En 2013, le Syndicat national des scènes publiques, qui regroupe les théâtres de villes (lieux non labellisés par l’Etat, financés essentiellement les communes et leurs groupements), France Festivals et la FNCC écrivaient conjointement une « Charte des missions artistiques et territoriales des scènes publiques ». Dix ans après, ce document unique de concertation entre les collectivités et des professionnels des arts et la culture a été l’objet d’une réécriture afin de prendre en compte les lois adoptées depuis – Nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe, 2015), Liberté de création, architecture et patrimoine (LCAP, 2016) – et de l’adapter aux enjeux contemporains, notamment ceux de la parité femme/homme, de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles et du développement durable. La version réactualisée a été signée le 16 juillet lors des Journées d’Avignon 2023 de la FNCC par les instances, renouvelées depuis, des trois structures.
Précédé d’un débat sur le thème “Missions artistiques et territoriales des scènes publiques : un engagement à réaffirmé”, ce moment important pour le dialogue entre responsables professionnels et élus du service public de la culture a été l’occasion de confirmer la pertinence du principe d’une coresponsabilité articulant l’indépendance artistique des scènes publiques et le projet politique territoriale des collectivités. En introduction, dans le rôle d’animateur de débat, le président de la FNCC se félicite d’un texte fruit d’une concertation exigeante : « Avec vous, nous avons été très loin dans le travail de mise en commun, ce qui ne relève pas de l’évidence entre élus et professionnels. Aujourd’hui, il nous faut partager plus largement cet esprit de dialogue. » Synthèse.
Une Charte d’une actualité croissante. Des décisions abruptes de redéploiement des crédits culturels locaux, des pressions multiples sur le contenu des programmations, des inquiétudes budgétaires mais aussi les impacts visibles du réchauffement climatique ou encore les difficultés de recrutement de responsables des équipements culturels…, la complexité du contexte actuel apparaît unanimement propice pour la réactualisation d’une Charte qui promeut le dialogue et la solidarité. Gérard Lefèvre, maire-adjoint d’Angoulême et membre du Bureau de la FNCC : « La notion essentielle que porte cette Charte est celle d’accompagnement réciproque. Il n’est pas question de décréter quoi que ce soit mais, face aux difficultés, mais de travailler ensemble pour trouver un chemin. »
Pour leur part, Vincent Roche Lecca, coprésident du SNSP, et Loïc Lachenal, vice-président des Forces musicales (non encore signataires), anticipent d’ores et déjà l’utilité du texte. « On ne mesure pas encore combien ce texte entre en résonance avec les problématiques d’aujourd’hui. » « Ce texte a une grande puissance politique en ce qu’il rejoint une approche éthique. Ce « droit mou » peut servir de référentiel d’appréciation. Il est déjà très fort. » D’autant plus que, avec la centaine de festivals adhérents à France Festivals, les 250 structures affiliées au SNSP et les près de 500 collectivités que réunit la FNCC, la Charte a la force de conviction que lui donne sa représentativité. Maria-Carmela Mini, co-présidente de France Festivals. « L’enjeu est énorme : 7 300 festivals doivent s’adapter à l’évolution des territoires, à celle des publics tout en s’engageant sur la voie du développement durable et en faveur de la parité femme/homme dans leurs programmations. »
La force du texte réside en sa capacité à ne pas occulter les légitimes différences de point de vue entre élus et professionnels via l’affirmation de leurs responsabilités respectives, chacun à sa juste place. Ce que synthétise l’autre co-présidente de France Festivals, Nathalie Rappaport. « En réaffirmant le principe de l’indépendance artistique tout en soulignant la notion de coresponsabilité des scènes publiques et des collectivités qui les soutiennent, la Charte résume bien tout le sens de leur enjeu de service public de la culture. »
Ce principe valait déjà il y a dix ans ; il est aujourd’hui un impératif. Pour Alexie Lorca, maire-adjointe de Montreuil et vice-présidente de la FNCC, « en cette période, la révision de la Charte s’avère très importante. Jusqu’à présent régnait une sorte de pacte républicain dans lequel la culture tenait une place évidente. Il n’était même pas question de cesser de la financer. Aujourd’hui et de plus en plus – cela va très vite –, certains disent de façon décomplexée qu’ils ne peuvent plus assurer les financements culturels. Cela ne gêne plus de le reconnaître… »
Plus qu’une avancée pour le spectacle vivant, ce texte est un modèle non seulement pour d’autres secteurs de la culture mais pour la concertation entre collectivités, notamment dans le cadre des Conseils locaux des territoires pour la culture. C’est, Frédéric Hocquard, « un exemple, car chacune des parties à fait un pas en direction de l’autre au lieu d’en rester, de manière forcément conflictuelle, à ses seuls prérogatives et intérêts propres ». Par ailleurs, estime-t-il, « par sa réaffirmation du principe des financements croisés et par son appel à la co-construction des conventions Elle est porteuse d’une vision très contemporaine. » Autre qualité : « L’intérêt de la Charte est d’aller au-delà de la réaction. Preuve en est qu’elle a été signée en 2013 et que nous la réactualisons dix ans après. » C’est un outil de politique culturelle de long terme.
