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Création & diffusion

Centre national de la musique et concentration

By 15 février 2019mai 15th, 2019No Comments

Le 24 janvier, les députés Pascal Bois (Oise) et Emilie Cariou (Meuse) ont remis au Premier ministre, en présence du ministre de la Culture, leur rapport sur la mise en place d’un Centre national de la musique (CNM). Dans la foulée, un communiqué de Matignon a annoncé le lancement en 2019 d’une “phase d’amorçage” pour une mise en œuvre effective au 1er janvier 2020. Pourquoi une telle initiative qui transpose, dans le domaine essentiellement des musiques actuelles, le principe du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) ? Pourquoi crée un nouvel opérateur chargé de la régulation du secteur musical ?

Après une profonde crise économique, l’industrie musicale, qui a su s’adapter, est aujourd’hui de nouveau en croissance. Toutefois, les défis auxquels elle est confrontée demeurent immenses. Le nouvel écosystème, radicalement transformé par le numérique, est naturellement favorable à la concentration, au risque de mettre en danger la diversité musicale, essentielle à notre modèle culturel. » Ce constat du Gouvernement (communiqué de Matignon) identifie une menace : de grands opérateurs, internationaux comme nationaux, développent une logique de “retour sur investissement” dans le domaine très dynamique et donc très profitable de la musique (le bilan de la fréquentation des festivals de musiques actuelles en 2018, selon le site “Tous les festivals”, montre qu’un Français sur dix les ont fréquentés). Par ailleurs, l’écoute en ligne via les GAFAM n’assure pas de rétribution équitable des artistes : son essor n’est pas un gage suffisant pour la promotion de la diversité.

Deux types de concentration opèrent : la verticale, qui maîtrise toute la chaîne, de la billetterie (depuis le décret du 7/10/2007 autorisant la dématérialisation des billets) à la diffusion, en passant par la production ; et celle dite “horizontale”, qui agrège sous une même mainmise économique, un nombre croissant de structures apparentées, par exemple des festivals ou des grandes salles type Zenith ou Arena. A quoi il faut ajouter que les festivals comme les lieux à forte jauge sont souvent le fruit d’engagements financiers des collectivités et/ou de l’Etat. Ces efforts sont ainsi captés par des structures privées.

A ces deux modes de concentration, il faut en ajouter un troisième qu’on peut qualifier de concentration éclectique : ces sociétés en entremêlent d’autres à leurs activités culturelles, comme le sport ou la presse. Peu importe la nature de l’activité : “l’opportunité de marché” prime. Et de fait, la gestion de stars sportives, de stades et d’une billetterie considérable s’apparentent de très près à celle des stars des musiques actuelles.

L’oligopole à franges. Selon l’économiste de la culture Françoise Benhamou, les industries culturelles se caractérisent par le modèle appelé “oligopole à franges”. D’une part, un petit nombre de grands groupes maîtrisant l’essentiel des moyens de production et, d’autre part, un ensemble de petites entreprises ou d’initiatives fragiles, souvent accompagnées par la puissance publique qui, elles, créent ou trouvent les talents émergents. Si le secteur non marchand ne représente que 18% de la production culturelle, « c’est le plus souvent lui qui assume les fonctions de pépinière, de défricheur et de soutien des esthétiques émergentes, celles-là mêmes qui seront ensuite couronnées, ou non, par les réseaux, le marché et/ou l’institution », explique le sociologue Emmanuel Négrier (revue Nectar #6). L’oligopole se nourrit de ses “franges” sans les nourrir…

Si, à court terme, l’inscription des musiques actuelles dans la réalité économique traduit la bonne santé du secteur, à moyen et long termes elle devient une menace pour la diversité de la création, notamment pour les entreprises de taille intermédiaire : « Les gros spectacles fonctionnent bien et les petits et moyens spectacles éprouvent plus de difficultés », disait déjà, en 2011, Jacques Renard, alors directeur du CNV lors d’une rencontre organisée dans le cadre du MaMa. Une problématique qui interroge également le cinéma, où les films dits “du milieu” (films d’auteur à budget restreint) sont à la peine.

