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Portrait culturel de la CA Lisieux-Normandie

By 24 février 2023mars 16th, 2023No Comments

Jocelyne Benoist, vice-présidente à la culture de la CA Liseux-Normandie

La tradition de concertation est ancienne à la Communauté d’agglomération Lisieux-Normandie, dans le Calvados. Crée en 2017, elle est issue de la fusion de cinq intercommunalités réunissant elles-mêmes plusieurs “communes nouvelles”, soit au total 53 communes (74 000 habitants) regroupant 111 communes “historiques”. Gérant directement dix-sept équipements culturels, l’EPCI s’est pleinement dotée de la compétence culturelle. Jocelyne Benoist, vice-présidente à la culture, revient sur la construction du “schéma culturel de territoire”, issu d’une démarche participative, qui fait de l’action de proximité, du travail en transversalité et de la mise en œuvre des droits culturels les axes principaux de la politique culturelle sur ce territoire rural aujourd’hui labellisé “100% EAC”.

Quelles motivations, quel parcours vous ont-ils conduit à la politique ?

Je viens d’une famille de musiciens amateurs et j’ai été baignée dès mon plus jeune âge à l’art et à la culture. Un goût que j’ai prolongé en m’engageant dans plusieurs associations culturelles. Côté politique, j’ai intégré le conseil municipal de Mézidon-Canon (Calvados) en 2001 comme adjointe au scolaire et à la culture, avec pour priorité l’accès à la culture des plus jeunes, pour ensuite intégrer la Communauté de communes de la Vallée d’Auge puis, depuis 2017, l’Agglomération Lisieux Normandie.

Quel est le processus qui a conduit à la formation de l’EPCI ?

C’est un vaste EPCI qui regroupe cinq intercommunalités. Cela s’est fait assez naturellement car nous avions déjà l’habitude de la concertation entre communes. Les maires ont travaillé autour d’un axe fondateur en 2016 avec deux objectifs : créer un espace de solidarité entre les communes et travailler sur des projets et des équipements structurants à l’échelle du territoire.

Comment décririez-vous votre territoire, d’un point de vue géographique et démographique ?

Un territoire composé à 94% d’espaces naturels et agricoles, avec cependant des zones plus urbanisées, par exemple Lisieux (19 500 habitants) ainsi que quatre centres-bourgs : Mézidon-Vallée d’Auge, Orbec, Livarot-Pays d’Auge et Saint-Pierre-en-Auge.
Du point de vue démographique, on constate un léger fléchissement du nombre d’habitants, essentiellement du fait d’un habitat qui se dégrade : tous les centres-bourgs sont en rénovation. Mais – et c’est à mettre en lien avec notre labellisation “100% EAC” –, nous comptons 18 700 jeunes de 0 à 26 ans, soit 25% de la population, ce qui est considérable.

Pôle d’apprentissage musique et danse

L’Agglomération a-t-elle la compétence culture ?

Oui. Au départ, cela concernait seulement la gestion des équipements – nous en avons dix-sept, avec 133 agents (sur les 400 de l’Agglomération) travaillant dans le domaine de la culture. Mais, même si la culture demeure une compétence facultative, nous nous sommes aperçus qu’il fallait dépasser la seule gestion pour mettre en place des politiques culturelles.

La démarche participative « Vents de culture », qui a établi un diagnostic du territoire, a permis d’affiner le rôle de l’Agglomération et de faire émerger ses trois principales fonctions : un rôle d’opérateur culturel, d’accompagnateur et de facilitateur des initiatives culturelles des communes, et enfin d’aménageur des équipements structurants.

Nous avons organisé les équipements en quatre pôles, ce qui permet notamment une mutualisation des moyens et des charges : pôle lecture publique (qui regroupe médiathèques et bibliothèques), pôle apprentissage musique, danse et arts plastiques (avec le conservatoire, les quatre écoles de musique et une école d’arts plastiques), le pôle du spectacle vivant (qui regroupe le Théâtre de Lisieux et la salle de spectacle La Loco à Mézidon Vallée d’Auge), enfin le pôle muséal (autour de nos trois établissements labellisés “musées de France”, à Lisieux, Saint-Germain-de-Livet et Orbec). Cette structuration s’est accompagnée de la mise en place d’une direction pour chacun des pôles, épaulée par des coordinateurs de réseau.