Comités de suivi et projet politique. La Charte préconise fortement la mise en place d’un dialogue régulier et pérenne entre responsables professionnels et politiques des scènes publiques, notamment pour expliciter les orientations de la collectivité de tutelle, souvent opaque aux personnels des institutions. De l’avis général, seul en effet un tel partage permet une co-gouvernance respectant la liberté de création et de diffusion des scènes et leur contribution à la réalisation du projet politique de territoire de la collectivité, en lien avec les autres équipements et le monde associatif. Car « les scènes publiques ne sont jamais hors sol », rappelle Alexie Lorca, qui poursuit : « La qualité du texte est de bien distinguer en l’ingérence et l’orientation voulue par l’équipe politique ou induite par la sociologie des territoires, ce qui peut éviter certains glissements. »
D’où une question de Gérard Lefèvre : ce dialogue relève-t-il du le rôle du Conseil d’administration ou faut-il lui préférer un comité de suivi ?
Sur ce point, les interventions des professionnels soulignent, pêle-mêle, l’absence de lieux de dialogue, la lourdeur administrative des services municipaux et plus encore intercommunaux, ou encore leur absence de connaissance de la réalité de leur travail. « L’administration a tendance à barrer l’accès aux élus et quand on arrive à rencontrer le directeur général des services, il n’est pas rare de s’apercevoir qu’il est bien peu au courant. C’est souvent comme si notre métier n’existait pas alors que les choses sont claires pour les bibliothèques ou les conservatoires », témoigne Véronique Lécullé, co-présidente du SNSP. Jean-Philippe Lefèvre, vice-présent culture du Grand Dole et vice-président de la FNCC, soulève l’importance non seulement du dialogue avec les élus mais aussi de celui avec les responsables administratifs parfois en effet peu avertis des réalités culturelles. « A mon sens, il me semble que les syndicats travaillent insuffisamment avec la fédération des directeurs généraux des services (DGS). Il serait très pertinent de mener des travaux avec eux, car tous les DAC ont un DGS. »
Pour leur part, May Bouhada, maire-adjointe à Fontenais-sous-Bois, vice-présidente de la FNCC, et Alexie Lorca insistent davantage sur la dimension proprement politique. L’élue de Fontenais se dit en faveur de temps de dialogue réguliers entre le politique et les professionnels. « Une politique culturelle s’inscrit dans une politique globale. Il importe en effet que les professionnels puissent être associés dans des espaces de dialogue où ce projet global peut être explicité, car il arrive qu’un lieu décroche de l’approche politique d’ensemble. » Ce que confirme Alexie Lorca : « Nous devons réexpliquer, y compris aux habitants, ce qu’est une politique culturelle. D’où l’intérêt de cette Charte qui aide à résister aux pressions. A mon sens, le comité de suivi constitue un outil assez idéal – et d’ailleurs les lieux nous demandent souvent d’en mettre un en place –, car la parole n’est pas la même dans les Conseils d’administration. »
Divertissement et droits culturels. Depuis la salle, un professionnel du Val de Marne pose une question délicate : est-ce le rôle d’une scène publique de programmer du divertissement ? Une remarque qui, implicitement, fait écho à de possibles interférences de choix politiques très – ou trop – attentifs aux attentes des habitants, au détriment d’une offre artistiquement moins immédiate.
Réponse de Loïc Lachenal : « On a tous à cœur de proposer du divertissement à nos publics, car cela relève aussi de l’émancipation personnelle. Mais le divertissement n’a pas besoin de financements publics. » « Le divertissement trouve de fait sa place dans notre société. Quant à nous, nous devons chercher l’équilibre entre le secteur marchand et le service public pour savoir où investir l’argent public, ce que la Charte dit en filigrane. Il n’y a pas lieu d’opposer divertissement et culture, mais l’argent public est destiné à l’accès la diversité de la création, surtout pour les jeunes », explicite Alexie Lorca.
Ici s’ouvre un autre débat, esquissé par Jean-Philippe Lefèvre. « On discute beaucoup des droits culturels et on souhaite tous, bien entendu, qu’ils soient compris selon notre propre point de vue. Vous dites que le divertissement n’a pas sa place dans les théâtres financés par de l’argent public… Mais où s’arrêtent les droits culturels ? »
Une nécessaire confiance. Concluant les échanges avant la séance de signature, Patrick Curtaud, conseiller départemental de l’Isère, adhérent à la FNCC, relève une dimension de la relation entre les professionnels et les élus qui n’a pas été abordée. « La confiance entre ceux, professionnels et politiques, en charge de la direction d’un équipement est fondamentale dans le domaine culturel. J’ai la chance d’être élu à la fois dans une commune et dans un conseil départemental depuis 2015 et de rencontrer de nombreux directeurs de scène et de compagnies, notamment de théâtre et de musiques actuelles. Ces responsables ne sont pas tous de la même sensibilité politique que celle du conseil départemental, mais nous travaillons dans un climat de confiance réciproque. Aucune politique du spectacle vivant ne peut fonctionner sans cette confiance. »
Une telle confiance s’est, de fait, pleinement manifestée lors de ce débat qui n’a pas hésité à aborder les principaux points de tension pouvant survenir entre équipes les professionnels et élus et leurs services : censure, ingérence, réduction des subventions de la part du politique, isolement, absence de prise en compte du projet politique, fonctionnement hors sol de la part des professionnels. Frédéric Hocquard synthétise de l’état d’esprit inverse de celui prôné par la Charte : « L’élu paie donc décide versus l’artiste crée donc décide… Une crispation symétrique qui ne produit aucune dynamique, ni artistique, ni culturelle. »
Depuis la tribune, Véronique Lécullé souligne que la Charte peut contribuer à favoriser la confiance : « Pour ma part, j’encourage toujours nos adhérents à créer un dialogue autour de la Charte. » Et depuis la salle, un professionnel confirme que cet échange autour de sa réactualisation en constitue déjà une preuve : « Un tel débat devrait avoir lieu dans chacune de nos villes et de nos structures pour que puissent se manifester les valeurs et les objectifs communs. »