A noter également d’autres menaces que celles portant sur la diversité. Ainsi, dans une récente édition du forum Entreprendre dans la culture qu’organise le ministère de la Culture, des professionnels ont souligné en particulier l’effet de la concentration sur les très nombreux bénévoles intimement attachés aux festivals, avec ce problème au regard du droit du travail d’un engagement non rémunéré au service d’une activité de profit. De ce point de vue, si les grands opérateurs peuvent fournir, clefs en main, des grands événements facteurs d’attractivité territoriale, créateurs d’emplois et de retombées économiques directes et indirectes, ils fragilisent l’un des ressorts de la cohésion sociale et de la participation citoyenne par la culture.

Quelle régulation ? D’évidence, il revient ici à la puissance publique, Etat comme collectivités, d’assumer un rôle de régulation. L’exemple le plus convainquant de régulation d’un marché culturel reste la loi sur le prix unique du livre (1981), dite “Loi Lang”. Elle a permis de préserver les librairies indépendantes et avec elles un grand nombre de petits éditeurs ainsi que d’auteurs d’une concentration de la diffusion des livres par les grandes surfaces, spécialisées ou non. Le label LIR (librairie indépendante de référence) va également en ce sens en s’appuyant sur les collectivités territoriales pour proposer la possibilité d’une exonération d’une part de la CET. Mais, à la différence du livre, en quelque sorte protégé naturellement par les différences des langues qui restreignent leurs marchés aux échelles nationales, une régulation des musiques actuelles ne fait sens qu’a l’échelle européenne ou mondiale.

Le cinéma constitue également un domaine où la régulation, par la mutualisation ou par la loi, a produit des effets bénéfiques, comme en témoigne le remarquable dynamisme du cinéma français. La création du CNC, agence autonome mais placée sous l’égide de l’Etat, mène une politique d’aides et de redistribution efficace. De même, c’est par la loi qu’a été accompagnée la transition des salles de cinéma au numérique. Là encore, il n’existe pas de transposition simple dans le domaine de la musique, car si le cinéma s’est constitué en un univers de l’industrie culturelle fortement homogène où les accords entre acteurs sont assez aisément négociés – en témoigne le mécanisme d’apport des chaînes de télévision privées à la création –, le monde des musiques actuelles s’avère beaucoup plus disparate.

Et pour la musique ? Comment protéger la diversité de la création dans les musiques actuelles ? Puisqu’il faut prendre son parti de la concentration au niveau de l’oligopole, reste à envisager à assurer le soutien à ses “franges”. La puissance publique peut y contribuer d’une part en continuant de soutenir les scènes, les compagnies, les cursus de formation qu’elle a mis en place (Smac, aides aux compagnies, contrats de filières…) et qui ont permis que croisse une diversité dont elle a aujourd’hui la responsabilité. D’autre part, en soutenant le milieu associatif et de l’économie solidaire, essentiel pour ces expressions.

Tel semble être l’objet du CNM tel qu’exposé par le Premier ministre : « Afin d’accompagner l’ensemble de la filière musicale, le Gouvernement souhaite la création d’un nouvel établissement public unique, regroupant tous les leviers d’action publique hors secteur subventionné. » Un organisme qui aura notamment pour mission de mettre en oeuvre « une politique territoriale ambitieuse, notamment en matière d’éducation artistique et culturelle, qui parvienne à fédérer le secteur dans toute sa diversité et à nouer des alliances avec les interlocuteurs locaux, en particulier les collectivités ».

En effet, en matière culturelle, il existe d’autres motivations que le retour sur investissement. Unesco : « Les activités, biens et services culturels ont une double nature, économique et culturelle, parce qu’ils sont porteurs d’identités, de valeurs et de sens et qu’ils ne doivent donc pas être traités comme ayant exclusivement une valeur commerciale » (Convention sur la diversité des expressions culturelles, 2005). Il s’agit aujourd’hui d’une obligation légale, car c’est précisément sur cette Convention que s’adossent les articles des lois NOTRe et LCAP exigeant de placer les droits culturels à l’horizon des politiques culturelles publiques.

Enfin, pour parfaire cette ambition, la récente adoption par le Parlement de l’Union européenne de la directive sur le droit d’auteur peut contribuer décisivement à la promotion de la diversité.

