Les sénateurs Céline Boulay-Espéronnier, Sonia de la Provôté et de M. Jéremy Bacchi avaient rédigé en mai dernier un rapport intitulé “Le cinéma contre-attaque : entre résilience et exception culturelle, un art majeur qui a de l’avenir”. Un rapport pour lequel la FNCC avait été auditionnée et qui a été adopté à l’unanimité (synthèse). Avec 14 propositions dont l’une consistait à prévoir le dépôt d’une proposition de loi pour les rendre possibles. C’est donc chose faite via la proposition de loi “visant à conforter la filière cinématographique en France”, déposée le 27 septembre par les sénateurs auteurs du rapport.
Le rapport notait en effet qu’aux côtés de la rigueur du soutien public à la filière piloté par le CNC (il salue « une réussite majeure de politiques publiques menées avec constance depuis près de 80 ans »), de l’organisation solidaire des financements et du système de la chronologie des médias qui préserve la vie en salle des films, l’un des piliers du dynamisme de la filière française tenait à son organisation pour « faciliter l’accès des spectateurs à la diversité » de la création, via notamment les cinémas Art & Essai. C’était là une reconnaissance de l’importance de la salle ainsi que des politiques nationales comme locales qui les soutiennent. Car, « loin de disparaitre avec les plateformes, le cinéma en salle apparait comme un authentique loisir du 21e siècle ».
Recours à la loi. Si, dans leur majorité, les préconisations du rapport relèvent d’une adaptation de l’existant qui peut être opérée sans production législative nouvelle, deux nécessitent la loi. L’une et l’autre concernent les salles, c’est-à-dire l’accès pour toutes et tous à la diversité du cinéma, dans l’esprit du « maintien d’une dualité dans les objectifs de notre cinéma », à la fois industrie et art, enjeu privé et public, viabilité économique et respect d’une mission de service public.
Facilitation les politiques tarifaires des salles. L’article 1 de la proposition de loi vise à « assouplir l’encadrement des cartes d’accès illimitées dans les cinémas » tout en veillant à « assurer d’une part une juste rémunération des distributeurs et des ayants droit et, d’autre part, des conditions équitables d’accès à la formule pour les exploitants indépendants ». Le rapport souhaitait en effet donner aux diffuseurs « plus de leviers » pour mettre en valeur les salles en facilitant les opérations promotionnelles. Mais, « afin d’éviter une concurrence excessive entre les réseaux qui se ferait au détriment des intérêts de l’ensemble de la filière, ce prix ne pourra être inférieur à un tarif minimal établi dans des conditions fixées par un décret en Conseil d’Etat ». Cette proposition exige une réécriture du Code du cinéma et de l’image animé (CCIA).
Engagement de distribution en territoires ruraux. Lié au taux de remplissage des salles, le cinéma est naturellement associé d’un point de vue économique à la densité démographique. En tant qu’art, en revanche, il se doit d’être accessible à toutes et tous, partout.
A cette équation répondent déjà le dynamisme des cinémas itinérants et les aides publiques aux salles Art & Essai (AE) qui, d’une part, leur permettent d’assumer un contexte de fréquentation moins favorable pour tous les films, blockbuster compris, et d’autre part, via des “engagements de programmation”, de promouvoir des films moins commerciaux.
C’est dans l’esprit de ce principe propre à l’Art & Essai qu’est formulé l’article 4 de la proposition de loi, en le décalant des salles elles-mêmes aux distributeurs. « Il vise, sur le modèle des engagements de programmation des salles, à définir des engagements de diffusion. La mission a en effet constaté que les œuvres classées en Art & Essai étaient moins souvent proposées dans certaines zones du territoire. Il est ainsi proposé que les distributeurs soient tenus de consacrer une part minimale du plan de diffusion à des établissements situés dans des périmètres géographiques identifiés au regard de leur faible nombre d’habitants. » Une perspective que complète l’article 5 (là encore l’intervention du législatif s’avère nécessaire) en donnant au CNC « un pouvoir de sanction administrative en cas de méconnaissance par les distributeurs de leurs obligations ».
En mettant ainsi à contribution la distribution au service de l’objectif proprement politique de démocratisation de l’accès à la culture en territoires à faible densité démographique, la loi complèterait l’esprit de solidarité générale entre l’ensemble des secteurs de la filière qui caractérise l’excellence du système français. Une question semble cependant demeurer : les engagements de programmation des salles Art & Essai trouvent une compensation dans les aides auxquelles le label ouvre droit ; qu’en serait-il pour les distributeurs ?
Dans leur rapport, les sénateurs affirmaient leur objectif de « consolider la position éminente du cinéma dans le cœur du public et à maintenir l’équilibre entre art populaire et recherche, mais également à l’adapter à la nouvelle donne du 21e siècle ». Ces deux articles en constituent des moyens, le premier au bénéfice des salles, le second au bénéfice des territoires. Et tous deux à celui des amateurs de cinéma.