Chacun est aujourd’hui pleinement conscient de l’urgence environnementale. Elle s’impose aussi à la culture, tant aux élus qu’aux professionnels. S’appuyant sur un récent livret du Syndeac (syndicat des scènes labellisées) intitulé “La mutation écologique du spectacle vivant”, ainsi que sur le principe de “l’infusion artistique” porté par le Syndicat national des arts vivant (regroupant les compagnies indépendantes), la FNCC proposait, le 16 juillet, un débat pour favoriser le partage des expériences et perspectives. « Les initiatives sont nombreuses et nous souhaitons réfléchir à quelle peut être l’utilité de la Fédération pour faire face à ce défi, concrètement, sur les territoires », explique le président de la FNCC, Frédéric Hocquard. Une rencontre accueillie dans les locaux avignonnais de l’agence culturelle de la région PACA, Arsud, et animée par Jean-Michel Poullé, maire-adjoint à la culture de Malakoff. Echos.
Au-delà d’un simple “verdissement” des activités, il importe en préalable de mesurer la radicalité des changements qu’impose l’urgence environnementale. « En parlant de mutation et non de transition, le titre donne déjà une indication quant à l’ampleur de ce questionnement », note Jean-Michel Poullé en introduction. « Tout est dans tout, non seulement dans le bannissement des bouteilles en plastique mais aussi dans le fonctionnement même de nos structures et de l’ensemble du secteur des arts vivants », déclare Bruno Lobé, vice-président du Syndeac et premier intervenant du débat.
Infusion artistique et tournées raisonnées. L’idée d’un changement de modèle de production et de diffusion artistique, pensé depuis les années 50 selon le prisme de la valorisation de la création singulière et que traduit économiquement le principe des contrats d’exclusivité, n’est pas neuve ; elle rejoint la conception même de ce que doit être un service public de la culture : un service offert partout et à toutes et tous.
Il y a en effet une convergence non fortuite entre le projet politique de l’action de proximité, de l’ancrage sur les territoires, et les enjeux environnementaux qui inspire depuis sa fondation le Synavi. Sandrine Lemétayer, vice-présidente : « La notion d’infusion artistique articule le travail de création et celui d’intervention de proximité. Une approche qui s’inscrit dans la durée pour organiser la rencontre entre les artistes, les œuvres et les territoires. En soi, l’infusion artistique relève déjà du développement durable. »
Pour sa part, le Syndeac parle de “tournées raisonnées”, c’est-à-dire déployées dans le temps, en partenariat avec les acteurs des territoires. « Les adhérents du Syndeac s’engagent à favoriser des pratiques d’inclusivité territoriale qui encourageraient les lieux de diffusion et équipes artistiques à multiplier les représentations sur un même territoire, dans un cadre écologique volontaire » (extrait du livret “La mutation écologique du spectacle vivant”). Commentaire de Bruno Lobé : « C’est l’idée qu’il faut dépasser une tendance autocentrée pour davantage partager. Il y a là un gros travail à mener, car on en reste pour le moment aux grandes tournées internationales, sur le principe des one shot. Nous devons chercher des partenariats, rencontrer les gens sur place, que ce soit à l’échelle internationale, nationale ou régionale. »
Une telle approche correspond de fait avec l’ambition culturelle des territoires ruraux, par nature moins dotées en équipements de diffusion et que seules peuvent irriguer l’itinérance et les résidences artistiques. Témoignage de Delphine Benassy, vice-présidente culture de la région Centre-Val de Loire : « Sur ce principe de l’infusion, nous avons créé le dispositif “Culture à partager” afin de soutenir les projets de médiation et de rencontre sur les territoires sur une durée d’un ou deux ans. L’initiative non seulement diminue l’empreinte carbone des médiations mais de plus répond aux exigences des droits culturels, car elles sont organisées en lien avec les associations du champ social et médico-social. »
Même écho de la part de Jessie Orvain, vice-présidente à la culture de la vaste EPCI rurale Mont-Saint-Michel Normandie et membre du Bureau de la FNCC : « Nous avons élaboré un projet culturel de territoire faisant du développement durable son fil rouge, notamment avec le principe du circuit-court ou encore en mettant le projet culturel au service d’autres thématiques comme l’alimentation, la citoyenneté… mais aussi la mobilité – une question prégnante, qui relève de la Région, laquelle nous accompagne. »
Mobilité des publics. La problématique de la mobilité des publics – source première des émissions de carbone dans le spectacle vivant – a ainsi été portée au cœur des débats. Une problématique double et contradictoire puisqu’il faut à la fois que les gens puissent se déplacer pour aller au spectacle mais aussi qu’ils ne se déplacent pas trop, si ce n’est par des moyens de transports respectueux des exigences environnementales, donc via des transports en commun.
Le livret du Syndeac propose ici une idée radicale. « Plus aucun lieu, festival, équipement culturel de quelque nature que ce soit ne pourra s’implanter dans un territoire si ne préexiste pas une modalité efficiente de transport collectif. » C’est là, d’évidence, une volonté de faire réagir plus qu’une préconisation concrète. Prise au pied de la lettre, elle serait « ruralicide » selon Fabien Le Guernevé, maire-adjoint de Vannes et vice-président de la FNCC et entraînerait « la mort de 60% de notre territoire » note Jessie Orvain. Qui ajoute cependant : « Merci d’avoir osé cette proposition. »
Bien entendu, rappelle Frédéric Hocquard, « dans la proposition du Syndeac, il est question d’implantation, non de suppression ». Ce que confirme Bruno Lobé : « Notre approche, à l’opposé d’une mise en difficulté des territoires ruraux, est celle d’un indispensable partenariat sur les transports, non l’inverse. »
En effet, l’intérêt de cette proposition choc sur la mobilité des publics réside dans sa capacité à révéler la nécessité d’un partenariat entre les acteurs culturels et l’ensemble des pouvoirs publics, essentiellement l’Etat et les Régions puisque les communes n’ont pas la main sur les transports. C’est aussi une analyse critique de l’aménagement du territoire tel qu’il a été pratiqué. « La proposition du Syndeac dit surtout que, jusqu’à présent, les politiques publiques ont été inadéquates. Voyez l’étalement urbain… Il faut en effet intégrer la question du déplacement dans l’aménagement du territoire. La problématique est certes aussi culturelle mais surtout politique. Pour ma part, j’apprécie la proposition du Syndeac car elle dénonce ce qui a été fait », souligne Florian Salazar-Martin, élu à Martigues et vice-président de la FNCC.
