de 20 000 habitants. D’un point de vue géographique, il est important de savoir qu’Auvers se situe sur la rive droite de l’Oise, rivière qui joue un rôle de réelle frontière : sur la rive gauche, on est en banlieue parisienne, sur la droite à la campagne. Le dépaysement est immédiat.
Politiquement, la municipalité a été socialiste pendant un quart de siècle, jusqu’en 2009. En 2014, Isabelle Mézières, qui était élue à la culture dans son précédent mandat, est devenue maire, sans étiquette. Il faut ajouter que le Département comme la Région sont également dirigés par des femmes – ce qui change bien des choses.
Enfin, pour ce qui est de l’histoire, le village d’Auvers date de la période mérovingienne, au 9e siècle. Mais sa visibilité n’apparaît qu’au 19e grâce à l’arrivée du train et à la venue des peintres, du pré-impressionniste Corot jusqu’à Cézanne, Pissarro et bien sûr, Van Gogh – un mythe, une “star”.
Quel sens général donnez-vous aux enjeux culturels sur ce territoire à la fois rural, proche de Paris et très touristique ?
Construire une politique culturelle pour une population plurielle tout en prenant en compte un très fort attrait touristique relève d’une gageure. Il faut dresser des priorités, la première étant de servir les habitants – nous sommes élus pour cela –, lesquels sont de plus en plus d’origine “citadine” : ils attendent les mêmes services, notamment en matière culturelle, que les habitants des grandes villes. Nous tentons d’y répondre, bien qu’Auvers ne dispose pas des équipements d’une ville moyenne.
Les moyens financiers manquent aussi pour satisfaire les touristes. D’où un rapprochement avec L’Isle-Adam et Pontoise, deux villes de culture impressionniste, également situées sur le bord de l’Oise. Nous venons d’ailleurs tout juste de signer une lettre d’intention pour un “Contrat régional de destination” avec le Département et la Région (il sera finalisé en juin). Sa teneur sera aussi culturelle, car ici on ne peut dissocier tourisme et culture. De ce point de vue, aménager c’est bien mais non suffisant : il faut créer des événements, des parcours – le tourisme fluvial en est une dimension importante – pour que les visiteurs restent plusieurs nuitées, condition d’un véritable impact sur le développement économique du territoire.
Vous venez d’inaugurer votre médiathèque. Se donnera-t-elle une spécialité ?
Elle ouvrira à l’automne et sa spécialité sera évidemment l’Impressionnisme, du pré au post-Impressionnisme. Il semble qu’aucune autre bibliothèque ne soit centrée sur les Impressionnistes. Par ailleurs, ce choix s’imposait d’autant plus que la médiathèque se situe à 20 mètres de l’Office de tourisme en cœur de ville. Afin d’en faire un passage obligé entre les visiteurs et les habitants, nous avons confié à un chercheur de l’Université de Paris-
Nanterre le soin de construire ce fonds spécialisé.
Genèse de ce projet : comment s’est prise la décision ?
La création d’une médiathèque était un engagement de la campagne électorale, donc un choix qui relève d’une évidence pour tous les élus, que ce soit celles et ceux en charge de la culture, du scolaire, du social ou de la vie associative. Et bien sûr avec le plein appui du maire.
Quels moyens ont-ils été alloués par la mairie ?
Le budget d’investissement comprend la rénovation du bâtiment (une ancienne école), l’achat de fonds documentaires, d’équipements mobiliers et numériques. Ici, l’apport de l’Etat, via la DGD [Dotation générale de décentralisation] a été véritablement significatif, puisqu’il s’est élevé – ajouté aux financements de la Région Ile-de-France et du Département du Val d’Oise – à 80% des dépenses, la Ville prenant le reste à sa charge.
Pour le fonctionnement, nous avons également bénéficié de l’aide de l’Etat dans le cadre du “plan bibliothèques” mis en place après la mission Orsenna. Là encore, c’est 80% du budget, avec un financement des postes garanti sur cinq ans. Sans le soutien du ministère et de la DRAC Ile-de-France, le projet n’aurait pas pu voir le jour… Il faut ajouter qu’il ressort des études du ministère que le Val d’Oise, et en particulier ses zones rurales représentant 70% du territoire, dispose de très peu d’équipements culturels. Donc une priorité aussi pour la DRAC IDF.
Outre la spécialité de l’Impressionnisme, quelles missions seront-elles dévolues à la médiathèque ? Quels seront ses partenariats ?
Nous nous sommes directement inspirés du rapport Orsenna, via notamment une approche participative, avec la création d’un groupe de travail réunissant une vingtaine d’habitants pendant la phase d’expérimentation : les missions évolueront en fonction de ses retours.
