Dans sa volonté d’exercer pleinement son rôle d’examen de la dépense publique gouvernementale, la commission des finances du Sénat a demandé à la Cour des comptes une enquête sur l’emploi de crédits exceptionnels dans le domaine de la culture, dont un part importante relève de fonds européens. Echappent en effet à l’examen parlementaire l’usage des crédits non budgétisés, comme le rappel le sénateur (RDPI) de l’Isère Didier Rambaud, rapporteur de la mission “Culture” : « En tant que rapporteurs spéciaux, il nous est difficile d’avoir une vision sur des financements publics qui, par construction et bien qu’à destination des secteurs culturels, ne sont pas inscrits au sein des missions que nous suivons. » Ces crédits, pilotés par la Caisse des dépôts et Bpifrance, comprennent ceux du Plan de relance (600M€ pour le patrimoine et 400M€ pour le spectacle vivant), du Programme d’investissements d’avenir (PIA) et du plan France 2030 (3Mds€ entre 2017 et 2023). Synthèse de la présentation du rapport par le Premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici.
Dans la conclusion de la présentation de l’enquête devant les sénateurs, Pierre Moscovici estime que le pilotage des crédits exceptionnels dans le domaine de la culture « a conduit à déroger au cadre général de gestion des finances publiques, à minimiser le rôle du ministère de la Culture et à mettre à l’écart le Parlement, ce qui n’est pas de bonne gouvernance politique et démocratique. » Evoquant les récentes annulations budgétaires des crédits du ministère pour 2024 (204M€) et dans la perspective de celles d’ores et déjà annoncées pour 2025, il ajoute que « dans le contexte actuel de revue des dépenses de l’Etat, ce rapport semble particulièrement utile et d’actualité ».
Un plan de sauvegarde plus que de relance. Le rapport ne remet pas en cause l’utilité du Plan de relance dans l’indispensable soutien au secteur culturel pendant la période Covid, tout en jugeant que sa mise en œuvre « a été guidée par une logique de dépense plus que par une analyse des besoins réels ».
Tout d’abord, l’état d’esprit d’urgence adopté pour la mise en œuvre du plan a entraîné « un pilotage par la dépense, parfois au détriment des objectifs de politique publique » et a notamment induit des aides aux secteurs déjà les plus soutenus (cinéma, presse) au détriment notamment du livre. Les dépenses au titre du Plan de relance se sont aussi parfois méprises sur le juste endroit de leur contribution, par exemple en allouant 30M€ à l’appel à manifestation d’intérêt (AMI) “Mondes nouveaux”, dans le champ des arts visuels – à mettre en parallèle avec les 4M€ du budget annuel d’acquisition des FRAC –, à des intermédiaires et non aux créateurs. De là un manque de visibilité pour certaines œuvres financées.
Conclusion : « Nous soulignons que ces fonds n’ont permis ni d’accélérer ni même d’initier des transformations dans le secteur, tant leur conception ne s’y prêtait pas. »
Un programme d’investissements patrimoniaux plus que d’avenir. Evoquant le Château de Villers-Cotterêts ou encore le Grand Palais, Pierre Moscovici note que les versions successives du Programme d’investissements d’avenir (PIA) ont « contribué à financer des opérations patrimoniales importantes ; à rebours, donc, de leurs objectifs de soutien à l’innovation. Je vous laisse juger si patrimoine et innovation vont dans ce cas-ci de pair. »
Autre remarque sur les PIA, une prise de risque disproportionnée, avec pour résultat un soutien à des entreprises trop fragiles qui s’est soldé par des échecs nombreux, « annulant la portée de l’investissement public » pour cause de « manquement au principe de l’investisseur avisé », dont le Premier président précise que l’Union européenne y est très attachée. Un manquement doublé d’une absence de stratégie formalisée avec le ministère de la Culture. « Le secteur culturel constitue un cas d’école des faiblesses de la gestion budgétaire et des PIA. »
France 2030, une stratégie insuffisamment lisible. France 2030 a pris la suite des PIA, avec 600M€ destinés aux industries de l’image et du numérique dans une perspective d’accélération des industries culturelles et créatives.
Ici, c’est la modalité des aides qui attire les critiques de la Cour des comptes. En privilégiant les appels à concurrence, le plan « a pris le risque parfois de ne pas aborder des sujets d’infrastructure. De plus, la logique de mise en œuvre rapide d’appels à concurrence peut créer des effets d’aubaine et dispenser les pouvoirs publics de recourir à des outils de régulation. » Une logique dont les résultats restent peu cernables par manque d’évaluation.
Le rapport note également que, progressivement, le principe par essence politique de la subvention a supplanté celui, originaire, d’avances remboursables. Dès lors, « la Caisse des dépôts et Bpifrance se retrouvent dans la situation paradoxale d’être les pourvoyeurs majoritaires de subventions dans ce secteur, sans avoir l’expertise du ministère de la Culture ». « Largement dessaisi » du pilotage, « le ministère n’est donc pas pleinement en situation de garantir la cohérence de ces financements avec les objectifs de la politique culturelle : préserver et mettre en valeur le patrimoine historique, soutenir la création artistique, contribuer à l’éducation artistique et à la transmission des savoirs, développer l’économie de la culture et les industries culturelles. »
Recommandation : accorder au ministère de la Culture une place plus importante dans les processus décisionnels de France 2030, ce qui lui permettrait d’assurer son rôle de chef de file de la politique culturelle.
Commentaire du sénateur (LR) de l’Essonne Jean-Raymond Hugonet, rapporteur spécial de la mission “Médias, livre et industries culturelles” pour la commission finances : « La présentation que vous venez de nous faire, monsieur le Premier président, est édifiante. A l’heure où le ministre des finances vient ici nous annoncer qu’il est impératif de faire 10Mds€ d’économies, voilà 3Mds€ sur lesquels nous étions curieux d’avoir des renseignements. »
Le jour même de la présentation du rapport de la Cour des comptes, le Sénat a publié un communiqué concluant à la nécessité impérative de « conduire à une réflexion sur l’usage qui a été fait de ces financements publics : lacunes dans le pilotage et l’évaluation malgré l’importance des moyens consacrés ; absence de lisibilité des dispositifs ; faiblesse du rôle de contrôle laissé au Parlement ; liens avec les filières culturelles parfois limités. »