Lors de son audition par la commission culture du Sénat, le 31 octobre, le ministre de la Culture a exposé les grandes lignes du budget Culture pour 2020. Parmi les axes qui le structurent – la démocratisation de l’accès à la culture, l’attractivité des territoires, la souveraineté culturelle et l’accompagnement des artistes au plus près de leurs besoins –, celui de la “souveraineté culturelle” a été l’occasion de propos d’une grande détermination.
La notion de “souveraineté culturelle” constitue une nouveauté dans le discours des politiques culturelles. On parlait précédemment de “rayonnement” ou d’influence culturelle, en prônant le soutien au cinéma français, l’atout de la francophonie… Par la suite, au moment de l’adoption de la Déclaration de l’Unesco pour la préservation et la promotion de la diversité des expressions culturelles, en 2005, la notion “d’exception culturelle” s’est imposée quant aux relations culturelles internationales, avec l’idée que les biens culturels ne sont pas des biens de consommation comme les autres et que les aides publiques sont ici légitimes.
Un combat “d’une violence extrême”. Avec la notion de “souveraineté culturelle”, un pas offensif vient d’être franchi. La culture relève désormais d’un « combat majeur » que Franck Riester a dit être « d’une violence extrême ». Les ennemis sont « des acteurs anglo-saxons, chinois ou autres ». C’est un combat national et européen dont le champ de bataille est le numérique et les industries culturelles. Pour le mener, précise le ministre, « nous devons avoir une stratégie, une détermination et des moyens importants ». Avec deux objectifs : d’une part accompagner financièrement – par des prêts, le maintien du principe des taxes affectées et des crédits d’impôts – les entreprises culturelles afin de susciter des « champions nationaux » dans les domaines de la télévision, du cinéma et de l’édition (à quoi s’ajoute le domaine de la musique, d’où la création du Centre national de la musique) et, d’autre part, défendre le respect des droits : droit d’auteur, droit voisin mais aussi droit de percevoir des impôts de la part des géants du numérique.
Franck Riester se félicite que la France soit à l’avant-garde de ce combat. « La France a été l’un des premiers pays à transposer la directive sur les droits d’auteurs [adoptée par l’UE le 26 mars, cf.la Lettre d’Echanges n°171] et à instaurer un droit voisin. Elle a bousculé les GAFA – Google, Amazon, Facebook, Apple –, dont la réaction est inacceptable. » Une allusion précise à Google, qui a refusé, le 25 septembre, de s’acquitter des droits voisins pour la reprise de contenus de presse. Mais le champ de bataille est plus vaste : « Cela vaut non seulement pour la presse, mais pour tous les autres secteurs culturels. Il nous faut gagner cette bataille de la souveraineté culturelle. »
Un enjeu de civilisation. La souveraineté culturelle n’est pas seulement un enjeu culturel ; c’est un enjeu de civilisation qui passe, notamment, par la culture. « Google pose un enjeu démocratique majeur. » Et la menace est planétaire : « Une entreprise privée, qu’elle vienne de la côte ouest-américaine, de Chine ou même d’Europe, ne peut pas imposer sa vision de l’organisation de la société à des Etats souverains. Que des partenariats se développent, très bien ! Mais qu’on respecte d’abord la loi. »
La souveraineté culturelle c’est aussi « créer l’écosystème le plus efficace pour que les entreprises se développent et que la création soit libre ». Donc allier puissance commerciale et valeurs éthiques : « une question d’équité et de neutralité économique entre les acteurs historiques nationaux et les nouveaux acteurs internationaux du numérique ».
C’est aussi allier l’invention artistique et l’invention de ses nouveaux modèles économiques. Dans le projet de loi “relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère du numérique” (présenté en décembre 2019), « l’enjeu n’est pas de s’adapter à des contraintes extérieures, mais d’inventer un nouveau modèle, fort des principes et des valeurs qui ont permis, depuis des décennies, notre exception culturelle ». Non seulement résister mais être à l’offensive.
Du rayonnement à la souveraineté culturelle. Les précédents budgets du ministère de la Culture utilisaient à maintes reprises le terme de “rayonnement”, jamais celui de “souveraineté”. En 2018, il fallait « renforcer le rayonnement de la France et de ses artistes » ou encore « consolider une véritable culture architecturale et urbaine de rayonnement national et international ». En 2019, il s’agissait aussi du « rayonnement national et international des établissements publics » placés sous la tutelle du ministère, du « rayonnement international de la filière musicale » ou encore de s’assurer que l’Agence France-Presse « participe au rayonnement de la France ».
En 2020, le rayonnement reste mentionné, mais il semble davantage associé aux territoires. Ainsi, le renforcement des moyens pour les résidences artistiques, « en particulier dans les territoires où l’offre culturelle permanente est réduite » contribuera au rayonnement national et international de ces réseaux d’artistes. Autre occurrence, la création d’une Cité internationale de la langue française au château de Villers-Cotterêts sera bénéfique « au rayonnement international de ce territoire ».
La souveraineté culturelle, née en 2020 – qui n’est pas territoriale mais nationale, d’où son association première aux industries culturelles par nature “dé-territorialisées” – est issue non pas des opportunités qu’offre la transformation numérique mais des dangers qu’elle recèle. La culture n’est désormais plus seulement une activité pacifique ; c’est aussi un champ de bataille mondialisé contre des “ennemis” eux aussi mondialisés.