Telle que située – près du musée municipal, du bouquiniste La Caverne aux livres, d’une librairie indépendante, mais aussi d’une crêche et d’un centre de la Protection maternelle et infantile –, et en regard d’une très forte attente du tissu associatif, elle sera au cœur d’un véritable réseau. Le lien avec les écoles et le collège sera aussi central. La convivialité a été placée au cœur du projet, avec un espace numérique pour les jeunes et les moins jeunes afin de lutter contre l’exclusion numérique sachant que l’e-administration tend à devenir la règle, une ludothèque pour les petits mais aussi un espace de rencontre pour rompre l’isolement des seniors. En plus de l’espace bibliothèque, une cafétéria et une terrasse prendront place. Donc une médiathèque “3e lieu” : un lieu de vie.
Nous travaillons toujours en lien avec les associations et les habitants bénévoles. Ils s’impliquent spontanément. Une chance incroyable !
Quels sont les autres atouts culturels d’Auvers-sur-Oise ? Les manques ?
Auvers bénéficie d’une vie associative dense et dynamique, avec des spectacles de théâtre en amateur, de musique ou de danse accueillis dans la salle polyvalente. La nouvelle médiathèque, qui comportera une salle de 200 places, constituera un apport considérable, avec des concerts de musique acoustique, des conférences et des projections de films (il n’y a pas de cinéma à Auvers).
Pour autant, si les arts plastiques sont bien représentés, il n’en va pas de même pour le spectacle vivant. Nous ne disposons d’aucun lieu dédié ou labellisé et donc d’aucune aide, puisque les soutiens sont associés aux équipements. Je me suis rapprochée de la scène nationale, à Cergy-Pontoise – son cahier des charges comporte en effet des missions hors-les-murs –, pour construire un partenariat entre elle, la Ville et le Château d’Auvers, que gère le Département. Ainsi, un événement sera produit dans le musée municipal, puis empruntera la rue et se terminera au château. Mais cela reste compliqué.
Ressentez-vous ce que certains appellent la “solitude de l’élu à la culture” ? Est-ce difficile d’obtenir l’adhésion des autres élus ? Bénéficiez-vous d’un soutien fort du maire ?
Huit adjoints ainsi que le maire s’engagent sur les enjeux culturels, en lien avec les acteurs culturels, le monde associatif, les scolaires mais aussi les services sociaux. Quant à un sentiment de “solitude de l’élu à la culture”, non, je ne le ressens pas. Toutefois je m’aperçois qu’entre élus à la culture, nous avons un peu notre jargon et qu’il sonne parfois comme une langue étrangère auprès des autres élus. Pour autant – et j’insiste sur ce point – tout le monde sait bien que si nous parvenons à obtenir certaines aides c’est parce qu’Auvers est l’une des vitrines culturelles du pays, une sorte de showroom culturel, avec un important tourisme international et familial.
Les notions de droits culturels, de participation ou de diversité sont-elles des sources d’inspiration de votre politique ?
Voilà l’essence même de notre politique culturelle. Nous sommes là pour servir la population et répondre à ses attentes. Certes chaque projet n’intéresse pas forcément tout le monde, mais nous essayons que l’ensemble des actions conduisent tous les habitants à partager et à vivre les projets culturels. Par exemple, un important travail de médiation accompagne toujours les expositions, en particulier auprès de l’ensemble des scolaires. Il en va de même pour la galerie municipale d’art contemporain pour laquelle nous pratiquons la gratuité. Ou encore pour l’événement “Art au jardin” qui mobilise une cinquantaine d’artistes et associe une vingtaine de familles exposant des œuvres dans leurs propres jardins. Même approche encore pour “Auvers Noir”, un festival autour du roman noir, avec des ateliers d’écriture dans les écoles et prochainement dans la médiathèque. De manière générale, nous travaillons toujours en lien avec les associations et les habitants bénévoles. Ils s’impliquent spontanément. Une chance incroyable !
Auvers-sur-Oise est adhérente depuis longtemps à la FNCC. Vous faites partie du Bureau. Que vous apporte la Fédération ?
La Fédération m’apporte énormément. Il s’agit de mon premier mandat, et même si je viens du milieu culturel, j’y ai acquis une vision plus globale de la culture. A la FNCC, on parle de tout, des dispositifs, des lois… Les formations et le partage d’expériences s’avèrent également très précieux. Enfin, j’apprécie surtout cette sensation que, même si leurs sensibilités politiques diffèrent, tous les élus de la FNCC sont des militants pour la culture. Donc une vocation, et c’est cela qui m’intéresse : la volonté de faire rayonner la culture et la conscience qu’elle est au cœur de la politique de la cité.
Propos recueillis par Vincent Rouillon