Le 17 mai sur le stand de la Région Sud, la FNCC organisait un débat autour des dispositifs cinéma pour les scolaires, le premier d’une réflexion envisagée au long cours. Synthèse d’un échange témoignant de la richesse et de la diversité des politiques d’éducation à l’image et de l’engagement des collectivités. Avec, aux côtés du président de la FNCC et de deux de ses vice-présidents – Jane-Marie Herman et Florian Salazar-Martin –, Jean-Michel Arnaud, conseiller municipal délégué à la Culture de la Ville de Cannes, Laurent Vennier et Léat Luret, respectivement directeur des politiques territoriales et cheffe du services des publics du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), Aurélie Ferrier, administratrice de l’association Archipel des Lucioles et directrice de Cannes Cinéma, Pauline Chasseriau, directrice du Pôle régional image des Hauts-de-France et Catherine Mallet, administratrice et responsable jeune public à l’Association française des cinémas art & essai (AFCAE) et directrice-adjointe du cinéma La Cascade à Martigues.
En introduction, le président de la FNCC souligne l’importance des salles de cinéma pour les collectivités. « Quand, dans une ville, un cinéma bat de l’aile, les élu.es sont très attentifs et essaient de voir comment ils pourraient intervenir. » Et Florian Salazar-Martin, vice-président et animateur de cette rencontre, qu’au-delà de la vitalité culturelle des territoires, la question de la sensibilisation aux images des jeunes s’avère démocratiquement essentielle : « Le cinéma est fondamental dans la société, c’est notre rapport au monde, l’imaginaire. » Dès lors, s’il faut intéresser les jeunes au 7e art, il importe également de sensibiliser les élu.es à la centralité des politiques locales en faveur du cinéma. « Ils sont intéressés, mais pas forcément véritablement entreprenants. Il existe dans ce domaine de nombreuses initiatives trop méconnues, qu’on se doit de réhabiliter, car elles montrent la réussite d’un certain nombre de paris engagés ensemble, collectivités et CNC, notre partenaire incontournable par son implication sur les territoires. On ne peut pas créer de politique locale sur le cinéma sans avoir cette vision généraliste. »
Sur ce dernier point, Jean-Michel Arnaud témoigne des multiples modalités qu’une mairie peut déployer pour à la fois soutenir les salles et sensibiliser les jeunes au cinéma, notamment dans le cadre des dispositifs “Ma Classe au cinéma” : Maternelle au cinéma, Ecole et cinéma, Collèges au cinéma et Lycéens et apprentis au cinéma, déclinés par les collectivités territoriales sous l’égide du CNC.
A Cannes – Pôle régional d’éducation à l’image –, “Cannes Cinéma” est l’opérateur central pour l’éducation à l’image et le déploiement des dispositifs scolaires, de la maternelle au lycée. Mais par-delà les actions avec les écoles et pour contribuer à créer une atmosphère où le cinéma compte pour toutes et tous les habitants, quels que soient les âges, c’est toute l’année que la Ville – qui consacre son premier budget de fonctionnement à la culture – fait vivre le cinéma grâce à de nombreux acteurs, dont l’Université Méliès. Parmi les initiatives récentes, la réouverture du Star, un cinéma historique en centre-ville, mais aussi l’organisation d’une saison avec des associations locales de cinéphiles.
Centralité de la salle. Catherine Mallet note que, quelles que soient les actions menées, le partenaire principal de l’éducation à l’image, pendant ou hors temps scolaire, est la salle. Elle fonctionne comme “un dispositif attentionnel” irremplaçable, concentrant les élèves – c’est parfois pour eux la première expérience d’une sortie en salle – sur ce qu’est un film : un récit sur un temps donné, avec un début et une fin, ce qui tranche avec la pratique nomade et quotidienne des écrans numériques. Le “noir” propre à la salle de cinéma rend tangible cette entrée et sortie du temps singulier d’un film.