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Le monde de  »l’entertainement » industriel

Live Nation Entertainement : 30 000 spectacles, plus d’une centaine de festivals dans le monde, 44 000 employés, plus de 3 000 artistes sous contrat (Madonna, Lady Gaga, Barbara Streisand…), billetteries en ligne : Ticketnet, Ticketmaster…

Fimalac Entertainement : 9 sociétés de production, 55 équipements (salles de spectacle, complexes aquatiques, centres de congrès et d’exposition), 4 théâtres parisiens, 4 000 événements et un service de “fonctions supports” : booking, marketing, sponsoring, billetterie…

Lagardère Sports and Entertainement : théâtres parisiens (Folies Bergères, Casino de Paris, Bataclan), Zéniths de Paris et du Pays d’Aix, Arkea Arena……

Anschutz Entertainment Group (AEG) : plus de 40 festivals (dont Rock en scène), plus de 80 clubs et théâtres dans le monde et des contrats avec de très nombreuses stars : les Rolling Stones, Katy Perry, Bruno Mars, Enrique Iglesias, Pitbull, Bon Jovi, Taylor Swift, George Strait…

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Quelle gouvernance pour le Centre national de la musique ?

Le rapport de préfiguration du CNM des députés Pascal Bois et Emilie Cariou a été rendu public le 5 février. Les collectivités ne figurent pas dans leurs préconisations pour sa gouvernance.

Le communiqué du Premier ministre (24 janvier) annonçant la création du CNM au 1er janvier 2020 précisait qu’une part de ses missions serait de développer une politique musicale en nouant « des alliances » avec les acteurs locaux, « en particulier les collectivités ».

Le rapport de Roch-Olivier Maistre (octobre 2017) avait présenté deux options de gouvernance. La première prévoyait « un collège, majoritaire, comprenant des parlementaires et les représentants de l’Etat et des collectivités territoriales, d’une part, et un collège professionnel, d’autre part ». La seconde « se traduirait par la création d’un CA restreint aux parlementaires, aux représentants de l’Etat et des collectivités locales, ainsi qu’à quelques personnalités qualifiées ». Les collectivités étaient donc associées dans les deux cas.

Pour sa part, la FNCC avait insisté, par voie de communiqué (27 avril 2018), sur « l’importance des initiatives des collectivités et des financements territoriaux. Leur rôle de soutien aux associations, de maillage dans la proximité est indispensable pour favoriser la diversité de la création artistique ».

Or le chapitre du rapport des députés sur la gouvernance du CNM ne donne place ni aux collectivités ni aux parlementaires. Il prévoit ainsi, sous tutelle unique du ministère de la Culture, un « conseil d’administration resserré, aux pouvoirs larges, majoritairement composé de représentants de l’Etat » et un « conseil professionnel original, associant étroitement le secteur musical à la détermination des priorités du CNM et à la fixation de ses règles en matière de soutien ».

Une question parlementaire. Rappelons que, dans une question écrite au ministre de la Culture (25/12/2018), le député des Landes Boris Vallaud avait noté que la réussite du CNM « ne peut être abordée sans tenir compte du contexte des politiques publiques à l’échelle des relations avec les collectivités », lesquelles « attribuent des moyens financiers aux musiques tant en investissement qu’en fonctionnement ». En conséquence il demandait au ministère « de définir le rôle, la place et l’utilité des collectivités territoriales dans le travail de concertation et dans la gouvernance envisagée du futur établissement public ».

Le député Boris Vallaud « demande de définir le rôle, la place et l’utilité des collectivités territoriales dans le travail de concertation et dans la gouvernance envisagée du futur établissement public opérateur de l’Etat de nature à favoriser la diversité artistique et culturelle sur tous les territoires ».

La FNCC s’est interrogée sur une éventuelle absence de représentation des collectivités territoriales dans la future instance de gouvernance du CNM – une problématique que seul le président de la FNCC a soulevée lors de la réunion en plénière du CCTDC, le 19 février dernier. La Fédération a également soumis à l’AMF, l’ADF et Régions de France un projet de courrier commun au ministre de la Culture le sollicitant pour une discussion sur la gouvernance du CNM.

A ce jour, il semble probable que le ministère ne suivra pas les préconisations du rapport Bois-Cariou sur ce point. « L’alliance » entre l’Etat et les collectivités qu’appelle de ses voeux le Premier ministre s’avère indispensable. C’est en effet au plus près des territoires que la mission de régulation que devrait assumer le Centre national de la musique pourra efficacement oeuvrer pour la préservation et la promotion de la diversité de la création musicale.