Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a adopté (mai 2019) à la quasi-unanimité le rapport “L’éducation populaire, une exigence du 21e siècle”, présenté au nom de la Section de l’éducation, de la culture et de la communication. Pour ses auteurs, face à la crise sociale et environnementale, mais aussi en regard du besoin de participation citoyenne et d’action de proximité, une plus grande reconnaissance des acteurs de l’éducation populaire s’impose.
Le travail du CESE sur l’éducation populaire met à jour, en un domaine où les études manquent, la profondeur et la diversité d’une manière de penser, d’instruire et de transmettre la connaissance en tant que vecteur d’émancipation et facteur de vivre-ensemble. C’est une très vieille histoire, puisque les origines de l’éducation populaire se confondent avec la naissance de la République et son essor avec la mise en place de l’instruction pour tous, portée par Condorcet dès la fin du 18e siècle (encadré pages suivantes), puis aux moments du Front populaire et de la Libération. Le rapport est, sur cet aspect historique, d’une remarquable précision, rappelant notamment, selon la formule de l’historienne Françoise Tétard, que « l’éducation populaire est née plusieurs fois ». Assistera-t-on encore à sa renaissance ?
« Bien loin d’être un vestige d’un passé désuet, l’éducation populaire est un outil d’une surprenante modernité », déclare Gérard Aschieri, personne qualifiée au sein du CESE. En quoi est-elle tant d’actualité ? Et tout d’abord qu’est-ce que l’éducation populaire ?
Six constantes. On sait combien sont nombreuses et diverses les associations “d’éduc pop”. Qu’y a-t-il de commun entre Peuple et Culture, les comités d’entreprise, les MJC, Attac, le scoutisme, etc. ? Le CESE s’en tient à distinguer six « constantes » propres à l’éducation populaire :
- la finalité transformatrice de la société,
- l’objectif de contribuer à l’émancipation individuelle et collective,
- l’attachement à une pédagogie active reposant sur le principe que chaque personne est porteuse de savoirs, tous étant sachants et apprenants,
- la reconnaissance du droit à l’expérimentation, au “tâtonnement” dans son rôle de laboratoire de l’innovation sociale,
- le portage des actions par des structures à but non lucratif,
- l’attachement au développement de la qualité de vie sur les territoires.
Le CESE sous les feux de l’actualité. En quoi l’éducation populaire serait-elle une « exigence du 21e siècle » ? Tout d’abord, le CESE en lui-même relève de l’actualité puisque sa transformation en “Chambre de la société civile” et son augmentation d’un contingent de 150 citoyens tirés au sort (dès ce mois de juin) sont inscrites dans le projet de réforme de la Constitution. Et ce, avec des prérogatives élargies : « éclairer les pouvoirs publics sur les enjeux économiques, sociaux et environnementaux », « accueillir et traiter les pétitions dans un cadre rénové » et surtout être systématiquement et de manière obligatoire « saisie des projets de loi ayant un objet économique, social ou environnemental » (exposé des motifs). Ce renforcement du CESE est donc aussi un renforcement de l’éducation populaire, puisque cette assemblée met en œuvre l’un de ses principes fondamentaux : une plus grande participation citoyenne.
Une réponse à la crise des « gilets jaunes ». Mais c’est avant tout la crise sociale qui imposerait le retour de l’éducation populaire. Le rapport du CESE s’ouvre en effet par une référence à la “crise des gilets jaunes” : « Cet avis s’écrit dans une actualité particulière, celle d’une exigence exprimée par nos concitoyennes et concitoyens : être écouté, pouvoir participer et peser dans les décisions locales comme nationales, être acteur ou actrice de son propre destin comme celui du destin collectif. » Il cite également “Nuit debout”, les “Zones à défendre” (ZAD), les lanceurs d’alerte, la pétition sur le climat “l’Affaire du siècle”… De ce point de vue d’une démocratie plus participative, faite d’écoute et de reconnaissance de chacun, l’éducation populaire bénéficie de fait d’une expertise longue de plusieurs siècles.
Plus encore, l’éducation populaire répondrait aussi à l’impératif écologique, au besoin de proximité, aux inquiétudes devant la montée des communautarismes, En somme, quand rien ne va plus on pense à elle ; et on a tendance à l’oublier quand le contexte s’améliore. « Trop souvent, elle est évoquée lors de grandes crises sociales comme remède à ce qui n’a pas été mis en œuvre… avant ! C’est quand le manque, voire l’absence, de lien social est sur le devant de la scène et devient trop prégnant qu’elle est appelée à la rescousse, souvent priée de faire en lieux et places de services publics devenus inexistants ou notoirement insuffisants », note le groupe CGT du CESE dans son explication de vote (positif).