Une approche que corrobore les choix de la Région Sud, comme l’explique Michel Bissière, conseiller régional délégué à la vie artistique et culturelle : « Dans notre Région, qui compte six départements, nous sommes conscients de l’ampleur du travail à mener sur les mobilités. La Région comporte plus d’un millier de festivals dont certains très excentrés. Nous recevons donc de très nombreuses sollicitations auxquelles nous essayons de répondre peu à peu, par exemple en inaugurant cette année une ligne de bus entre Avignon et Orange. »
Quelle radicalité ? « Ne devons-nous pas nous poser la question de ce qu’est la radicalité en matière d’écologie culturelle ? » A cette question de Sandrine Lemétayer, deux réponses ont fugacement esquissé des mondes autres.
- En l’absence de mobilités. « A Beaumont-sur-Oise, la seule mobilité disponible est celle du train. Or les travaux consécutifs à la préparation des prochains Jeux olympiques nous pénalisent pour rentrer depuis Paris. Nous sommes comme prisonniers, ce qui n’est pas sans un effet positif car cela contraint à davantage s’intéresser à ce qui se passe sur le territoire », rapporte Marlène Harlem, maire-adjointe à la culture.
- En l’absence de lieux de diffusion. May Bouhada, maire-adjointe à Fontenay-sous-Bois et vice-présidente de la FNCC, témoigne de sa jeunesse à Alger. « Là, pas de lieux de diffusion mais de la musique partout, par tous, le soir, chacune et chacun s’emparant du geste culturel, en écho direct avec ce que nous appelons aujourd’hui les droits culturels. Il faut bien sûr défendre les artistes mais peut-être de manière plus large, de façon que les gens puissent s’emparer de l’espace public. »
Pour autant, la réalité est autre. « Dans la France jacobine, tout a été fait pour rapprocher de Paris alors que, pour nous, nous souhaitons que se développe le train du quotidien, pour aller travailler, pour la culture. Cela concerne les Régions et l’Etat. A mon sens, il faut en revenir à une logique de simple bon sens : de quoi avons-nous besoin sur les territoires ? », conclut Fabien Le Guernevé. Pour sa part, actant l’impératif de concertation entre collectivités, avec l’Etat ainsi qu’avec les professionnels, le président de la FNCC note que, « quoi qu’il en soit, il s’agit d’un enjeu fondamental, sachant qu’il n’est pas question de tout arraser ». D’où, synthétise Sandrine Lemétayer, « la nécessité de repenser l’intégralité de la question de la mobilité et de mettre en place des réseaux fonctionnant au-delà des mobilités individuelles ».
Ecotaxe et éco-conditionnalité. La nécessité de la mutation écologique soulève un autre enjeu, lui aussi fondamental : il faudra des moyens supplémentaires, car les compagnies et structures ne pourront assumer seules les surcoûts de l’adaptation de leur modèle de fonctionnement. Si l’identification du problème est partagé par toutes et tous, les solutions envisagées divergent.
Jean-Michel Poullé note que le Syndeac évoque la création d’une “écotaxe” et soumet l’idée d’une éco-conditionnalité des aides publiques. Deux perspectives qui soulèvent des interventions prudentes.
Le maire-adjoint à la culture de Reims et vice-président de la FNCC, Pascal Labelle, reconnaît que les communes auront forcément besoin de l’Etat et des Régions – « nous devons nous mettre tous autour de la table » – mais que la pratique, coercitive, de l’éco-conditionnalité des aides publiques n’est pas forcément la meilleure solution. « A Reims, nous pratiquons un système de bonus, soit une approche incitative, qui fonctionne plutôt bien. »
Et, au lieu d’une écotaxe, d’autres pistes générant sinon de nouveaux financements du moins des économies peuvent être envisagées. Fabien Le Guernevé plaide pour la mutualisation et plus de modestie dans les moyens : « Je me refuse à être donneur de leçon mais il faut reconnaître que les fiches techniques sont parfois énormes et qu’elles exigent des camions entiers de matériel. » Une approche que rejoint Florian Salazar-Martin, estimant que « les grandes opérations relèvent bien souvent du business et non d’une politique publique ». Et que partage Jessie Orvain qui pose, elle aussi, la question du format des propositions artistiques, « lequel peut constituer un frein pour appliquer une logique d’infusion sur les territoires, car souvent leur ampleur les rend impraticables dans les petits lieux ». Frédéric Hocquard, pour sa part, suggère un relèvement de la taxe de séjour, particulièrement faible en France, dont le rendement pourrait être dédié à la mutation écologique.
Mais, quelles que soient les solutions envisagées, il apparaît qu’à la différence de la problématique des mobilités, les questions du financement de la mutation écologique du spectacle vivant relèvent de l’engagement de tous. Conclusion de Sandrine Lemétayer : « La responsabilité n’incombe pas au seul politique mais aussi à nos propres pratiques. Aujourd’hui nous sommes convaincus de l’impératif de travailler sur l’ensemble du secteur. »