Les élus du conseil communautaire sont-ils convaincus de l’importance des enjeux culturels ?

Les 91 conseillers communautaires ont voté un budget de fonctionnement pour la culture de 5M€, soit 15,3% des 79M€ du budget global. C’est un véritable choix et je bénéficie du soutien majoritaire du conseil.

A partir de la démarche participative « Vents de culture », vous avez mis en place un Schéma culturel de territoire, adopté en 2019…

L’Agglomération est récente. Nous n’avions pas de vision d’ensemble de son territoire. Pour servir d’entame à notre projet culturel, nous avons lancé « Vents de culture » via des concertations citoyennes au travers de huit rencontres avec les habitants, avec les artistes, les élus, les associations. Ces échanges ont réuni 700 participants et mobilisé 1 000 jeunes ; 9 000 questionnaires ont été envoyés aux établissements scolaires. Cette consultation correspondait à une réelle attente. Elle a permis de coconstruire le “schéma culturel” de l’Agglomération – fixer un cap pour l’action culturelle, sur un principe de maillage territorial, en mettant en lien les équipements existants et en construisant là où ils manquent.

Théâtre à l’italienne de Lisieux

Quels sont les principaux atouts culturels de l’Agglomération ?

Outre les dix-sept équipements dont l’Agglomération est en charge, il y a les partenariats locaux avec les associations culturelles, dont 37 sont directement soutenues, ainsi que trois compagnies professionnelles de théâtre. Nous mettons aussi en place de budgets pour l’aide à la création et à l’accueil d’artistes. Autre atout : puisque l’Agglomération exerce de nombreuses compétences, notamment la petite enfance, le développement touristique et économique, le transport urbain et scolaire, l’environnement…, on essaie d’introduire la dimension culturelle dans l’ensemble des champs de l’action publique communautaire. Par exemple, pour ce qui est de la petite enfance, nos musiciens et danseurs développent des actions culturelles dans la Maison de la petite enfance. Côté transport – et cela reste à développer –, nous allons voir comment faire venir les publics éloignés des équipements.

Sentez-vous des réticences de communes vis-à-vis de l’EPCI ?

Il y a en effet une certaine méfiance des communes vis-à-vis de la grosse structure qu’est Lisieux Agglomération. Elle peut apparaître un peu opaque à certains. Mais c’est à nous d’expliquer – ce que nous faisons insuffisamment –, de rassurer. Cela étant, des compétences nous ont été confiées et nous avons le devoir de les exercer.

Il faut tout faire pour que la politique culturelle reste un atout et une force. La culture est un service au public, un bien commun ; on se doit d’y faire attention.

La culture contribue-t-elle à créer un sentiment d’appartenance commune ?

On essaie de promouvoir une identité collective, ce qui passe par une politique de communication encore trop peu développée. On fait beaucoup de choses, mais sans trop le faire savoir… Pour nous, l’Agglomération c’est aussi la proximité, avec une importance particulière donnée aux actions hors les murs des équipements culturels, essentiellement des petites scènes pour des spectacles jeune public. Nous avons d’ailleurs fait l’acquisition d’une micro-folie mobile qui tourne depuis déjà un an en s’adaptant aux communes. Il suffit d’une salle des fêtes.

La Micro-folie mobile

Quels principes guident votre action ?

Nous essayons d’intégrer la notion des droits culturels : le schéma culturel de territoire fait directement référence à une gouvernance culturelle participative. Ce n’est pas encore pleinement assimilé, mais nous développons déjà, par exemple, des concertations avec les parents d’élèves sur la tarification des spectacles ou activités. Autre exemple : intégrer les habitants pour les projets de rénovation ou de construction d’équipements.

Quels liens entretenez-vous avec les communes ?

