Angoulême, c’est évidemment la capitale mondiale de la bande dessinée. Mais aussi de l’innovation dans le domaine de l’image et des technologies numériques les plus avancées. C’est encore la cité de naissance de Marguerite de Navarre, une ville dont l’histoire se confond avec celle de la France. Située au cœur de la Nouvelle Aquitaine, peuplée de 42 000 habitants, Angoulême a fait de la culture son identité et la mairie de la politique culturelle sa priorité. Gérard Lefèvre, ancien directeur de la Scène nationale, en est aujourd’hui l’adjoint à la culture. Bien décidé à mettre sa connaissance intime et professionnelle des enjeux culturels au service d’une relation aussi étroite que possible entre les artistes et les habitants.
Le mandat à la culture est-il votre choix ?
Je suis issu du réseau de l’art et de la culture, plus particulièrement du spectacle vivant. J’ai travaillé tout d’abord, à partir de 1980, au Centre dramatique national de Reims, puis pris la direction, en 1990, de la Comédie de Picardie à Amiens. Des fonctions dans lesquelles je me suis largement consacré à la fois à la production et à la diffusion, nationale ou régionale – avec un bus-théâtre, une péniche, des chapiteaux ou chez l’habitant, dans un état esprit empreint de l’éducation populaire et des questionnements de ma génération sur la place de l’art dans la société.
Enfin j’ai été nommé à la direction de la scène nationale d’Angoulême en 2006, avec toujours une approche très vilarienne des “œuvres les plus hautes pour les publics les plus larges”. A la retraite en janvier 2020, j’ai rejoint l’équipe du maire sortant, et réélu au premier tour, Xavier Bonnefont. Il m’a proposé la délégation à la culture, ce que j’ai accepté avec plaisir ayant toujours aimé la chose publique et pris part activement à cette dernière tout au long de ma carrière : création des scènes conventionnées ou du SNSP, charte des missions de service public, lois de décentralisation, association des scènes nationales et autres endroits.
Le choix du maire est donc celui d’un professionnel…
Peu de villes de 42 000 habitants portent un engagement artistique et culturel aussi exceptionnel qu’Angoulême. J’ai lieu de penser que Xavier Bonnefont a estimé qu’avoir participé durant 13 ans à la politique culturelle de la ville était un atout et que ma connaissance du milieu permettait de gagner du temps pour l’action attendue.
Donc un signe de confiance aux artistes…
Je le pense et l’espère. Oser, proposer, inventer, ne pas se dire d’emblée qu’une idée est impossible à mettre en œuvre ont toujours constitué mon credo. Les choses peuvent être compliquées, mais j’ai acquis une certaine agilité au fil des années passés : faire, défaire, refaire sans cesse. Et construire, avancer. « La mer, la mer, toujours recommencée », n’est-ce pas… donc, oui c’est une manière d’afficher une confiance vis-à-vis des artistes et des porteurs de projets artistiques et culturels dans une ville dont c’est l’ADN et au bénéfice de toutes et tous.
Quelles sont les particularités de votre territoire ?
Angoulême est une ville d’art et d’histoire. Marguerite de Navarre y est née. Pensez aussi au vélin d’Angoulême et à l’exceptionnelle industrie papetière du territoire, au Festival de la BD et à la présence de nombreuses autrices et auteurs. La bande dessinée, l’image, ont généré une explosion de studios d’animation et d’écoles de grande renommée ou du pôle image Magelis. Particularité à laquelle il faut ajouter plusieurs établissements artistiques et culturels nationaux, de nombreux festivals, des musées, des médiathèques et des équipements de proximité. Faut-il citer encore la récente reconnaissance de ville créative par l’Unesco ? Angoulême et son territoire témoignent à la fois d’un riche passé et portent haut le regard vers l’avenir. C’est très exaltant !
Y a-t-il une attention spécifique aux liens avec les scolaires ?
Absolument, et c’est capital. Nous avons un dispositif d’EAC, “Bulles de culture”, qui garantit à tous les enfants des écoles primaires d’Angoulême de vivre au cours de leur année scolaire un rapport à une œuvre et d’assister à un spectacle. Tous les étés, nous avons le programme “Les Beaux Jours”, avec des manifestations dans l’espace public de la mi-juillet à fin août, mais aussi des ateliers pour les enfants ainsi qu’en période hivernale avec un programme d’animations dans la ville…
Quelle est la fonction d’une politique culturelle dans un projet politique municipal ?
Une politique culturelle ne peut pas être accessoire. Elle doit avoir une ambition, clairement portée, des moyens, de fonctionnement comme d’investissement. Le tout dans le contexte que nous traversons et d’une économie globale nécessairement contrainte. La culture est en bonne place dans le budget de la ville, aux côtés des grands enjeux que les collectivités ont à affronter.
