Les termes de thème débat « La culture est-elle soluble dans les Jeux olympiques ? » procédaient directement de l’actualité : l’annonce par le ministre de l’Intérieur du décalage, voire de l’annulation, de certains festivals pendant la période des JOP 2024. Mais sa problématique soulevée se voulait plus large : la compatibilité entre exigences sécuritaires et présence de l’art et de la culture (ainsi que du sport) dans l’espace public. « Avec le risque de devoir renoncer aux uns et aux autres s’y nous n’y prenons pas garde », prévient en ouverture le président de la FNCC. Quelles pistes de solution ? En perspective, un projet de loi relatif aux Jeux olympiques portant essentiellement sur la mise en œuvre de nouvelles techniques de sécurisation dont une expérimentation commencerait dès 2023 et qui pourrait s’étaler jusqu’en juin 2025…
- Intervenants : Nicolas Cardou, DAC de Nantes, Stéphane Krasniewski, vice-président du Syndicat des musiques actuelles (SMA), Edwige Pannier, maire-adjointe à la culture de Sotteville-lès-Rouen et Myrtille Picaud, universitaire (CNRS). Le débat était animé par Fabien Le Guernevé, maire-adjoint à la culture de Vannes, vice-président de la FNCC.
Un rappel historique. La problématique de la sécurisation des événements dans l’espace public ne date pas d’hier. « Toute une discipline des publics a été élaborée depuis le 19e siècle. Mais on observe depuis les années 80, d’une part, une croissance de la police du sport qui va s’intensifiant – tout particulièrement pour le football (avec le drame du Heysel) et de ses « ultras » – et, d’autre part, de la police des événements d’ordre musical : raves partys, free partys… Et une circulation entre ces deux espaces », explique Myrtille Picaud.
Cette circulation des doctrines de sécurité entre sport et culture s’est récemment accrue, notamment à la suite des attentats qui ont frappé les villes de Paris, Manchester, Orlando, Istamboul… En France, la menace terroriste a été à la source de la circulaire Collomb, qui facture aux organisateurs de festivals le recours aux forces de police pour la sécurité de leurs manifestations. Avec un constat : les exigences de sécurité varient à la fois selon les territoires (et l’appréciation des préfets), mais aussi selon les esthétiques musicales : davantage de contrôle pour les musiques électroniques ou le reggae que pour le jazz ou la musique classique. D’où une ambiguïté de nature idéologique que souligne la sociologue : « Qui protège-t-on, qui police-t-on ? S’agit-il de protéger les publics contre une agression extérieure ? Ou de protéger les habitants de telle ou telle ville contre un public considéré comme dangereux ? » En somme, s’agit-il de sécuriser ou de contrôler ?
Un périlleux été olympique. Le débat s’est ouvert sur les risques pesant sur les événements culturels de l’été 2024 contraints par une absence de moyens de police. Malgré la circulaire interministérielle qui cadre les périodes de l’été olympique – un été de tous les dangers pour beaucoup de professionnels – et précise les mesures prises pour concilier JO et festivals, ces risques demeurent prégnants.
Stéphane Krasniewski, directeur du festival Les Suds à Arles, craint une cascade de difficultés successives et emboîtées. Même si des solutions ont d’ores et déjà été trouvées pour décaler certains grands événements culturels estivaux, bousculer « l’enchaînement des dates extrêmement précis fait craindre un « effet domino » et soulève la question de la disponibilité du matériel techniques, des prestataires, etc. ainsi que de l’accès aux médias : l’engorgement sur certaines périodes risque de poser l’ensemble de ces questions ». Ou encore celle d’une concurrence sur les publics et sur les artistes, avec de plus une hausse des cachets et des coûts techniques. Et sans oublier, rappelle Fabien Le Guernevé, des problématiques d’indisponibilité de matériel, de personnel compétent, notamment sécuritaire (le ministre de l’Intérieur a déjà annoncer préempter 25 000 agents de sécurité privée pour les JO) ainsi qu’une diminution des dates et des heures de travail pour les intermittents.
- Solution ? Ouvrir « un espace de dialogue pour pouvoir évaluer les moyens à mobiliser pour répondre aux besoins afin que tous les événements puissent être maintenus ».