Le lien doit être permanent. Nous avons bien entendu des conseillers municipaux qui ne sont pas des délégués communautaires ou qui ne participent pas aux commissions. L’Agglomération a donc ouvert les commissions à toutes celles et ceux qui souhaitent y participer. Car il est vrai que certain regrettent de ne plus avoir la main sur des compétences auparavant exercées par leur commune. Nous essayons de combler ce manque par la proximité, le maillage et l’équité territoriale, avec une tarification harmonisée, un catalogue commun et une carte unique pour les bibliothèques, mais aussi par des formations adressées à tous les élus à la culture. Il faut déjà expliquer le rôle et la place de l’élu au sein de la politique globale de la commission culture, comment il peut la défendre, l’accompagner, l’orienter, y prendre part…

Vos liens avec le département et la région ?

De façon générale, la culture a désormais trouvé sa place dans les politiques locales. L’Intercommunalité est maintenant un nouvel échelon à prendre en compte pour développer les coopérations territoriales. Or quand nous avons créé le schéma culturel de l’Agglomération, afin d’avoir une vision, un cadre et une formalisation de notre politique culturelle, j’ai constaté une résistance de la part du Département, comme s’il se sentait un peu démuni face à notre initiative. Du moins ai-je ce sentiment…

On entend parfois dire que la Normandie est restée un peu « féodale »…

Il est vrai que, dans ce vaste territoire qu’est la région Normandie, un territoire comme notre agglomération a plus de difficulté à trouver sa place face à Rouen, Caen ou Le Havre. Une anecdote : quand j’ai assisté, en 2018, à une réunion culture de la Région, Lisieux ne figurait pas sur la carte qu’on nous a projetée ! Pour ce qui est du Conseil des territoires pour la culture (CLTC), même quand j’ai eu l’occasion d’y participer, au nom de l’AdCF, c’est Rouen qui avait la parole. Cela étant, même si on se sent un peu petits, ces instances de coopération interterritoriale sont une bonne initiative. Cela m’a notamment beaucoup aidé au moment de la crise sanitaire, ne serait-ce que pour avoir les informations nécessaires. Peut-être son échelle est-elle trop large…

Vos liens avec la DRAC ?

Ils se font en bonne intelligence. Nous avons en effet des contacts, notamment autour des dossiers concernant le théâtre et les musées. Nous avons également travaillé avec la DRAC sur l’éducation artistique et culturelle puisque nous venons d’obtenir le label “100% EAC”. Par ailleurs, un plan pour la lecture publique est en projet, ce qui sera sans doute l’occasion d’un nouveau rapprochement.

L’une des questions d’avenir proche mais aussi à terme est celle de la conciliation, difficile, entre défense du patrimoine et sobriété énergétique…

Nous sommes propriétaires de plusieurs bâtiments historiques : les trois musées et le théâtre à l’italienne, qu’il faut entretenir et rénover en prenant en compte le paramètre de la sobriété énergétique. De ce point de vue, l’Agglomération est engagée depuis trois ans dans une démarche “Territoire en transition Climat-Air-Energie” et on a en effet budgété des rénovations énergétiques, mais progressives car l’investissement est considérable. Quoi qu’il en soit, c’est maintenant un enjeu bien identifié, que ce soit pour les restaurations ou les constructions.

Quelles sont vos principales difficultés ?

Les budgets, comme toutes les collectivités : les dépenses augmentent et les recettes diminuent. Il faut trouver un juste équilibre et surtout tout faire pour que la politique culturelle reste un atout et une force. La culture est un service au public, un bien commun ; on se doit d’y faire attention.

Qu’attendez-vous de la Fédération ?

Nous sommes adhérents depuis 2018, soit presque dès la création de l’EPCI. J’ai déjà assisté à des formations de la FNCC. Pour nous, l’échange d’information et le partage d’expérience sont très intéressants. La fonction de porte-parole auprès d’instances nationales de la Fédération aussi est importante. Et aussi ce sentiment précieux d’appartenir à un groupe.

Propos recueillis par Vincent Rouillon

Spectacle de création hors les murs


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