Léat Luret souligne en particulier que les salles permettent la territorialisation de l’ambition nationale de “Ma Classe au cinéma”, qui touche 2 millions de jeunes chaque année. « C’est partenarial, interministériel et décliné au niveau local avec les trois-quarts des cinémas partenaires, donc grâce aux collectivités territoriales, qui participent à la fois à la conception des médiations vers le jeunes et à leur adaptation locale. » Une osmose entre volonté nationale et inscription sur le terrain dans les cinémas que confirme Laurent Vennier : « Ce maillage est indissociable des salles du territoires. Tout est intimement lié au territoire. On ne peut pas imaginer les évolutions de “Ma Classe au cinéma” sans la salle. C’est là que les élèves doivent découvrir les films, ce qui pose par ailleurs la question de l’accès aux salles, notamment en zone rurale, avec la question des transports. »
En ouverture de cette rencontre conçue comme un premier round d’une réflexion commune au long cours sur le rôle des collectivités dans l’éducation à l’image, Florian Salazar-Martin notait que la profusion des actions ne devait pas masquer un certain nombre de freins pouvant entraver leur essor et leur généralisation.
Freins au développement de l’éducation à l’image.
- Le premier de ces freins tient à une évolution sociétale profonde, d’ordre cognitif : les jeunes ont de moins en moins la capacité de focaliser leur attention sur un récit d’une heure trente, car la multiplicité des visionnages d’images via les réseaux sociaux et les téléphones portables induit une habitude des formats courts et une généralisation de la pratique du zapping.
- Autre frein d’ordre sociétal, les contenus des films choisis pour figurer au catalogue des dispositifs de “Ma Classe au cinéma” peuvent également constituer une entrave à leur fréquentation. Bien que les œuvres soient choisies par des comités spécialisés – éducateurs, psychologues, spécialiste du cinéma –, elles peuvent être jugées inadéquates d’un point de vue idéologique ou moral par certains, notamment par des parents d’élèves. La neutralité de la proposition devient de plus en plus difficile à atteindre.
- Des films récents qui n’intéressent pas les jeunes : parfois les sujets traités par les cinéastes ne sont pas remis en cause seulement parce qu’ils pourraient choquer mais parce qu’ils peuvent ennuyer. Pour sa part, le CNC a d’ores et déjà identifié la nécessité d’un renouvellement des récits ainsi que l’un des moyens pour le favoriser : s’il n’est bien sûr pas concevable d’intervenir auprès des réalisateurs pour leur intimer de traiter tel sujet ou tel autre, il est en revanche possible de procéder au rajeunissement des personnes composant les commissions d’aides du CNC.
- Plus pragmatiquement, un frein de nature politique doit impérativement être levé : l’incertitude quant aux financements de ces dispositifs et notamment les problématiques de transports ainsi que du coût des billets. Certes, le Pass culture dynamise les dispositifs d’éducation à l’image, mais son absence de prise en charge des transports, notamment en territoires ruraux, en atténue l’efficacité.
- Frein pédagogique. Les dispositifs de “Ma Classe au cinéma” exigent un partenariat étroit avec les enseignants de l’Education nationale. Or, il existe un décalage croissant entre une jeune génération d’enseignants, plus sériephiles que cinéphiles, et la génération précédente, pleinement convaincue de la pertinence de la sensibilisation aux films et à l’histoire du cinéma. Ce décalage se traduit notamment par une certaine désaffection des formations proposées aux professeurs.
- Dernière difficulté : le choix de films par un comité est au principe même de “Ma Classe au cinéma”. Mais cette pratique prescriptive verticale s’accorde de moins en moins au désir des jeunes d’être davantage associés, en particulier à la programmation, d’où par exemple l’idée de s’appuyer sur de jeunes ambassadeurs du cinéma.
Solutions ? Le débat se donnait un double objectif : dresser un état des lieux des initiatives d’éducation à l’image et identifier les freins à leur essor. La recherche de solutions sera à l’ordre du jour d’autres temps de débat. Mais d’ores et déjà, deux pistes ont été évoquées.
- Une attention accrue au hall d’accueil des cinémas afin que l’établissement dépasse sa seule fonction de diffusion de films pour devenir un lieu de vie, un espace public où les jeunes peuvent se retrouver. Cette piste, qui est déjà une réalité dans certains lieux, et notamment au nouveau cinéma La Cascade de Martigues, relève de l’architecture même des cinémas tant en cas de création de nouveaux établissements que de modernisation de salles déjà existantes.
- Généraliser le débat sur l’éducation à l’image. Pour Florian Salazar-Martin, il importe aussi de davantage sensibiliser les élu.es à l’importance des enjeux de la sensibilisation à l’image afin qu’ils s’en saisissent véritablement dans leur projet culturel. Dans cette perspective, il serait utile de débattre de ces enjeux dans les Conseils locaux des territoires pour la culture (CLTC) et dans les Comités régionaux des professionnels du spectacle de chaque Région.