Education populaire et collectivités. L’essentiel est ainsi de sortir d’un recours à l’éducation populaire dans la seule urgence d’un moment de crise pour en reconnaître la pleine valeur et conforter son déploiement selon cinq grands axes : investir dans les politiques publiques d’éducation populaire pour contribuer à réconcilier la société, développer le lien social pour conforter la citoyenneté, sécuriser le modèle économique des associations (par exemple via le maintien du cadre fiscal spécifique aux organisations d’éducation populaire) ainsi que les modalités de leur gouvernance (veiller en particulier à son renouvellement), former et reconnaître les compétences de leurs acteurs et améliorer les conditions de leur engagement et notamment de leurs bénévoles : investissement accru dans la formation des bénévoles en abondant le Fonds de développement de la Vie associative et promotion dès le lycée du Passeport Bénévole®.
Le rapport souligne qu’un tel projet ne pourra se concrétiser que par un retour de confiance entre les acteurs de l’éducation populaire et les collectivités, puisque leur action se développe par principe dans la proximité. Or, paradoxalement – alors que la loi NOTRe place l’éducation populaire, aux côtés de la culture, parmi les compétences “partagées” par l’ensemble des pouvoirs locaux –, les auteurs du rapport notent ici un certain effet de concurrence : l’implication des collectivités, à la suite des lois de décentralisation, « a eu parfois pour effet de faire disparaître ou de réduire l’intervention des mouvements d’éducation populaire ».
Par exemple, « la création de nombreuses médiathèques et de bibliothèques à partir des années 80 sous l’impulsion des conseils généraux et des communes a facilité l’accès à la lecture publique sur tout le territoire et amené certains mouvements d’éducation populaire à réduire leur activité dans ce domaine ».
Parmi les 20 propositions, cinq concernent, directement ou indirectement, l’amélioration de la concertation avec les collectivités, le plus souvent en lien avec l’Education nationale, interlocuteur essentiel des associations d’éducation populaire :
- intégrer la réponse « à un sentiment d’abandon et de relégation des habitants et habitantes » aux futures contractualisations pluriannuelles que l’Etat négocie avec les collectivités locales,
- créer et animer « en pleine association avec les actrices et acteurs de l’éducation populaire et des collectivités territoriales » un fonds de soutien à l’innovation et à l’expérimentation pour susciter, repérer et accompagner les projets, engager un plan de relance des projets éducatifs de territoire (PEDT),
- renforcer le “Parcours citoyen” au collège et au lycée en favorisant le travail partenarial entre les actrices et acteurs de l’Education nationale et ceux de l’éducation populaire,
- favoriser le recours à la convention pluriannuelle d’objectifs (CPO) comme mode de financement de l’activité des organisations d’éducation populaire.
Parmi les nombreuses autres propositions, citons la nomination d’un délégué interministériel à l’éducation populaire, un renforcement significatif des moyens humains et financiers de l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (INJEP) ou encore la relance des colonies de vacances et des “classes de découverte”.
“Educ pop” et droits culturels ? Il émane de ce rapport une évidente force de conviction, notamment par la précision d’une approche historique montrant la forte imbrication entre les idéaux de l’éducation populaire, les principes républicains et ceux des droits humains. Pour autant, un terme est absent…
La définition des droits culturels – bénéficier de la culture (au sens large), y participer, y contribuer – ne correspond-elle pas étroitement aux idéaux émancipateurs de l’éducation populaire ? Cette absence est d’autant plus étonnante que, parmi les mouvements de l’éducation populaire les plus exemplaires, le rapport cite le “Théâtre de l’opprimé” du dramaturge brésilien Augusto Boal, à qui l’on doit précisément la notion de droits culturels.
Lors d’un séminaire organisé en décembre dernier par la Confédération nationale des Foyers ruraux, la première remarque était que « les “droits culturels” ne seraient qu’une appellation nouvelle pour désigner une forme d’action culturelle que les représentants de l’éducation populaire pratiquent déjà depuis de nombreuses années » (synthèse). La mention récente de ces droits humains dans la loi (lois NOTRe et Liberté de création, architecture et patrimoine/LCAP) ne serait-elle pas, elle aussi, un point d’appui pour un nouvel essor de l’éducation populaire ?