Des surcoûts en période de crise budgétaire des collectivités. Fabien le Guernevé soulève le risque majeur. Il est financier. « On sait que la sécurité à un coût important qui vient bien souvent grever le budget général des festivals ou manifestations. Comment peut-on articuler conditions de sécurité maintien des événements sur l’espace public ? » « Sachant que les dépenses de sécurité sont celles qui augmentent le plus –, la plupart des festivals en plein air ont réduit, parfois de manière lourde, leurs dépenses artistiques et organisationnelles. On constate depuis 2018 une multiplication par deux, voire par cinq, des dépenses de sécurité », confirme Nicolas Cardou. Information donnée par Agnès Freschel, élue du 1er secteur de Marseille, Ville olympique en 2024 : déjà « pour toutes les petites manifestations que nous organisons l’été, le budget sécurité déborde largement celui de l’artistique – c’est délirant ! Les professionnels de la culture doivent le savoir. »
- Solution ? Le DAC de Nantes témoigne que les membres des réseaux européens de festivals estiment tous la doctrine française« singulièrement lourde ». Pour leur part, ils misent davantage sur le bénévolat, sur la formation à l’intérieur du festival pour régler les problèmes de sécurité. « Saisissons-nous aussi de cette situation incompréhensible et ubuesque pour dire que le débat doit porter sur la nature des modalités de mise en sécurité des événements. »
Edwige Pannier aussi note les coûts croissant de la sécurité, d’autant plus que la ville dont elle est la maire-adjointe à la culture, Sotteville-lès-Rouen, doit assumer à la fois les dépenses sécuritaires pour le sport, avec un Meeting international d’athlétisme au mois de juillet, et pour la culture, avec le 3e plus important festival des arts de la rue de France, le dernier week-end de juin.
- Solutions ? La volonté politique et la bonne volonté de tous : « Nous avons la chance que nos services municipaux, notamment la police municipale, travaillent en étroite collaboration avec la police nationale. De là un soutien indéfectible de sa part. »
- Pour sa part, Nicolas Cardou s’interroge : « Le choix de faire appel à des forces de sécurité extérieures, en renfort, mises à disposition par d’autres pays européens, n’aurait-il pas pu être fait ? Cela se pratique déjà pour les incendies… » En écho, Agnès Freschel s’étonne : « On a évoqué la possibilité de demander des renforts venus d’ailleurs. Cela paraît une évident. Pourquoi ne le martèle-t-on pas ? La seule solution serait en effet de faire appel aux forces de police des pays voisins, comme nous intervenons nous-mêmes quand il y a un incendie en Italie. »
- Entérinant comme inévitables les impacts négatifs des décalages de festivals à l’été 2024, Gérard Chauveau, directeur du festival Les Escales à Saint-Nazaire, plaide d’avance pour un fonds de compensation. « Vus les risques, l’Etat devrait s’engager à nous assurer qu’en cas de déficit on pourra bénéficier d’un fonds de soutien et de solidarité pour permettre à nos festivals de continuer en 2025. »
Danger sécuritaire des mesures de sécurité. Enfin, une indication donnée par un préfet fait surgir une inquiétude inattendue. « Plus on demande de mesures de sécurité, plus on embauche d’agents et moins ils sont compétents », fait remarquer, depuis la salle, le directeur de la culture des sports et des événements de la Ville d’Auxerre. La remarque n’est pas abstraite, car ce même préfet confie que des dérogations pour autoriser des formations écourtées des personnes en charge de la sécurité des événements dans l’espace public à l’été 2024 sont déjà prévues.
Un questionnement du directeur du Festival les Suds à Arles va dans le même sens du risque sécuritaire d’un renforcement des mesures de sécurité : « Si on pousse au bout l’alternative du choix entre le sport et la culture – en faisant l’hypothèse que certains festivals seront annulés faute de moyens de police disponibles –, verra-t-on fleurir de partout des événements sauvages organisés dans des conditions non professionnelles ? Le remède ne sera-t-il pas pire que le mal ? »
Un risque d’instrumentalisation de la culture ? Au-delà de l’été 2024, la problématique de la sécurisation des événements culturels dans l’espace public relève d’enjeux dépassant largement le seul domaine des arts et de la culture. Rappel de Myrtille Picaud : « Les événements culturels vont servir de lieux d’expérimentation des technologies numériques. Si le projet de loi passe en l’état, il est prévu de commencer les expérimentations dès le lendemain du vote et jusqu’à juin 2025, soit pendant un an après les JO. Pendant tout ce temps, sur des événements festifs et culturels, les algorithmes vont pouvoir être utilisés et affinés pour ensuite les commercialiser – car il y a un gros marché. Question : les événements culturels ont-ils vocation à servir pour l’expérimentation de nouvelles techniques de sécurité ? »
La fête quand même. Conscient de la nature un peu anxiogène du débat mais aussi de la compétence des professionnels et de l’importance des événements culturels pour la vie des territoires, Fabien Le Guernevé conclut avec un optimisme légèrement caustique. « On a dépeint un tableau peu réjouissant… Mais la perspective d’accueillir les Jeux olympiques en France reste quand même une bonne nouvelle… » Rires dans la salle. La solution est limpide. « Il revient juste à l’Etat français de bien organiser les choses sans pénaliser tout ce qui fait notre vie quotidienne, qu’elle soit sportive, culturelle ou solidaire. »
En écho, cette formule de Nicolas Cardou pour clore la partie des débats portant sur les Olympiades culturelles et le retard pris dans leur organisation : « La première des Olympiades culturelles c’est de maintenir les événements culturels sur le territoire français. Ce qui fait culture, c’est tout ce qu’on propose tous les ans. »