Mais l’engagement va au-delà d’un seul budget. Il nous faut, et c’est le vœu partagé par l’équipe municipale, travailler au plus près de la réalité territoriale et travailler mieux ou autrement entre nous, notamment en transversalité, dans l’échange et la complémentarité. La culture, le social, la vie quotidienne, le commerce, l’économie, et autres champs, tout va de pair.
C’est pour moi une préoccupation constante : faisons-nous tout pour que ce que nous proposons rencontre la population la plus large ? L’argent public est-il bien toujours destiné à toutes et à tous ?
Quelles sont les principales lignes de force de votre projet culturel ?
Du côté des artistes, des compagnies ou des établissements, l’écoute, la bienveillance, et du côté de nos concitoyennes et concitoyens la recherche constante, farouche et déterminée de l’accessibilité en tous lieux et toutes circonstances.
C’est pour moi une préoccupation constante et antérieure à mes responsabilités actuelles : faisons-nous tout pour que ce que nous proposons rencontre la population la plus large ? L’argent public est-il bien toujours destiné à toutes et à tous ? Ce qui conduit à la question aujourd’hui énoncée sous le vocable des droits culturels qui, si nous n’en faisons pas un mantra, rejoint ce qu’on appelait dans les années post 70 la recherche du “non public” puis des ”nouveaux publics” ou la démocratisation culturelle. Il s’agit pour moi d’un engagement citoyen, républicain très fort. C’est ma feuille de route. Mon engagement profond.
Une jolie formule de l’Unesco dit : « La culture émane de la société tout entière et c’est à elle qu’elle doit retourner »…
Je souscris entièrement à cette formule à laquelle j’en ajouterais volontiers une autre : chercher ce qui nous réunit plutôt qu’exacerber ce qui nous divise. Ce qui n’est pas toujours aisé…
Accordez-vous une place et/ou fonction particulière aux arts dans l’espace public ?
Angoulême dispose d’un espace public dans lequel les places et les rues anciennes sont nombreuses et diverses, Nous avons construit un “Plan Places”, avec l’idée de reconquérir l’espace public en se posant les questions de leur renaturation et de leur disponibilité pour flâner, lire, discuter… Quelque chose de l’agora où l’on se rencontre, où l’on se parle, où les gens se retrouvent, prennent un verre, déjeunent, dînent. S’il fallait théoriser ce rapport à l’espace public, je parlerais d’une dialectique du dehors/dedans, ce qui rejoint la question du hors-le-murs. Comment organiser des spectacles ici et là dans la ville et/ou au plus près des habitant(e)s ?
Les atouts culturels d’Angoulême sont innombrables. Peut-être une faiblesse ?
Je ne vais pas vous étonner ni être très original en évoquant les moyens financiers nécessaires pour mener au mieux toute politique. Inévitable, hélas, principe de réalité…
Menez-vous des politiques participatives ?
Oui. Nous avons mis en place un budget participatif de 250 000€ pour des initiatives qui, dans tous les domaines, ont un projet d’investissement et d’intérêt général, dont la culture bien entendu.
Quels sont vos rapports avec l’intercommunalité, le Département, la Région ?
Le vice-président à la culture du Grand Angoulême est conseiller délégué pour l’Unesco et la francophonie. Je suis conseiller communautaire et comme tel dans nombre d’instances de l’Agglomération. La fluidité ville-agglomération est d’autant plus aisée que le maire préside le GrandAngoulême depuis ce mandat. Quant aux relations avec le Département et la Région, elles sont très bonnes.
Estimez-vous qu’il manque des espaces de concertation entre collectivités ?
Il faut sans doute constamment progresser dans nos concertations. C’est une nécessité. La mise en œuvre de ce vœu n’est pas toujours simple, pour diverses raisons, au-delà des souhaits et des envies.
La crise sanitaire a-t-elle, au-delà de sa dureté, des effets positifs ?
La crise a posé plus clairement la question de la raison d’être, de l’utilité d’une vie artistique et de sa mise en relation avec les hommes et les femmes de ce pays. Elle a amené à une réflexion à la fois sur les artistes et sur celles et ceux auxquels ils ne peuvent plus s’adresser. D’autres modalités ont été imaginées – ou retrouvées – dans l’usage de l’espace public ou des démarches de proximité. Mais ne confondons pas non plus un pis-aller avec une stratégie. Nous serons heureux quand les établissements culturels ouvriront leurs portes.
Vous entrez au Bureau FNCC. Quelles sont vos attentes vis-à-vis de la Fédération ?
La Fédération est un creuset, il y a des grandes et des petites villes, des départements et des régions. La Fédération est un lieu pluriel, dans les aspirations des uns et des autres, dans la diversité des engagements. Cela rejoint ce que j’aime dans la vie : chacun arrive avec ce qu’il est, son histoire, sa personnalité, et trouve ce qu’il va pouvoir faire et dire avec l’autre. J’ai très envie de m’engager activement dans le travail et les débats de la Fédération et de partager cet endroit d’écoute, de partage, d’inspiration et de rencontre.
Propos recueillis par Vincent Rouillon